« Des Russes se font tuer, vous devez les défendre »

Des soldats russes lors d’un cours pratique. Crédit : Kirill Kallinikov/RIA Novosti

Des soldats russes lors d’un cours pratique. Crédit : Kirill Kallinikov/RIA Novosti

Les engagés d’une unité russe ont entamé un bras de fer avec leurs commandants après avoir supposé qu’ils pourraient être dépêchés sur le territoire de l’Ukraine. Le site Gazeta.ru a lancé une enquête et découvert le numéro de l’unité. Les journalistes ont ensuite contacté les deux parties au conflit et retrouvé l’enregistrement de l’intervention du responsable adjoint des activités politiques qui appelait les militaires à aller dans le Donbass.

Sergueï Krivenko, membre du Conseil présidentiel des droits de l’homme, a demandé au ministère russe de la Défense de vérifier les informations selon lesquelles les engagés de la région de Mourmansk (nord-ouest de la Russie) auraient été prévenus d’éventuelles missions en territoire ukrainien.

Lorsqu’ils ont demandé les causes d’une telle décision, il leur a été répondu : « Il faut aimer sa Patrie. Des Russes s’y font tuer et vous devez les défendre », a raconté Sergueï Krivenko.

D’après lui, une telle explication du commandant ne constitue pas un fondement juridique pour l’envoi de troupes russes à l’étranger.

Gazeta.ru a réussi à joindre un engagé de la 536ème brigade côtière de missiles et d’artillerie de l’unité militaire 10544 qui, sous couvert d’anonymat, a décidé de parler (Gazeta.ru connaît le nom de cet homme, tandis que Sergueï Krivenko dispose de sa demande appropriée).

Selon l’engagé, le 28 janvier 2015, lui et 58 autres militaires ont été convoqués chez le commandement. Un représentant de ce dernier a annoncé qu’ils seraient transférés dans l’unité militaire stationnant à Spoutnik (région de Mourmansk) puis à Rostov-sur-le-Don et a laissé entendre qu’ils pourraient être dépêchés par la suite dans les régions orientales de l’Ukraine.

« Nous devons fournir notre aide selon les principes »

Le 31 janvier, face au mécontentement des soldats, le lieutenant-colonel Viatcheslav Okanev, responsable adjoint des activités politiques de l’unité 10544, s’est rendu à Spoutnik pour parler aux soldats. Gazeta.ru dispose de l’enregistrement de l’entretien qui a duré 1 heure et 12 minutes.

« Vous remplissez tous une mission d’entraînement et de combat. (…) Vous pourriez recevoir l’ordre de continuer vos exercices en terrain inconnu », dit Viatcheslav Okanev, en ajoutant que les soldats pourraient être transférés dans n’importe quelle région militaire. Il propose de rompre leur contrat à ceux qui ne veulent pas se conformer aux ordres.

« La guerre n’est pas déclarée chez nous. Pourquoi doit-on combattre pour un autre pays ? », a demandé un engagé. La réponse a été la suivante : « En effet, la guerre n’est pas officiellement déclarée », mais « nous devons accorder notre aide selon les principes humains, éthiques, militaires et tous les autres ». L’un des militaires a questionné l’homme pour savoir si sa famille toucherait quelque chose en cas de malheur. Viatcheslav Okanev a répondu qu’il ne pouvait pas garantir que les soldats ne seraient pas oubliés et que des dédommagements seraient payés aux familles. Toutefois, « il y a des gens sensés là-haut », a-t-il indiqué, « et ils étudient probablement la question » afin « d’adopter le statut de participant aux hostilités et de décider d’allocations, de privilèges sociaux et de services médicaux ».

« Certains cherchent à semer le trouble »

Gazeta.ru a réussi à contacter le commandant de l’unité, le colonel Youri Riazantsev, qui a déclaré qu’il n’avait pas l’intention de dépêcher des hommes en Ukraine. Les officiers ont été affectés à la brigade d’infanterie de marine et retourneront prochainement sur leur secteur, a-t-il affirmé.

 

« Je ne sais pas qui leur a raconté des histoires sur leur transfert en Ukraine. J’ai eu des conversations, tout comme le responsable adjoint des activités politiques : vous n’allez nulle part, vous n’allez pas dans la région de Rostov-sur-le-Don ni, d’autant moins, en Ukraine. La peur grossit les obstacles et certains cherchent à semer le trouble », a-t-il souligné.

Gazeta.ru a pris contact avec Viatcheslav Okanev. A la question de savoir si le commandant est intervenu devant les soldats, il a répondu : « C’est possible », tout en ajoutant qu’il en parlait « de façon théorique ». En effet, a-t-il poursuivi, « les officiels ukrainiens ont annoncé avoir l’intention de tenir un défilé à Sébastopol, ainsi que d’organiser d’ici un mois une offensive vers la Tchétchénie qui n’est pas loin de la région de Rostov-sur-le-Don, du territoire de Stavropol, de Krasnodar et de la région de Briansk ». « Nous devons être prêts », a-t-il fait remarquer, mais a noté que « l’appel à s’y rendre n’était qu’une phrase isolée de son contexte ».

Un crédit pour servir

L’épouse de l’un des engagés affirme, se référant aux paroles de son mari, que plusieurs groupes de militaires engagés ont déjà été transférées à Spoutnik depuis l’unité 10544.

Toujours d’après Gazeta.ru, des manœuvres similaires peuvent avoir lieu sur d’autres secteurs de stationnement des troupes dans la région de Mourmansk. Irina Païkatcheva, défenseur des droits de l’homme, affirme qu’un incident similaire s’est produit dans la région l’année dernière. Les anciens appelés ont été invités, selon elle, à signer un contrat pour continuer leur service avec éventuel transfert en Ukraine. En échange, ils se voyaient proposer différents biens, allant d’un prêt hypothécaire à des permissions avec possibilité de transfert vers des unités plus « calmes ».

Les responsables du ministère de la Défense rejettent toutes les affirmations les accusant de participer au conflit en Ukraine. Le vice-ministre russe de la Défense, Nikolaï Pankov, a déclaré pour sa part à Gazeta.ru que ce n’était pas la première fois que les militaires russes étaient accusés de dépêcher des soldats et des officiers en Ukraine. Mais après une analyse détaillée, il s’avérait chaque fois que les informations étaient fausses. « Cette fois aussi, nous allons tout vérifier scrupuleusement, mais je peux vous assurer que nous n’avons transféré et que nous ne transfèrerons personne en Ukraine », a dit Nikolaï Pankov.

Viktor Zavarzine, membre de la commission de la défense de la Douma (chambre basse du parlement russe), estime que les déclarations de ce genre des défenseurs des droits de l’homme ne doivent pas être prises au sérieux, celles-ci constituant selon lui une tentative de profiter de la situation dans l’intérêt de certains. « Il n’existe aucun fait. Montrez-moi la directive. Cette campagne n’est pas sérieuse et doit être cessée », a-t-il souligné.

Il a rappelé qu’on « ne dépêchait personne officiellement » en Ukraine, mais que « si quelqu’un était en congé ou avait rompu son contrat », il avait le droit « de se rendre n’importe où ».

Texte original publié sur le site de Gazeta.ru

Commentaire de Sergueï Krivenko, membre du Conseil présidentiel des droits de l’homme

« Nous ne disposons pas encore de commentaires du ministère de la Défense, mais ce dernier possède un accord avec le Conseil au sujet de l’échange de documents concernant les droits des militaires. Nous attendons la réponse. Selon nos collègues de la région de Mourmansk, une commission du ministère de la Défense s’y est rendue. La situation est inquiétante et étrange. Le ministère de la Défense a déclaré à plusieurs reprises qu’il n’y avait pas (en Ukraine) de troupes russes et voilà que des commandants et leurs adjoints disent aux engagés que ceux-ci peuvent être transférés en Ukraine : une telle situation soulève évidemment des questions. Et nous voulons préciser si ce sont les militaires qui ont mal compris, les commandants qui ont mal formulé leur idée ou quelque chose d’autre. C’est le premier cas de demande collective, lorsque les hommes ont cité leurs noms réels et ont accepté de signer le document. Jusqu’ici, il n’y a eu que des plaintes isolées au téléphone au sujet de telles missions. J’y suis allé moi-même pour vérifier si ce n’est pas une plaisanterie. Ce sont de vrais engagés patriotes, ils ne refusent pas de servir, ils sont prêts à se conformer aux ordres, mais à des ordres légaux. Le Conseil des droits de l’homme n’a ni les forces, ni les moyens d’organiser une enquête parallèle, mais nous suivons de près la situation. Si le ministère de la Défense affirme qu’il n’y a aucune violation, mais que les plaintes continuent d’affluer, nous continuerons d’étudier la situation et de collecter les informations. »

 

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