De Baïkonour à Vostotchny : l’épopée spatiale russe entre présent et avenir

Baïkonour, 1980. Crédit : Fotosoyuz / Vostockphoto

Baïkonour, 1980. Crédit : Fotosoyuz / Vostockphoto

Une journaliste de RBTH s’est rendue à Baïkonour, le plus grand cosmodrome du monde qui fête le 2 juin son 60ème anniversaire, ainsi qu’au nouveau site de lancement Vostotchny pour jeter un coup d’œil dans le passé et réfléchir à l’avenir de la Russie.

Baïkonour, c’est le premier et le plus grand cosmodrome du monde. C’est d’ici qu’ont été lancés les chiens Belka et Strelka, et qu’est parti Youri Gagarine pour le premier vol de l’homme dans l’espace. Après la chute de l’Union soviétique, le cosmodrome s’est retrouvé dans un autre pays : le Kazakhstan. La Russie exploite toujours Baïkonour, mais en le louant. En 2004, les présidents des deux pays ont signé un accord de bail jusqu’en 2050.

Toutefois, la Russie a décidé en 2007 de se doter de son propre cosmodrome. La nouvelle aire de matérialisation de ses projets ambitieux sera Vostotchny, dans la région de l’Amour (Extrême-Orient russe). Tout le monde attend avec impatience la fin des travaux, aussi bien l’Agence spatiale de Russie que ceux qui ont consacré la moitié de leur vie à Baïkonour, avant de tout abandonner et de déménager ici pour recommencer à zéro. Ceux-ci attendent avec une certaine tristesse et ne savent pas ce qu’ils deviendront ensuite.

Un désert au milieu de l’oasis

Le chantier du cosmodrome Vostotchny dans la région de l'Amour. Crédit : RIA Novosti

Avant de me rendre à Baïkonour, je visite Vostotchny. Nous quittons dans la soirée Moscou à destination de Blagovechtchensk. Je ne parviens pas à trouver le sommeil et je regarde pendant tout le voyage par le hublot les nuages en changement constant et le soleil orangé. Le vol dure environ sept heures.

Nous prenons place dans les voitures et nous avons encore quatre heures de route cahotique jusqu’à Ouglegorsk. Devant nous, écureuils noirs et lièvres gris traversent la route sous nos yeux. On marque une halte sur le rivage abrupt de la Zéya. Le paysage est à couper le souffle !

Le lendemain, nous nous rendons directement sur le chantier du cosmodrome. Vingt minutes de route dans un nuage de sable impénétrable. Le chantier où nous sommes enfin arrivés ne cède en rien de par son envergure à la puissance de la nature locale. Les ouvriers, habitués aux inspections, ne font pas attention à nous. « Que venez-vous voir ? » demande avec étonnement le petit homme aux cheveux blancs qui nous a accueilli à l’entrée. Des palissades, du sable et des chiens… Pourtant, les contours d’une table de lancement se profilent d’ores et déjà, et les étages des immeubles s’empilent dans la future ville, Tsiolkovski.

C’est la case départ de la nouvelle histoire spatiale. Le cosmodrome de Vostotchny permettra à la Russie d’avoir un accès indépendant à l’espace. Avec le temps, il deviendra le principal centre d’études spatiales. Cela ouvrira une nouvelle page de développement de l’Extrême-Orient russe et impulsera le progrès de l’aérospatiale. Mais les délais de mise en service du cosmodrome sont toujours repoussés et le déroulement des travaux est secoué par des scandales liés au détournement de fonds.

Une oasis au milieu du désert

Baïkonour, lancement du Soyuz TMA-11M avec à son bord la torche olympique, 2013. Crédit : Photoshot / Vostockphoto

En attendant le jour béni où j’ai été autorisée à aller à Baïkonour, j’ai dû écrire tant de lettres et adresser tant de demandes à toutes les instances que la joie de mon futur voyage s’est dissipée : je devais concerter ma visite pas à pas. Chaque site nécessitait une autorisation spéciale et les appels chauffaient mon portable à blanc.

Nous avons un peu plus de trois heures de vol. Au cours de la dernière heure, le paysage derrière le hublot reste inchangé. Nous atterrissons dans la steppe. Nous sommes accueillis à l’aéroport Kraïni par une représentante du service de sécurité du cosmodrome, Tatiana. Nous franchissons plusieurs postes de contrôle. « Tatiana, je comprends que dans les années 1960, il fallait absolument tout vérifier… Mais aujourd’hui, il n’y a sans doute plus de cas d’espionnage ? » ai-je demandé après un nouveau contrôle des papiers. « Vous avez tort. Tout peut arriver », a-t-elle répondu. Voyant mes yeux s’écarquiller, Tatiana se tait et laisse comprendre qu’elle ne donnera aucun détail.

Youri Gagarine avant de décoller, 1961. Crédit : TASS

Un dernier poste et nous voilà dans la ville. Un chameau au regard rêveur se tient à l’entrée. Des arbres verts commencent à apparaître à droite et à gauche de la route, comme si nous nous étions retrouvés dans une autre zone climatique. La ville a gardé un pied dans l’URSS. Aussi bien pour son marché central et ses enseignes que pour l’absence de cafés ouverts 24 heures sur 24… La moitié de la ville porte des uniformes identiques : tous ces gens travaillent au cosmodrome.

Les pionniers

A Baïkonour, tout le monde raconte des histoires. Sur les premières fusées, les ingénieurs légendaires et les cosmonautes. Ceux qui ont travaillé avec le génial concepteur soviétique Sergueï Korolev, ceux qui ont garanti nos premiers lancements sont encore en vie.

Baïkonour a assuré le départ de plus de la moitié des lancements spatiaux dans le monde, notamment du premier satellite artificiel Spoutnik, des vols habités à bord de vaisseaux du type Vostok, Voskhod et Soyouz, des stations spatiales Saliout et Mir, de la navette Bourane, ainsi que de vaisseaux interplanétaires et de satellites militaires et scientifiques. Baïkonour détient toujours le leadership en matière du nombre de lancements par an.  

Je suis accompagnée par Tatiana les trois jours que je passe au cosmodrome. « Vous savez, j’ai 43 ans et je ne sais que faire. J’ai passé toute ma vie ici. Je comprends que personne ne nous emmènera là-bas (au cosmodrome de Vostotchny, ndlr). Je ne sais pas ce que nous deviendrons. Il paraît pourtant que le pays ne renoncera pas entièrement à Baïkonour jusqu’en 2050… » Tatiana me jette un regard interrogateur. Elle est prête à déménager dans la région de l’Amour et à recommencer à zéro. Encore une fois.

Baïkonour s’endort sous un ciel extraordinaire, d’un noir intense. Un ciel où des gens extraordinaires ont allumé les étoiles de l’épopée spatiale russe.

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