Crédit photo : Vladimir Vyatkin / RIA Novosti
Il suffit de rappeler qui revendiquait cette forteresse : l'Albanie du Caucase, les Scythes et Khazars, les Perses, les Arabes, les Turcs et à nouveau les Perses, les Huns, Tokhtamych, Tamerlan et Pierre 1er. Le célèbre empereur Néron y a envoyé ses légions, mais il a été contraint de les ramener à Rome à cause d'une révolte en Gaule.
Une telle frénésie autour d'une petite ville s'explique facilement : Derbent occupait une position militaire et commerciale très importante, fermant un passage étroit entre le Caucase et la mer Caspienne. Les caravanes de la grande route de la soie passaient par Derbent.
La grande muraille du Caucase
La fonction de barrage de Derbent se remarque par un observateur non-militaire. La montagne se finit à seulement un kilomètre de la mer et la forteresse de Naryne-Kala surplombe le rivage (« la forteresse du soleil », et c'est vrai qu'il y a là-bas beaucoup de soleil).
De la forteresse à la mer descendent deux murailles presque parallèles. Au XXe siècle, on les a partiellement détruites pour leur inutilité, mais on peut aujourd'hui deviner leurs « traces » depuis les hauteurs : les rues découpant Derbent ont justement été construites le long de ces murailles. Et à un moment elles allaient sur plusieurs centaines mètres sur la mer, formant un agréable port.
À notre époque des archéologues ont même trouvé au fond de la Caspienne des restes de cette muraille maritime.
En outre, les murailles allaient plus loin que la forteresse, elles s'étendaient dans la montagne sur 70 kilomètres, formant une muraille caucasienne semblable à la Grande Muraille de Chine. La fonction était la même que chez les Chinois : la muraille de Derbent ne devait pas permettre aux envahisseurs de contourner la ville ni par mer, ni par terre.
Alexandre Dumas père avait remarqué la beauté de Derbent : « Derbent est une énorme muraille qui barrait le chemin,qui s'étendait des hauteurs de la montagne jusqu'à la mer. Se trouvent devant nous juste des portes cochères massives, qui à en juger par la forme, appartiennent à la puissante architecture orientale, destinée à dominer les siècles », explique-t-il dans son livre Caucase, écrit d'après les impressions de son voyage à travers la Russie.
3000 ans av. J.-C.
À en juger des fouilles archéologiques, les premières installations sur le lieu de Derbent sont apparues à l'âge de bronze : au début du troisième millénaire av. J.-C. C'est pour cette raison que la ville est décorée aujourd'hui d'enseignes indiquant : « Derbent a 5000 ans ».
Bien sûr, c'est exagéré, mais de peu : les premières mentions de la ville existent déjà chez Hécatée de Milet (VIe siècle av. J.-C.), qui l'appelle « les portes du Caucase ».
Les autorités locales et fédérales se trompent dans les chiffres. En 2010, le maire Imam Iaraliev a proposé de célébrer les 5000 ans de Derbent, mais déjà, en 2013, le Kremlin a édicté un décret pour fêter les 2000 ans de la ville en 2015.
Les autorités locales sont sûres que c'est une décision politique. Comme si c'était embarrassant que la plus ancienne ville de Russie se trouve dans le Nord du Caucase, et non dans l'Anneau d'or.
La version actuelle de la forteresse, avec la muraille sur la montagne et le port fortifié, a été construite par le Shah perse Khosro Ier Anoushirivan (531-579) de la dynastie des Sassanides. Il est curieux qu'elle ait été construite avec l'argent de l'Empire byzantin : Justinien Ier a sponsorisé la protection de son voisin des nomades du nord. En renforçant sa défense, Khosro a mené la guerre à l'Empire byzantin.
Les murs d'une hauteur de plus de vingt mètres, ont été bâtis avec d'énormes blocs de calcaire jaune, à partir duquel le reste de la ville a aussi été construit. Les géographes arabes du Moyen-Age ont écrit avec enchantement sur la largeur des murs de Derbent, rivalisant d'exagération : un comptait la largeur en chariots qui pouvaient passer en même temps dans les murs, un autre, par exemple, affirmait que 20 chevaliers pouvaient passer en même temps dans les murs.
En réalité, leur épaisseur atteint cinq à sept mètres : une troupe de cavaliers ne passerait pas, mais ça peut étonner les contemporains.
Les artefacts de la citadelle
Dès l'entrée de la citadelle de Naryne-Kala se trouve une fontaine en état de marche avec de l'eau de source avec l'apparence d'une bête fantastique et un petit zindan, un trou dans la terre pour enfermer les prisonniers.
En fait, « zindan » signifie « pot » : c'est un trou de pierre avec une ouverture étroite à la surface du sol, pour que les prisonniers ne puissent pas s'échapper de ses murs abrupts. Le sol est couvert de pièces de monnaie : on se demande pourquoi tous les touristes veulent revenir justement ici.
Le Zindan se trouve à proximité de la chancellerie du Khan : l'accusé y attendait la décision du tribunal. Un tel était accusé, tandis que les autres étaient rarement sanctionnés, on transférait le malheureux dans le grand zindan, aussi dans la forteresse mais plus haut. Il est construit d'après toutes les règles : une étroite ouverture au niveau du sol et un local sombre et profond, on ne voit ni le sol, ni les murs.
« Le prisonnier s'y trouve à vie, dicte religieusement le guide et rassure tout de suite : en vérité, ça durait habituellement trois mois ». Comme il expliquait, on enlevait pas les cadavres de la zindan, et les prisonniers passent leur temps « en compagnie » des prédécesseurs morts.
Les dépenses du budget du khan, et selon toutes « les normes internationales » de cette époque on continuait à nourrir les prisonniers, étaient substantiellement réduites grâce aux infections et aux maladies. « Dans les années 80, on a fait des fouilles ici et on a trouvé des mètres d'ossements », faisait remarquer avec enthousiasme le guide.
A côté, une collection d'ancres. Les plus récentes sont russes, et il y a aussi leurs collègues d'une époque d'avant notre ère : des plaques de pierre avec des trous.
Général, Naryne-Kala est un ensemble éclectique de monuments de l'architecture de différentes époques. Voilà des bains iraniens du XVIIe siècle, construits de façon qu'on pouvait chauffer avec une seule et unique bougie. Le palais du khan de cette époque a à ce moment-là une piscine sèche.
Voici les portes occidentales de la citadelle, bâties au Xème siècle. Les habitants de Derbent les ont appelées « les portes de la honte », par celles-ci le régent pouvait s'échapper dans la montagne en cas de menace d'assaut de la forteresse. Tout près, la salle de garde russe.
« Monument du début du XIXe siècle dans le style empire russe de province », dit une pancarte sur le mur. Tout de suite, une grange construite par les archéologues soviétiques il y a 30 ans. Je ne sais s'elle vivra autant que ses voisins, mais maintenant elle joue un grand rôle : des brebis y vivent, se promenant comme si de rien n'était entre les antiquités et au sein des murs de la forteresse.
La province antique
Nous descendons dans la Vieille ville par l'escalier médiéval. Comptez les marches, elles doivent être au nombre de 211. Le Vieux Derbent est serré entre deux murs de la citadelle. La distance entre eux n'est pas supérieur à un demi-kilomètre. À en juger par les photographies des années 70 du XXe siècle, à ce moment-là toute la ville tenait entre les deux murs.
Apparemment, les rues recouvertes de pavés en sont tellement déformées que même avec une carte on peut se perdre, et elles sont à ce point étroites qu'il est pratique de s'y déplacer qu'avec des motos à trois roues. Depuis ce temps Derbent a grandi. Maintenant, en dehors des murailles, une ville désordonnée proche de la province russe ordinaire.
Dans la vieille ville, l’exubérance de l'architecture continue : on peut trouver des hangars de caravanes, des hôtels médiévaux pour les marchands, un mausolée de la femme du khan perse Touti-Bike et une église arménienne. Il y a deux bains médiévaux, dont un bain pour les vierges spécialement pour les filles célibataires.
Mais le bâtiment le plus intéressant est la mosquée Djouma, une ancienne mosquée sur le territoire de la Russie construite au VIIème siècle. Dans sa petite cour silencieuse poussent des platanes de 800 ans, des arbrisseaux comparable à l'édifice lui-même.
Source : RIA Novosti
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