Natalia Vodianova joue avec un enfant dans un centre de loisirs de la ville de Krymsk, ravagée par l'inondation en juillet 2012. Crédit : Vera Kostamo / RIA Novosti
Ogoniok : L’autisme de votre sœur aînée Oksana est sans doute la raison vous ayant conduit à créer la fondation Naked Heart ?
Natalia Vodianova : Notre fondation n’est pas exclusivement active dans le domaine de l’autisme, elle s’occupe des enfants dont le développement suit des voies particulières. En ce qui concerne Oksana, le diagnostic était dès l’origine une paralysie cérébrale. Ce n’est que récemment qu’elle a été diagnostiquée comme étant autiste, donc oui, il y a évidemment une part d’expérience personnelle. Mais lorsque j’ai mis sur pied la fondation, j’avais pour objectif de m’intéresser à ces enfants qui grandissent dans des situations difficiles, parce que j’ai moi-même été un de ces enfants. Et dans notre famille, Oksana était la personne la plus heureuse.
C’était une enfant véritablement radieuse, nous l’avons entouré d’amour et d’attentions. Mais c’était très difficile, c’était un traumatisme lié à l’enfance et c’est seulement maintenant qu’il a pu être sublimé en quelque chose de très positif. J’ai grandi dans un contexte émotionnel difficile, marqué par les humiliations de la part de mes camarades, l’échec scolaire et le mépris de soi… Il ne s’agit pas seulement d’Oksana et du fait que nous devions élever un enfant souffrant de handicap.
Nous vivions dans des conditions épouvantables. Ma mère était une mère célibataire, je ne pouvais pas inviter des amis à la maison comme le faisait tous les autres enfants. A l’école, je n’arrivais pas à étudier normalement bien que l’on peut dire que je n’étais pas une fille idiote. Je n’avais pas la possibilité de faire mes devoirs à la maison. Et si l’on ne fait pas ses devoirs, les mauvaises notes suivent. J’avais très peu d’amis, j’ai commencé à travailler à 11 ans, les centres d’intérêts de mes camarades me semblaient très loin de la réalité, je vivais dans l’isolement.
Mes meilleurs souvenirs sont liés aux jeux : c’était ces rares moments où les garçons de notre bâtiment m’invitaient et me donnaient un rôle dans leurs vies. Je me souviens d’une journée ensoleillée, tout le monde était de bonne humeur et jouait ensemble. Nous jouions dans les sous-sols, sur les chantiers de construction, parce que le seul toboggan entouré de quelques bancs que nous avions était en permanence occupé par une bande de jeunes qui y fumaient, buvaient et nous chassaient. C’est probablement pour ça qu’à l’âge adulte l’idée m’est venue de créer de grands et beaux parcs et terrains de jeux pour les enfants. Tous les enfants doivent pouvoir aller au parc, mais pour un enfant qui grandit dans une situation difficile, c’est une possibilité de réhabilitation. Il peut y échapper à la réalité, voir la vie sous un angle plus positif, commencer simplement à respirer et vivre. C’était un projet concret, et les autorités locales nous ont plutôt bien traité. Aujourd’hui, nous avons 107 sites à travers toute la Russie, dans 79 communes différentes.
Au cours d’une conférence consacrée à l’autisme organisée par votre fondation et qui s’est tenue récemment à Moscou, des experts issus de différents pays étaient présents. L’un des participants à la conférence a déclaré que la Russie ne sera pas en mesure de reproduire entièrement les usages de l’Occident, car nous avons une mentalité particulière. Pour votre part, avez-vous conscience de cette mentalité spécifique ?
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N.V.: Un homme est comme une graine. Planté dans un sol favorable, il se développera pour devenir un bel arbre. Si le sol est mauvais, il donnera de mauvaises herbes. Oui nous avons de nombreux points négatifs, notre époque et notre passé sont contre nous…Lorsque tes propres besoins ne sont pas satisfaits, lorsque tu dois élever tes enfants, tu penses : « pourquoi est-ce que je devrais penser aux enfants des autres ? » Mais dès que la situation devient plus favorable, les gens commencent à penser différemment. Notre pays est également très compliqué d’un point de vue géographique, dans certaines parties de la Russie la situation est plus difficile tout simplement parce qu’il y fait froid et que les conditions de vie sont dures. Nous avançons lentement mais nous allons de l’avant, nous évoluons. Il y a des gens qui sont prêts à changer les choses, tout simplement parce qu’ils sont plus proches du sommet que du fond.
Je sais que vous avez organisé une vente aux enchères proposant une « session d’apprentissage avec Lagerfeld » et qu’une dame a versé une importante somme d’argent afin de remporter ce lot. Comment faites-vous pour convaincre les gens de participer à vos enchères ?
N.V.: Je connais toutes ces personnes, mais notre relation s’est forgée au fil des années, il faut des années pour établir une telle sorte de confiance. C’est un processus complexe, vous côtoyez le milieu de la mode et il s’avère ensuite que des connaissances sont prêtes à aider la fondation, cela se passe soudainement, au détour d’une conversation…Nous ne nous contentons pas de tout collecter et de vendre, nos ventes aux enchères ont un thème bien particulier. Et cela demande de gros efforts. Mais je suis heureuse que parmi les personnes qui m’entourent, l’humeur soit positive. Le fait que les lots se vendent bien aide beaucoup, cela veut dire qu’il y a un désir d’aller plus loin dans ce partenariat. Il suffit d’organiser, de faire venir les gens et de faire en sorte qu’ils achètent ces lots et de ne pas craindre de leur dire : « vous avez beaucoup d’argent, donnez-nous en ». Vous comprenez ? En Russie, cela est possible, c’est pourquoi les gens sont parfois effrayés à l’idée de faire des dons importants en public.
Voici juste un an, nous avons commencé à inciter les entreprises locales à participer à nos projets. Cela hisse l’entreprise au niveau international, c’est une tendance mondiale, lorsque une entreprise fait des profits, elle s’implique dans les activités caritatives. En Occident, ou les marchés sont compétitifs, les entreprises comprennent que l’on peut attirer des gens à travers de telles actions. La société civile n’est pas insensible. Où acheter : chez celui qui aide les enfants ou chez celui qui n’aide personne ?
Vous vivez actuellement à Paris. Qu’est ce qui vous a frappé lorsque vous êtes arrivée dans cette ville ?
N.V.: Cela a toujours été douloureux pour moi de constater à quel point nous sommes en retard. Croiser un enfant autiste ou atteint d’une paralysie cérébrale dans une aire pour enfants à Paris ou New-York est parfaitement normal. Personne ne considère cet enfant comme une menace. Tous les enfants jouent ensemble.
Interview publiée sur le site de Kommersant
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