Pour que le monde ne se limite pas aux murs de l’orphelinat

C’est l’histoire d’une personne qui, par sa simple envie d’aider et la force de son amour, donne de l'espoir à des dizaines d’enfants en détresse alors que 5 000 kilomètres les séparent.

Hélène et Jean-Sébastien Texier avec leurs enfants. Crédit : Maria Tchobanov

Elle commence par la décision d’un couple français, Hélène et Jean-Sébastien Texier, habitants de Gargilesse (Indre), et dirigeants d’une école de danse dans le XXe arrondissement de Paris, d’adopter des enfants. Une fois titulaires de l’agrément autorisant à adopter, le couple comprend qu’adopter en France est une mission quasiment irréalisable et étudie les possibilités d’adoption dans d’autres pays. Il s’avère que les critères exigés par la Russie correspondent à la situation de la famille Texier, d’autant plus que jusque fin 2013, les Français pouvaient adresser leurs demandes directement au Ministère de l’éducation russe, sans passer par des organismes agréés en France. Cette démarche permettait aux futurs parents d’accélérer le passage des différentes étapes qui mène au but. Hélène et Jean-Sébastien ne sont jamais allés en Russie auparavant, mais les échos et les opinions circulant dans leur entourage sur ce pays les ont motivés à adopter des enfants de ce pays. Ils ont même appris l'alphabet cyrillique russe pour ne pas être complètement perdus en arrivant sur place.

Une fois toutes les formalités accomplies, le couple reçoit  la convocation du Ministère de l’éducation de la région de Perm qui leur propose de rencontrer deux enfants dans la Maison d’enfants de Kungur, une ville qui se situe à 80 km de Perm, éloignée de Moscou de 1500 km. 

L’établissement, fondé en 1921, accueille, selon les périodes, entre 60 et 90 enfants, certains avec des problèmes de santé et handicaps physiques plus ou moins graves. Les enfants qui sont devenus les leurs, Hélène les appelle « les survivants », vu les circonstances dans lesquelles ils ont été recueillis par les services sociaux de la ville. Nadège, la petite fille de deux ans et demi était muette et se déplaçait comme un enfant qui aurait à peine appris à marcher, au moment de la rencontre avec sa future famille. « J’ai remarqué que beaucoup d’enfants qui se trouvaient là-bas se comportaient comme s’ils étaient en état d’hibernation, au ralenti, comme en attente d’un miracle qui les pousserait à grandir : ma fille a prononcé ses premiers sons après les contacts que nous avons eu avec elle, lors de notre séjour d’une semaine à Kungur, avant de repartir en France pour attendre le jugement d’adoption », raconte Hélène.

Elle a aussi remarqué que malgré toutes les difficultés et le manque cruel de moyens, l’équipe de la Maison d’enfants de Kungur faisait tout son possible pour réhabiliter, soigner, éveiller ces enfants, sans oublier de les aimer comme s'ils étaient les leurs. « Chacune de ces femmes formidables partage avec les enfants ce qu’elles savent faire le mieux, chacune essaie d’apporter sa contribution à leur éducation, sans se plaindre, sans demander quoi que ce soit en échange. Et j’ai senti une véritable inquiétude chez la directrice et médecin chef de l’établissement, Olga Tereshenko, de voir partir les enfants à l'étranger », constate Hélène. 

Plus tard, elle a compris que cette inquiétude venait du fait que quand, par hasard, ces braves femmes avaient des nouvelles sur le sort de leurs enfants adoptés à l’étranger, c’était forcement de mauvaises nouvelles. Quand Hélène et son mari ont rapporté de France les nouvelles et les photos de trois familles ayant adopté leur enfant à Kungur, ils ont vu les nounous pleurer de joie en découvrant la métamorphose de ces petits dont elles ont pris soin.

Les enfants de Kungur qui ont trouvé leur nouvelle maison en France. Crédit : Maria Tchobanov

En 2009, Hélène a retrouvé 26 autres familles dans 10 pays différents et a confectionné un album avec les photos, les dessins et les textes qui lui ont été envoyés par ces familles, pour l’offrir au personnel de l’orphelinat à Noël. Aujourd’hui, ce cercle « From Kungur » compte 60 familles, dont une quarantaine en France. Les échanges avec la Maison d’enfants de Kungur sont devenus plus intenses. Plusieurs fois par an, les familles envoient à Hélène, de leurs pays, des dossiers thématiques illustrés (la fête de Pâques, les vacances d’été, etc.) qu’elle rassemble et traduit pour en faire des albums ludiques et éducatifs en même temps, qui permettent d’expliquer les différentes traditions, cultures et façons de vivre. Selon le personnel de l’orphelinat, toutes ces informations permettent d’être rassuré et de mieux préparer les enfants à leur future vie dans des familles adoptives, et de les inciter à apprendre les langues et cultures étrangères. Les enfants et les pédagogues de Kungur, à leur tour, envoient à Hélène et son cercle des nouvelles et parlent de leur quotidien dans la Maison d’enfants. « Pour nous, les parents, c’est aussi très important de comprendre, grâce à ces échanges, comment les enfants sont éduqués en nous attendant. Cela nous permet aussi de faire savoir à nos enfants que dans leur pays d’origine, la Russie, il y a des gens qui les aiment », affirme Béatrix, la maman de deux petites filles adoptées à Kungur.

Grâce à cette pratique, les enfants de l’orphelinat ont commencé à suivre des cours de français dans le centre linguistique de Kungur, qui est devenu parrain de la Maison d’enfants. Selon les pédagogues, ces cours ont aidé les enfants à surmonter leur peur des langues étrangères en général, ce qui facilite les premières rencontres avec les futurs parents étrangers.

Ensuite est venue l’idée d’établir une correspondance entre les enfants adoptés et ceux qui vivent à l’orphelinat de Kungur. « C'est une telle joie pour l'enfant vivant en permanence en collectivité de recevoir une lettre qui lui est destinée à lui et rien qu'à lui, qui vient d’un  ami à lui, de partager un bout de sa vie avec quelqu'un qui attend de ses nouvelles. Et puis cela ouvre l’esprit à ces enfants qui manquent de tout », explique Hélène Texier. D’ailleurs, son fils Iskane, qui, après son départ de Russie, refusait d’entendre parler sa langue natale, suit actuellement des cours de russe et envoie régulièrement des lettres à son correspondant à Kungur, le petit Sacha, qui s’apprête à entamer sa nouvelle vie à l’étranger. 

En 2012, l’âge maximum des enfants accueillis par l’orphelinat est passé de 4 à 9 ans. Or, l’infrastructure de l’établissement est mal adaptée à cette tranche d'âge et le peu de moyens dont la direction dispose ne permet pas d’offrir aux enfants les activités nécessaires à un développement harmonieux. C’est alors qu’Hélène décide de créer une véritable association, « Pour Kungur », afin de pouvoir apporter sa contribution à l’amélioration du quotidien des enfants. Elle a demandé à la directrice de la Maison d’enfants quel était son rêve, même le plus irréaliste, pour son orphelinat. « Un minibus, pour qu’ils sachent que le monde ne s’arrête pas à nos murs, qu’il est grand et intéressant », a répondu Olga Tereshenko. Ainsi est né ce projet d’offrir un bus de 20 places pour les sorties des enfants, et se poursuit maintenant avec la nouvelle directrice, Svetlana Barsukova.

Le minibus qui a été choisi coûte 35 000 €. Pour réunir une telle somme, Hélène a communiqué son enthousiasme et a rallié à sa cause tout son entourage : les voisins du village ou elle habite, les élèves de l’école de danse dans le XXe arrondissement de Paris qu’elle dirige, les commerçants du quartier, les autres familles adoptives et leurs amis, les copains d’école de leurs enfants, et cette chaîne humaine n’est pas prête à se rompre. Chacun apporte sa contribution et sa bonne volonté, même si c’est un simple objet fabriqué par un enfant et vendu au marché de Noël organisé par l’association. « Pour Kungur » a même obtenu un prix de 5 000 € de la fondation PSA-Peugeot-Citroën.

A ce jour, il manque encore 9 000 €, mais Hélène a l’intention de se rendre à tout prix à Kungur au mois d’avril pour enfin faire ce précieux cadeau aux enfants, même s’il faut emprunter l’argent qui manque. Pour que leur monde ne se limite pas aux murs de l’orphelinat. 

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