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En l'espace de cinq ans, le réseau social Docteur au travail est parvenu à attirer 350 000 utilisateurs, soit 42% de l'ensemble des médecins de Russie. L'an dernier, l'entreprise a rapporté à ses propriétaires un demi-million de dollars de profits sur 1,5 million de dollars (1,2 million d'euros) de revenus générés. Le réseau social prévoyait d'entrer sur les marchés étrangers, mais après l'introduction des sanctions, décision a été prise de se concentrer sur le développement de la société en Russie.
L'idée de créer une communauté online dédiée aux médecins, sur laquelle ces derniers pourraient partager leurs expériences a germé dans l'esprit de l'endocrinologue Andreï Perfilev en 2009. Ce dernier a ensuite mis en œuvre son projet avec son partenaire, l'entrepreneur Stanislav Sajine, lequel travaillait alors dans une agence de publicité et souhaitait créer sa propre entreprise.
Les deux entrepreneurs avaient initialement prévu de créer un site regroupant un grand nombre d'articles scientifiques dont les médecins pourraient tirer des informations utiles. Toutefois, après avoir réalisé une enquête auprès de deux mille spécialistes avec l'aide d'étudiants, ces derniers sont parvenus à la conclusion qu'il fallait impérativement créer un réseau social. « Les médecins russes travaillent habituellement dans plusieurs polycliniques et passent généralement trois à cinq heures par semaine à communiquer sur internet. Ces derniers souhaiteraient faire le meilleur usage possible de ce temps : consulter leurs collègues au sujet de l'utilisation de tel ou tel médicament, comment traiter un patient présentant tel ou tel symptôme… », explique M. Sajine.
Promotion de médicaments
Trois mois seulement après le lancement du projet, les partenaires ont lancé une ressource dotée d'une interface basique pour un coût de 9 000 dollars tirés de leurs fonds propres. L'accès en était strictement réservé aux médecins. Au moment de l'enregistrement, l'interface du site demandait à l'utilisateur d'indiquer le numéro de son diplôme ainsi que son lieu de travail. Ensuite, les collaborateurs du site contactaient les différents établissements d’enseignement supérieur et les polycliniques afin de s'assurer de l'exactitude des informations fournies.
Au départ, Sajine et Perfilev bâtissaient leur communauté en entrant directement en contact avec les médecins au sein des polycliniques : un processus lent. Au cours des quatre premiers mois d'existence du site Docteur au travail, l'on y recensait 1 000 utilisateurs. Les deux partenaires se sont ensuite mis à attirer les médecins en utilisant les groupes spécialisés des réseaux sociaux russes : VKontakte et Odnoklassniki. Un an plus tard, leur communauté regroupait déjà 30 000 utilisateurs. Jusqu'en 2011 toutefois, la plateforme était aux prises avec des problèmes de monétisation.
« En Russie comme à l'étranger, il n'existe que deux modèles de monétisation pour les réseaux dédiés aux médecins : la promotion des médicaments et le recrutement de médecins pour les annonceurs, indique M. Sajine. Nous avons décidé d'opter pour le premier ».
Dans un premier temps, les fabricants de médicaments ne voyaient pas l'intérêt de travailler avec ce réseau social. Selon M. Sajine, ces derniers souhaitent pouvoir promouvoir leurs produits de façon ciblée : par exemple, un médicament pour le cœur auprès des cardiologues de la ville d'Ekaterinbourg. Les deux entrepreneurs ont réalisé qu'il leur fallait développer une stratégie agressive d'augmentation du nombre de visiteurs du site. Au cours des cinq dernières années, la société a consacré près d'1,5 million de dollars (1,2 million d'euros) à la publicité : un effort couronné de succès. Le mois précédent, les utilisateurs du site ont posté 186 000 publications. Selon le site Alexa.com, Docteur au travail est aujourd'hui le réseau social dédié aux médecins le plus fréquenté au monde.
Monétisation du concept
En 2012, Docteur au travail a eu de la chance : le législateur russe a interdit aux visiteurs médicaux d'approcher les médecins durant leurs heures de travail afin de faire la promotion de médicaments. Les compagnies pharmaceutiques ont ainsi été privées d'un canal de promotion de leurs médicaments et ont donc commencé à s'intéresser à ce réseau social en expansion rapide.
Selon M. Sajine, Docteur au travail a noué des partenariats avec 15 des 20 plus grandes sociétés pharmaceutiques mondiales présentes sur le marché russe. Le réseau social diffuse des bannières publicitaires, compile les avis des médecins sur tel ou tel médicament faisant l'objet de publicité, organise ensuite des conférences et des concours de publication consacrés au produit promu, pour ensuite récupérer les informations en fin de campagne. Le coût d'une campagne publicitaire est compris entre 16 000 et 32 000 dollars (13 100-26 200 euros).
Selon les estimations de M. Sajine, le potentiel du marché publicitaire des médicaments sur l'internet russe est élevé : l'an dernier, les firmes pharmaceutiques russes y ont déboursé 8,5 millions de dollars (6,9 millions d'euros), tandis que ce chiffre pourrait atteindre près de 150 millions de dollars (122,8 millions d'euros) d'ici quelques années.
Certains investisseurs misent également sur le projet Docteur au travail. En mars 2014, la société a attiré 3 millions de dollars (2,45 millions d'euros) en provenance de Guard Capital et de Bright Capital Digital, ainsi que 2,5 millions de dollars (2 millions d'euros) en octobre en provenance d'Aurora Venture Capital.
Les équivalents du projet Docteur au travail sont le site américain sermo.com, le japonais M3.com et le britannique doctors.net.uk. Le réseau social avait l'an dernier prévu d'entrer sur les marchés occidentaux mais la crise et les sanctions en ont décidé autrement.
« Les investisseurs étrangers ont aujourd'hui peur d'investir dans des projets en Russie, indique M. Sajine. C'est pourquoi nous allons nous développer en Russie et travailler afin d'améliorer nos applications mobiles. 40% des médecins accèdent aujourd'hui au site depuis un smartphone et nous prévoyons de consacrer près de 100 000 dollars en 2015 au développement du produit. »
Selon le représentant d'un fonds d'investissement russe, les revenus de Docteur au travail ne vont croître que de 10 à 15% par an en raison de l'abandon de l'entrée sur les marchés occidentaux. « Cette croissante minimale résultera des réductions de personnel médical dans les établissements publics de Russie et de la diminution de l'activité des docteurs en exercice sur les réseaux sociaux, indique l'expert. La crise financière entraîne une compression des budgets marketing des sociétés pharmaceutiques. Dans un contexte de diminution générale du pouvoir d'achat de la population, les patients vont avant tout chercher à minimiser les coûts et achèteront donc les médicaments les moins chers. Ces facteurs entraîneront une diminution des budgets publicitaires des entreprises pharmaceutiques. »
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