Pourquoi Moscou démolit ses kiosques

Moscou, Russie, le 9 février 2016. L'entrée du métro Tchistye proudy.

Moscou, Russie, le 9 février 2016. L'entrée du métro Tchistye proudy.

Mikhail Japaridze/TASS
La guerre des autorités de la capitale russe contre les kiosques illégaux a créé dans certaines rues de la ville des paysages apocalyptiques. Les propriétaires de petites boutiques estiment cette démolition illégale et comptent saisir la justice.

Le vestibule de la station de métro Kropotkinskaïa (à deux pas de la place Rouge) se présente en forme d’arc. Il y a à peine quelques jours, il était prolongé par deux rangées parallèles de kiosques abritant de petits commerces et cafés. Aujourd’hui, la moitié des constructions est rasée et des montagnes de gravats s’élèvent sur les lieux.

De tels paysages apocalyptiques sont observés actuellement dans tous les quartiers de Moscou. La marie de la ville a déclaré la guerre aux kiosques illégaux. Une centaine d’échoppes a été démolie dans la nuit du 8 au 9 février.

Les morceaux de verre craquent sous les pieds ; les vitrines de chaque kiosque épargné pour le moment affichent la même inscription : « LA CONSTRUCTION N’EST PAS ILLEGALE ». Toutefois, les locataires ne sont pas certains de pouvoir éviter le triste sort de leurs voisins.

Exécution sommaire

Crédit : EPA, Reuters, Sergey Mikheev/RG, Mikhaïl Japaridze/TASS

Un homme qui fume flegmatiquement à l’entrée de l’un des kiosques près de la station Kropotkinskaïa et qui dit se nommer Roman, raconte qu’il travaille dans l’un des cafés rescapés. Il ne sait pas pourquoi certains commerces ont été démolis et d’autres non : « Le propriétaire est le même. Lesautreséchoppesserontsansdoutedétruitesplustard ».

Dans la nuit du 8 au 9 février, Roman a travaillé jusque tard dans la nuit et a vu les pelleteuses arriver et entamer leur activité. « L’opération a été cruelle, a poursuivi Roman. Les vendeurs du kiosque d’Euroset (détaillant russe de téléphones portables) n’ont même pas eu le temps de sortir les matériels. Ils demandaient d’attendre un peu, mais personne ne les a écoutés et leur boutique a été démolie sur-le-champ ».

La propriétaire du kiosque, l’entrepreneur Anna Azidi, a confirmé les propos de Roman dans une interview au site The Village : « La plupart ont sorti la moitié des produits alimentaires et d’autres articles, mais ceux qui n’ont pas eu le temps ont dû chercher leurs marchandises dans les décombres. Nous étions dans le kiosque d’Euroset et ils ont plongé leur pelle sans même attendre qu’on soit sortis ».

Position de la mairie

Les commerces détruits étaient situés près des stations de métro et ont été construits pour la plupart dans les années 1990, lorsque Moscou avait pour maire Youri Loujkov. Vaste et brutale, l’attaque contre les kiosques a même été qualifiée dans les réseaux sociaux de « Nuit des Longues pelles ».

L’actuel maire de la capitale russe, Sergueï Sobianine, a souligné sur sa page dans le réseau VKontakte que les démolitions n’avaient touché que les constructions « dangereuses pour les Moscovites », élevées sur des terrains traversés par des services d’utilité publique ou dans des espaces publics. Il a rappelé que ces kiosques avaient été construits « avec la complaisance de fonctionnaires », faisant allusion au haut degré de corruption des autorités précédentes de Moscou.

Indignationdespropriétaires

Les propriétaires des commerces démolis sont profondément indignés et rejettent toute accusation de construction illégale. Selon Edouard Siloyan, chef de la section immobilier commercial de l’organisation Delovaya Rossia (la Russie des affaires), de nombreux propriétaires de kiosques démolis avaient obtenu gain de cause en justice concernant la légalité leurs constructions. « D’après nos informations, la justice a reconnu comme légaux 27 kiosques sur 97. Il est évident qu’après une telle décision, ils ne s’attendaient pas du tout à voir leurs boutiques démolies », a indiqué Edouard Siloyan à RBTH.

Le chef de l’Inspection d’Etat pour l’immobilier (organisation au sein du gouvernement de la ville qui a déterminé les kiosques à démolir – RBTH), Sergueï Chogourov, s’est élevé contre les arguments des propriétaires. Ces derniers se sont souvent livrés, selon lui, à des fraudes : l’entrepreneur recevait une autorisation pour une échoppe ambulante qu’il transformait par la suite en commerce raccordé aux services d’utilité publique. Du point de vue juridique, ce type de transformation équivaut à une construction illégale.

Esthétiqueet éthique

Il est impossible d’affirmer que les kiosques victimes des pelleteuses bénéficiaient de l’admiration de tous les Moscovites. Les architectes ne vouaient pas un grand amour à l’héritage de l’époque de Loujkov. « Lors de la construction, la question de l’architecture n’a même pas été soulevée : on a simplement construit des entrepôts dans le centre-ville », indique le site Lenta.ru en citant l’urbaniste Arkadi Guerchman.

Toutefois, de nombreux Moscovites ont été choqués par la violence de cette opération et par le fait que le coup ait visé les infrastructures des PME. Piotr Mirochnik, coordinateur de l’association Arkhnadzor qui défend les monuments architecturaux, a expliqué sa position à RBTH : certains kiosques ont effectivement été construits illégalement (notamment dans les espaces attenants aux monuments architecturaux), mais ce n’est pas une raison pour tout démolir en l’espace d’une nuit. « Mais que des kiosques de fleurs soient détruits de nuit à la pelleteuse, c’est exagéré », a-t-il déploré.

Etmaintenant ?

Sergueï Sobianine a assuré que « les propriétaires des kiosques démolis se verraient proposer des aires alternatives ». Les petits propriétaires ne subiront ainsi aucun préjudice. Selon Oleg Botcharov, chef du département de la science, de la politique industrielle et de l’entreprise de Moscou, dans une interview au journal russe RBC, cela signifie que les autorités de la ville construiront à leurs frais des kiosques dans des lieux où la présence de ceux-ci n’enfreint pas la législation, après quoi elles organiseront des ventes aux enchères. Pourtant les propriétaires des commerces démolis ne bénéficieront d’aucun avantage par rapport à leurs concurrents.

Une telle perspective n’arrange aucunement les propriétaires des échoppes détruites, qui ont l’intention de demander des indemnisations à la mairie. « Nous nous adresserons à la justice. Que pouvons-nous faire d’autre ? a dit à The Village Anna Azidi, propriétaire de kiosques près de la station Kropotkinskaïa. Cela fait 25 ans que nous travaillons à cet endroit ».

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