L’Union européenne a donné son feu vert à une prolongation des sanctions contre la Russie jusqu’en août 2016 « étant donné que les accords de Minsk ne seront pas mis en œuvre intégralement d’ici le 31 décembre 2015 », indique le Conseil de l’UE dans un communiqué de presse. Le communiqué ajoute que « la durée des sanctions a été prorogée pendant que le Conseil continue d’évaluer l’état d’avancement de leur mise en œuvre ». La Russie fait remarquer pour sa part que la mise en œuvre des accords de Minsk-2 ne dépend pas d’elle et que le rapport établi entre les sanctions et le conflit dans le sud-est de l’Ukraine est artificiel et infondé. « La situation changera si l’UE incite Kiev à matérialiser l’ensemble de mesures permettant l’application des accords de Minsk approuvés par la résolution 2202 du Conseil de sécurité des Nations unies », a souligné le ministère russe des Affaires étrangères.
La Crimée entre parenthèses
Toutefois, la décision de prolonger les sanctions économiques n’a pas fait l’unanimité au sein des pays-membres de l’UE, même si, finalement, ils ont fait front commun (tous les membres du Conseil de l’UE ont soutenu cette décision). Les sanctions suscitent de plus en plus de questions, constate Sergueï Outkine, chef du département d’études stratégiques et d’analyse situationnelle de l’Académie russe des Sciences. Début décembre, l’Italie a essayé d’engager des débats sur l’opportunité des sanctions en s’opposant à leur prolongation automatique et en exigeant un examen politique du problème. Des appels à abroger ces mesures avaient été lancés précédemment depuis la France, l’Allemagne, la Grèce et la Tchéquie. Mais l’Occident a décidé que la condition sine qua non pour lever ces sanctions serait une application intégrale des accords de Minsk. Dès lors, c’est une question de principe pour l’Union européenne. « Il y va de la capacité de l’UE à réaliser ses propres décisions et elle ne peut pas faire preuve d’incohérence », a poursuivi Sergueï Outkine. Cependant, la décision de lier les sanctions à la situation dans le Donbass est non seulement un compromis des pays occidentaux entre eux, mais également un compromis avec la Russie, car la Crimée se retrouve pratiquement entre parenthèses.
D’où viennent les critiques
Pour l’instant, la discipline « européenne » l’emporte sur les intérêts politiques de certains pays pris individuellement, bien qu’il existe au sein de l’UE des groupes qui tentent de renforcer leur influence en utilisant une rhétorique anti-sanction. Au sein du parlement européen, ce sont les sociaux-démocrates, le Parti populaire européen (PPE) et un nombre restreint de partis libéraux. Par exemple, le Parti libéral-démocrate allemand qui a perdu tous ses sièges au Bundestag lors des législatives de 2013, mais qui reste présent dans l’arène politique, note Leonid Goussev, du Centre analytique de l’Institut des études internationales.
En novembre 2014, le chancelier autrichien, Werner Faymann, avait mis en doute l’efficacité des sanctions, se référant à leur opportunité économique. En effet, une grande partie des bénéfices de la banque autrichienne Raiffeisenbank venait de ses succursales en Russie. « L’Europe éprouve également la pression du monde des affaires pour qui une économie de marché développée suppose l’absence de barrières. Cette pression se traduit par des déclarations politiques en faveur de la levée des sanctions », a expliqué Alexeï Portanski, professeur à la faculté de l’économie mondiale et de la politique internationale de la Haute école d'économie.
Une question vitale
A l’intérieur de l’UE, les avis divergent aussi sur le projet de gazoduc Nord stream-2. Malgré les sanctions, l’Allemagne a signé un pacte d’actionnaires avec la Russie sur ce pipe-line, ce qui a suscité le vif mécontentement de l’Italie, partisane elle, d’un autre projet : South Stream. Même si ce dernier a pourtant été abandonné après des objections de la Commission européenne. Nord Stream-2 risque donc de devenir la cible de vives critiques, mais les experts ne se dépêchent pas de lier ce projet aux sanctions ou aux intérêts économiques de certains pays. Les débats sur le doublement du gazoduc Nord Stream auraient été houleux même sans la crise dans le sud-est de l’Ukraine car l’idée de réduire la dépendance énergétique de l’Europe a surgi bien avant ce conflit, a rappelé Alexeï Portanski.
La question des sanctions est à double tranchant : tout le monde subit des pertes économiques, mais la Russie et l’UE sont capables de vivre dans ce régime, estime Sergueï Outkine. Car certains pays occidentaux doivent affronter des problèmes politiques bien plus importants que ces problèmes économiques. « Pour les pays baltes, la critique de la Russie dans le cadre de la situation dans le Donbass est une question vitale. Ils croient fermement que leur sécurité et leur position en Europe s’en trouvent renforcées. Bien qu’ils soient ceux qui assument les plus lourdes conséquences de l’embargo agricole introduit par la Russie en réaction à ces sanctions ».
Sanctions – qui est le grand perdant ?
Dmitri Abzalov, président du Centre des communications stratégiques :
« La France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et l’Italie sont les pays les plus touchés par les sanctions décrétées contre les secteurs pétrogazier et financier russes.
Les pertes liées au secteur financier sont particulièrement importantes, étant donné que pour plusieurs pays européens, le marché russe était très prometteur.
Les sanctions ont entravé les opérations des grandes banques avec leurs filiales russes, notamment de Raiffeisenbank et de Rosbank (contrôlée par Société générale).
Les sociétés russes ne placent plus leurs actions sur les marchés étrangers. Or, avant l’introduction des sanctions, leur lieu de prédilection était la Grande-Bretagne, la Bourse de Londres. Les sociétés russes ne sont pratiquement pas présentes sur d’autres places financières, telles que la Bourse irlandaise ou celle de New York.
En outre, les sanctions ont privé le secteur corporatif russe de prêts occidentaux. Ainsi, la dette corporative s’est réduite de moitié. Or, les paiements pouvaient être reportés ou rééchelonnés et les banques européennes auraient touché des dizaines de milliards d’euros d’intérêts supplémentaires.
Les principaux créanciers étaient l’Allemagne et la France. L’Italie débloquait, elle aussi, des prêts pour l’agriculture. »
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