Vers une simplification du travail des journalistes en Russie

Crédit : Mikhail Japaridze / TASS

Crédit : Mikhail Japaridze / TASS

Le Conseil de la Fédération (chambre haute du parlement russe) propose de relever de leurs fonctions pour un an les fonctionnaires qui ne répondent pas aux requêtes des journalistes. Il y a quinze jours, un projet de loi approprié a été approuvé par la commission de la chambre pour le perfectionnement de la législation sur les médias.

Le Conseil de la Fédération a approuvé la semaine dernière un projet de loi proposant de suspendre de leurs fonctions pour un an les responsables qui ne réagissent pas aux requêtes des journalistes. Aux termes de la législation russe, les fonctionnaires sont tenus de répondre aux demandes des journalistes, mais en réalité ils ne daignent souvent pas réagir, car ce silence n’entraîne aucune sanction.

Les journalistes des médias russes constatent qu’il est pratiquement impossible d’obtenir un commentaire et qu’il est très difficile de mener des enquêtes dans de telles conditions. La chambre haute du parlement a décidé de donner un coup de pouce aux journalistes.

Disqualification d’un fonctionnaire

Le Conseil de la Fédération prévoit avant tout d’augmenter la somme de l’amende qui existe d’ores et déjà pour tout fonctionnaire refusant de fournir des informations aux médias et propose de la faire passer de 1 000 à 3 000 roubles, voire 5 000 roubles (respectivement 14, 40 et 70 euros d’après le cours du 20 février).

Mais étant donné que le salaire moyen d’un député à la Douma (chambre basse) s’élève, d’après une résolution du président Vladimir Poutine du 1er septembre 2014, à 420 000 roubles (presque 6 000 euros), cette amende, même après sa majoration, restera une somme dérisoire. Au final, cette démarche constituera plutôt un avertissement aux fonctionnaires.

Toutefois, si le même fonctionnaire refuse une deuxième fois de fournir des informations à un journaliste, il peut être « suspendu dans ses fonctions pour un délai allant de six mois à un an », indique le projet de loi.

L’auteur du document, Vitaly Ignatenko, président de la commission de la chambre haute pour le perfectionnement de la législation sur les médias (qui a été le directeur général de l’agence TASS de 1991 à 2012), estime que ce projet de loi est indispensable.

« Une amende de 3 000 roubles, le fonctionnaire peut la payer tous les jours s’il ne veut pas répondre aux questions, tandis que la disqualification l’obligera à prêter l’oreille à l’opinion des médias », a-t-il dit dans une interview au journal russe Kommersant. D’après Vitaly Ignatenko, la restriction des droits des fonctionnaires « est une sorte d’obligation de dialoguer ».

Afflux de questions

Andreï Kozenko, journaliste du site Meduza qui s’occupe d’enquêtes, estime que les relations entre les journalistes et les fonctionnaires sont déjà assez réglementées.

« Les représentants de la fonction publique se doivent de répondre aux requêtes des médias. Ceux qui font traîner en longueur le processus en répondant à un quotidien dans un délai de dix jours s’attirent des ennuis, a-t-il expliqué à RBTH. Le refus de fournir un commentaire est plus significatif pour le lecteur plus que le commentaire lui-même. La pression réciproque ne cesse de monter : l’État exerce une pression sur la politique rédactionnelle des médias, mais, dans un contexte de crise, ce sont les journalistes qui commencent à faire pression sur les fonctionnaires. Les événements médiatiques négatifs sont trop nombreux. »

Selon Andreï Kozenko, « le projet de loi dans sa rédaction actuelle ne sera pas capable de remédier à la situation, il ne fera que l’aggraver ».

Nikolaï Svanidze, historien et présentateur à la télévision, pense lui aussi qu’un tel document est impossible à appliquer et qu’il ne fera que compliquer le travail des journalistes.

« Les médias sont aujourd’hui très nombreux chez nous. Il faudra répondre aux questions de n’importe quel journal ou site, y compris les plus petits, ainsi que de tous les blogueurs qui ont été contraints de s’enregistrer comme des médias, a-t-il déclaré à RBTH. Ou bien faut-il diviser les médias en « bons », auxquels il est indispensable de répondre, et « mauvais », qu’il est possible d’ignorer ? »

Nikolaï Svanidze est convaincu que si le projet de loi est adopté, les ministères verront apparaître des fonctionnaires chargés d’écrire aux journalistes des réponses correctes mais creuses.

D’après Nikolaï Svanidze, cette loi n’a aucun rapport avec la liberté de la presse, étant donné que les médias ne sont révélateurs que du niveau de liberté dans la société et ne peuvent pas être régis par une seule loi.

« Pour augmenter réellement la liberté de la presse, il faut qu’elle puisse dire et écrire ce qu’elle pense. Il faut en outre que les journaux ne soient pas fermés ni soumis à des sanctions économiques, et ne voient pas leurs rédacteurs en chef licenciés pour avoir formulé leurs idées », a-t-il fait remarquer. 

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