Les récompenses d’Oksana Savtchenko ne se comptent pas en dizaines mais en centaines. Crédit : AP
Lunettes sombres, les cheveux noués en chignon et de larges épaules de nageur épousant les formes de sa veste rayée aux couleurs vives : Oksana Savtchenko vient à notre rencontre à l’entrée de la piscine « Bourevestnik » d’Oufa. Ses mouvements et sa démarche sont assurés. Elle regarde autour d’elle mais ne nous remarque pas immédiatement. Nous lui faisons signe de la main, Oksana retire ses lunettes et esquisse un sourire. Nous nous rendons ensuite ensemble à la piscine dans laquelle s’entraîne la championne. Dans la salle de sport de dimensions modestes aux murs verts pâles un peu défraîchis, la jeune fille commence déjà son échauffement. Elle distingue à peine les objets, c’est pourquoi sa mère ne la quitte pas d’une semelle. Un autre protégé du groupe d’Igor Tveriakov, l’entraîneur d’Oksana, se frotte aux difficultés jalonnant la route des jeux olympiques.
« J’ai remarqué Oksana en 2004, au cours d’une compétition pour enfants en République Tchèque, raconte l’entraîneur. Elle avait treize ans, mais j’ai tout de suite détecté chez elle un puissant appétit de victoire. Ses parents étaient faciles à aborder, je suis allé leur parler et leur ai dit qu’elle deviendra une championne. Elle a grandi au Kamchatka, sa famille vivait dans une résidence collective. Lorsque elle n’était encore qu’un nourrisson, elle a commencé à se gratter les yeux. Le médecin leur disait : c’est une conjonctivite. Et le bébé pleurait, ne dormait pas de toute la nuit. Il s’est avéré qu’en fait, le nerf optique avait commencé à s’atrophier. Elle a subi plusieurs opérations en l’espace d’un an, le processus a été stoppé mais seul un œil a pu être sauvé ».
Les récompenses d’Oksana Savtchenko ne se comptent pas en dizaines mais en centaines. Elle a ainsi remporté plus de 60 fois les championnats de Russie et accumulé plus de 50 victoires aux championnats d’Europe et du monde. Les deux derniers Jeux Paralympiques ont fait d’elle la sportive la plus titrée de l’équipe nationale russe.
« Après Pékin, j’ai pris goût à la gloire et au succès, admet franchement Oksana. Mes amis et mon entraîneur m’ont très rapidement fait revenir sur terre. Après les Jeux Paralympiques, je suis parti disputer les championnats d’Europe. Je me considérais déjà comme une grande championne et j’étais à 100 % convaincue que comme j’avais remporté les Jeux une fois, j’allais tout gagner là bas. Au total, j’ai raté tous mes départs. Alors, pendant ces championnats, j’ai eu une longue conversation avec mon entraîneur. Il m’a expliqué qu’il n’y avait pas que la victoire mais aussi des échecs, et qu’il ne fallait pas se laisser affecter. Et travailler davantage. C’est une disposition psychologique valable pour la vie entière. Après ce championnat, je n’ai plus raté un seul départ ».
Oksana Savtchenko est née le 10 octobre 1990 à Petropavlovsk-Kamtchatski. A l’âge de 13 ans, elle remporte sa première course importante. Depuis lors, Oksana a remporté plus d’une centaine de médailles d’or et décroché plus de 50 victoires en championnats d’Europe et du monde. Ses trois premières médailles d’or paralympiques ont été gagnées au cours des Jeux 2008 de Pékin. A Londres, la russe a remporté 5 nouvelles médailles et est devenue championne paralympique pour la huitième fois.
Lorsque l’on parle avec Oksana, l’on s’imprègne sans le vouloir de son énergie. Dans ses paroles, pas une seule trace de fausseté ou de vantardise. « Maman a essayé de m’élever comme une enfant sans limitations physiques. J’ai dû m’adapter aux autres élèves, étudier me coûtait deux fois plus d’efforts qu’eux et mes camarades de classe m’appelait la bigleuse. Mais j’ai grandi comme une personne normale, ils me traitaient en égal. Et je nageais avec des enfants ordinaires, il n’y avait pas d’équipe paralympique », se remémore calmement Oksana à propos de son enfance.
Je n’en ai jamais voulu à Dieu pour ce qu’il m’est arrivé. Je suis heureuse d’être capable de voir le monde par au moins un œil ! J’essaye de ne jamais penser à ce que pourrait être ma vie si j’avais eu une bonne vue. Je suis comme je suis. Et je n’arrive pas à imaginer comment tout cela serait s’il n’y avait pas le sport dans ma vie. Mais quand j’ai des connaissances qui commencent à se plaindre de leurs problèmes qui n’ont rien d’insurmontables, je dis simplement : « regardez les jeux paralympiques ! ».
Nous nous asseyons à une table en plastique bleu à proximité de la piscine de 25 mètres : deux fois plus courte que celles des principales compétitions mondiales. Oksana nage d’un rebord à l’autre, à une vitesse moyenne. Au début, un autre nageur s’entraîne également sur la même ligne, et c’est seulement lorsque la piscine se désemplit que les athlètes paralympiques ont la possibilité de s’entraîner individuellement.
« Ces conditions sont suffisantes pour se maintenir en forme, mais pour obtenir des progrès significatifs, partir en stage d’entraînement s’avère indispensable. Avant les Jeux Olympiques, ils étaient 7. Cette année ils ne sont que trois pour la préparation en vue des championnats du monde. Actuellement, tous les crédits sont affectés aux sports d’hiver avec les Jeux Olympiques d’hiver de Sotchi. Mais nous gagnons malgré tout ! Engraisser le chat ne donne pas toujours de bons résultats, courir dans les rues et connaître la faim est plus vivifiant ! » plaisante Tveriakov.
Tveriakov a aussi sa propre histoire. Ses protégés, les athlètes paralympiques d’Oufa, sont souvent la cible de récriminations : ils sont en bonne santé dit-on, et ne devraient pas participer aux Jeux Paralympiques. Les interviews avec ses accusateurs apparaissent dans la presse locale. « Pour nous, les handicapés sont des personnes sans bras, sans jambes, mais les instances paralympiques internationales les divisent en catégories mises en compétition les unes avec les autres. Tout est strictement contrôlé par des commissions spéciales, vouloir tricher est vain. Mais notre succès fait des jaloux en Russie. J’ai tout de suite prévenu les gosses : vous avez mis la main sur votre portion de gloire, la prochaine sera une portion de saletés. Comme Oksana est la plus brillante c’est également la plus enviée », l’indignation, la colère et l’amertume sont perceptibles dans la voix de l’entraîneur.
« Ca a été la pire année de ma vie. Les scandales avec l’entraîneur, la dépression, les vieilles blessures qui refont surface, de nouvelles qui apparaissent, j’ai plusieurs fois pensé arrêter le sport. Même maintenant, quand je prends une médaille dans la main, je ne peux pas expliquer comment j’ai pu survivre à tout ça sans devenir folle », plaisante Oksana, en racontant ses souvenirs des préparatifs en vue des Jeux Paralympiques 2012, mais ensuite, son visage redevient grave.
« Un jour, alors que je devais faire un parcours de 400 mètres de nage, des vaisseaux capillaires se sont rompus, mais je suis quand même allée sur la ligne de départ avec les yeux rouges et plein de sang. Il n’y a que peu de personnes qui réalisent que nous ne nageons pas que pour nous-mêmes mais aussi pour que le mouvement paralympique soit davantage connu en Russie. A Londres, nous avons eu pour la première fois une très bonne couverture médiatique des Jeux Paralympiques, mais après Pékin beaucoup de gens me demandaient de quoi il s’agissait ».
Oksana ajoute : les polémiques autour de leur « charlatanisme » ne l’ont pas mise en colère, mais blessée. Elle se remémore son premier championnat paralympique de Russie, lorsque les organisateurs n’avaient même pas de quoi acheter des médailles, sans même parler du prix. Mais les difficultés financières n’ont eu aucun effet sur leurs aspirations à la victoire.
« Avant, c’était une grande joie lorsque les déplacements sur les compétitions étaient pris en charge, explique Oksana. C’est seulement maintenant que l’on a commencé à distribuer de l’argent et des appartements en cas de victoire. Et certaines personnes ne sont devenues athlètes paralympiques qu’uniquement parce qu’ils espèrent en tirer profit. Mais même cela, c’est une source de motivation : même si c’est par amour de l’argent, mettez-vous au sport ! La principale chose qui a commencé à faire changer les comportements : désormais on nous considère enfin comme des athlètes. »
Article original publié sur le site de Rousski Reporter
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