Le monde au bord de la scission

Crédit photo : TASS

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La semaine dernière, Vladimir Poutine a accordé un entretien à une grande agence d'information russe. Le dirigeant russe y a présenté sa vision du système mondial et la place de la Russie au sein de ce forum.

Le président russe a souligné dans son entretien à l'agence TASS l'importance croissante du G20, qui devient progressivement le forum mondial le plus influent. Pour Poutine, il ne s'agit pas d'un Conseil de sécurité élargi, mais d'une « plateforme qui permet de se réunir et d'évoquer les relations bilatérales et les problèmes globaux, pour tenter de développer une vision commune sur le fond des problèmes et les solutions possibles ».

Le G20 se transforme encore, et cette vision a droit de cité« Contrairement à plusieurs autres forums, comme Conseil de sécurité de l'Onu ou le G7, le G20 est plus représentatif. Il s'agit là d'une représentation réelle, car, contrairement à l'Assemblée générale de l'Onu, le G20 ne réunit que des États influents capables d'agir. Ainsi, à l'Assemblée générale, les membres ne font que s'exprimer, alors qu'au sein du G20, ils parviennent à trouver des solutions concrètes », explique Dmitri Souslov, directeur adjoint des programmes d'étude du Conseil pour la Politique extérieure et de Défense de la Russie et membre du Club de Valdaï.

Par ailleurs, les participants s'y sentent plus libres de fixer l'agenda des discussions et les lignes d'action à long terme. « Le G20 ne dispose pas d'instruments de mise en œuvre des décisions ni d'organismes contraignants qui veillent au respect des décisions. Ainsi, si à l'issue de la rencontre la conjoncture évolue, les États peuvent simplement renoncer à exécuter les décisions prises lors du forum », explique Ivan Timofeïev, directeur des programmes du Conseil russe pour les affaires internationales.

Le président russe a également abordé le sujet des sanctions introduites contre la Russie par l'Occident. Selon Poutine, les sanctions n'affectent pas uniquement la Russie, mais également les économies européennes qui perdent des débouchés importants. « Notre coopération avec la République fédérale d'Allemagne s'y traduit par 300 000 emplois. S'il n'y a plus de commandes, c'est fini. Ils se requalifieront, sans doute, dans un autre domaine, reste à savoir lequel », explique Vladimir Poutine.

« Aujourd'hui, les entreprises et les États européens sont contraints de chercher des moyens de compenser les pertes liées aux sanctions contre la Russie. Les sanctions ne sont pas la seule raison : la coopération économique souffre également de la baisse du nombre de visites d'affaires et de permis de travail accordés par la Russie, etc. Aujourd'hui, l'État déverse simplement de l'argent sur ses entreprises en espérant que la confrontation ne durera pas et que Moscou sera brisé », acquiesce Timofeï Bordatchev, directeur du Centre d’études européennes et internationales de l’École des hautes études en sciences économiques.

La principale conséquence négative des sanctions, pour le président russe, est qu'elles sapent « l'ensemble du système des relations internationales ». Le conseiller du président russe Iouri Ouchakov explique que cette thèse est soutenue par les autres pays du BRICS avec qui Poutine s'est entretenu en marge du sommet du G20.

Leur impact est multifactoriel. Premièrement, les sanctions, si chères à l'Occident ces derniers temps, sont avant tout un mauvais moyen de résoudre les conflits. « Les sanctions sapent la confiance entre les acteurs, ainsi que les institutions de l'ONU, pour se transformer en un instrument de concurrence non-régulée, où tous les moyens sont bons », explique Ivan Tomofeïev. « Plutôt que résoudre un problème, elles l'aggravent. Prenez, par exemple, le cas de l'Ukraine : on a introduit des sanctions contre la Russie, pouvons-nous pour autant constater une évolution positive en Ukraine ? Ont-elles conduit à la paix, à la prospérité et à la croissance économique ? Bien sûr que non, elles n'ont fait que causer des pertes pour toutes les parties du conflit ».

Deuxièmement, elles « sapent l'ordre financier et économique international global contrôlé par l'Occident (à travers le dollar, la régulation du marché financier global et le système de prise de décisions du FMI et de la Banque mondiale) », explique Dmitri Souslov. En effet, la Russie n'est pas le premier pays que l'Occident a frappé de sanctions, poursuit l'expert. Toutefois, « contrairement à l'Iran, la Russie est la sixième économie mondiale, un membre du G20 et du Conseil de sécurité de l'ONU. En la frappant de sanctions, l'Occident se tire une balle dans le pied, car tous les centres non-occidentaux de pouvoir – l'Inde, la Chine, le Brésil – y voient un précédent. Ils craignent qu'à un moment donné, ils puissent faire l'objet du même traitement pour des raisons purement politiques. Par conséquent, ils ont désormais intérêt à affaiblir le contrôle de l'Occident sur l'ordre économique mondial en place. Par exemple, via la création d'organismes alternatifs et d'un nouveau système de règlements financiers et économiques internationaux, déjà en cours ».

 Selon Dmitri Souslov, « les sanctions favorisent une nouvelle coopération entre les centres de pouvoir non-occidentaux, eurasiens, qui ne sont et ne seront pas inclus dans les projets américano-centrés. Ainsi, on constate un risque de scission entre l'Eurasie non-occidentale (Russie, Chine, Inde, Iran) et l'Occident élargi (les Etats-Unis, le Partenariat transatlantique et la Zone de libre-échange transatlantique) ».

Selon Dmitri Souslov, au lieu de chercher à transformer les associations régionales en autant d’éléments de l'ordre politique et économique mondial, et de respecter les règles du jeu communes, les Etats-Unis se sont engagés sur la voie consistant à exclure les pays qui ne reconnaissent pas le leadership mondial américain des associations d'intégration et à renforcer la coopération militaro-technique avec leurs alliés. Cette politique mène, incontestablement, à une plus grande scission dans le monde et à une intensification de la confrontation.

La situation est compliquée par le fait que l'Occident ne se rend même pas compte de ce problème. Selon Poutine, « le monde d'aujourd’hui se fixe un horizon de planification très restreint, notamment en matière de politique et de sécurité ». Les politologues confirment qu'il s'agit d'une tendance objective qui déstabilise gravement la situation dans le monde. « Le recours aux sanctions lui-même témoigne de l'absence de stratégies constructives de résolution des crises. S'il n'y a pas de stratégie, il n'y a pas de vision à long terme », estime Ivan Timofeïev. « Prenez le cas de l'Ukraine : cette année, nous avons observé de toute part des mesures improvisées prises sur le tas, des tentatives permanentes d'éteindre le feu »

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