Crédit photo : Maria Afonina
Qu’est-ce qui vous a ie plus impressionnée quand vous êtes arrivée en Russie pour la première fois ?
Ce pays a l’étrange particularité d’être à la fois en Europe et en Asie. D’ailleurs, comme je l’écris dans mon livre, il suffit de regarder une carte pour s’en rendre compte. L’impression d’être en Asie est donnée par son côté multiculturel – on côtoie les populations d’Asie centrale à travers la présence massive de l’immigration kirghize, ouzbek, tadjik, et même chinoise – mais aussi par les façons de faire, qui ne sont pas standardisées comme en Europe.
Le pays est aussi particulièrement contrasté. Dans la rue, des babouchkas vivent encore en URSS et côtoient des femmes sophistiquées qui parcourent le monde ; les vieilles Jigoulis soviétiques se mélangent aux Bentley, Cayenne et Rolls Royce ; les buildings ultra-modernes se dressent auprès d’anciennes demeures impériales, ou autres bâtiments soviétiques et petites datchas bringuebalantes….
Quand je suis arrivée à Moscou en 2007, j’ai aussi été frappée par l’environnement urbain qui avait un aspect complètement déglingué et chaotique, et qui contredisait l’image de grande puissance de la Russie. Cela est de moins en moins vrai.
Depuis l’arrivée du nouveau maire [Sergueï Sobianine, ndlr], l’urbanisme se normalise et la capitale tend à se structurer et à s’organiser de plus en plus. Même les règles de la circulation se standardisent. On ne peut plus se garer en vrac sur les trottoirs et les piétons ne sont plus la cible des chauffeurs.
Quelles réflexions vous inspire l’observation des Russes et des Français dans la vie quotidienne ?
Je dirais qu’il n’y a pas de si grandes différences dans la vie quotidienne entre les Russes et les Français. Mais il y a des aspects qui se révèlent en effet singuliers à la Russie. Par exemple, les bavardages dans la cuisine, lieu de confidences, ou la vie à la datcha.
Maureen Demidoff est également l’auteur du livre Portraits de Moscou. Elle est responsable éditoriale du site Russieinfo.com et correspondante freelance du journal belge L’Écho.
La famille est aussi souvent monoparentale, composée de la mère et de son enfant, et laisse une place essentielle à la grand-mère. Le rôle de la femme et de la babouchka est très important et l’on sent leur pouvoir au sein de la cellule familiale, beaucoup plus que dans une famille française.
Concernant l’état d’esprit des Russes, il se différencie des Français dans la vie quotidienne, par leur soif de consommation et leur absence de projection dans l’avenir. La famille est en quête de bonheur.
Les femmes cherchent à faire carrière pour leur épanouissement personnel et pour soutenir financièrement leur famille et profiter de la vie. Ne dit-on pas d’ailleurs en Russie que la femme porte le pays dans ses bras ?
Quelles sont les particularités russes à connaître pour une expatriation professionnelle réussie en Russie ?
Travailler en Russie est une aventure peu commune et excitante. Et comme le livre l’indique, c’est une authentique plongée dans l’interculturel. Les Russes sont déroutants car beaucoup d’étrangers les considèrent proches de la culture européenne, alors que cela s’avère souvent faux. Dans leurs attitudes et leurs comportements professionnels, ils sont plus spontanés que les Européens.
Ces derniers ont tendance à « lisser » leurs comportements pour avoir une attitude neutre considérée comme professionnelle alors que les Russes sont beaucoup plus émotionnels et ne cherchent pas à cacher leurs sentiments.
Le cœur s’exprime souvent avant la raison. Aussi, l’importance donnée aux relations personnelles est grande ; c’est pourquoi une affaire ne peut se conclure sans investissement relationnel.
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Ensuite, les stéréotypes ont la vie dure en Russie, mais l’alcool tient réellement une place importante dans la négociation de contrats ou simplement dans les relations professionnelles. Le but du jeu pour les Russes est de « faire tomber les masques », de découvrir la vraie personnalité de leurs interlocuteurs.
Enfin, la notion de hiérarchie est également très forte. Elle génère des difficultés lorsque l’on souhaite mettre en place un management participatif où les cadres vont s’impliquer pour rechercher les dysfonctionnements et participer à leur élimination. Les Russes ont l’habitude d’avoir une hiérarchie forte qui leur donne des directives et qui assume la responsabilité de leurs actes.
Trois recommandations à l’intention des Français qui veulent vivre en Russie ?
D’abord, je pense que le maître mot pour réussir son installation et sa vie en Russie est l’adaptation. Cela est d’autant plus vrai pour un pays comme la Russie qui est, pour reprendre l’expression d’un Français interrogé pour le livre, « le pays où l’imprévisible se vit au quotidien ».
Ensuite, comprendre la Russie demande du temps. Mais également de la patience et de la curiosité. Un voyage de reconnaissance ne suffit pas à faire comprendre où vous allez mettre les pieds. La Russie ne se livre pas en un clin d’œil : il faut la mériter.
Enfin, il ne faut pas avoir peur. La Russie n’a pas bonne presse en France, c’est le moins que l’on puisse dire, et traîne une réputation sulfureuse. Heureusement, le pays ne se résume pas à ce qui est écrit dans les médias ! Car si l’opinion des Français se fonde essentiellement sur le système politique et sur les dirigeants russes, ils oublient que la Russie ne se résume pas qu’aux activités du Kremlin.
Quels films ou livres conseilleriez-vous pour mieux comprendre les Russes ?
Le mien, forcément ! En fait, avec les livres, on peut être boulimique.
Éditeur : Hikari Éditions
Collection : Vivre le Monde
J’ai particulièrement aimé le livre de Svetlana Alexievitch La fin de l’homme rouge, qui offre une série de témoignages bouleversants sur la chute de l’URSS. Mais aussi La vie d’un homme inconnu d’Andreï Makine, ou dans un autre style, La saga moscovite de Vassili Axionov et Le Don paisible de Mikhaïl Cholokhov.
Des auteurs comme Andreï Guelassimov et Andreï Kourkov ont beaucoup d’humour. Bien sûr, il faut aussi lire les grands écrivains russes et les classiques pour leurs descriptions de la société russe à différentes périodes de l’histoire.
Côté films, je suis bouleversée par Quand passent les cigognes de Mikhaïl Kalatozov, Bouge pas, meurs et ressuscite de Vitali Kanevski, qui est un film très dur mais très révélateur de la Russie. Et puis les films de Nikita Mikhalkov. En fait, il y a tant à lire et à voir…
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