Les demandes de la popula- tion sont avant tout d’ordre social : défense des droits des femmes et infrastructures. Crédit photo : Max Avdeev
Le Daguestan a mauvaise presse à Moscou, plus encore que sa voisine la Tchétchénie. Le flot de nouvelles s’apparente à une litanie d’assassinats de policiers et de représailles sanglantes contre les terroristes.
Or, derrière ce rideau de fumée, des signes d’évolution positive émergent, qui ne sont remarqués ni par les médias russes, ni par la presse internationale. Le gouvernement de la république a enfin engagé un dialogue avec la société civile et les islamistes modérés.
La presse locale est plus libre que dans bien d’autres régions russes, avec au moins quatre titres indépendants n’hésitant pas à critiquer le pouvoir. Enfin, les ONG (Organisations non gouvernementales) travaillent dans de meilleures conditions, malgré la récente loi dite des « agents étrangers », qui complique leur financement.
« Le pouvoir a multiplié les ponts avec la société civile ces dernières années », commente Alucet Azizkhanov, président de l’ONG « Nabat », qui vient en aide aux réfugiés et aux personnes déplacées.
« Notre nouveau président [de la République, en fonction depuis janvier 2013, ndlr] Ramazan Abdoulatipov rencontre fréquemment les représentants de la société civile », se félicite cet activiste, qui est également directeur adjoint de la Chambre civique, qui regroupe les principales associations et ONG de la république du Daguestan.
Le rôle de cet organisme est de faire l’interface avec le gouvernement daguestanais, qui héberge désormais plusieurs ONG et la Chambre civique dans un vaste bâtiment baptisé « Maison de l’Amitié » en plein cœur de Makhatchkala, la capitale régionale. Juste à côté du siège du gouvernement.
« La situation sociale est à la source de tous nos problèmes. En montagne, le chômage frappe 60% de la population. Si notre société civile est quasi inexistante, c’est que la population n’a pas foi dans les institutions. Les gens estiment que les autorités ne respectent pas la loi. Plus de 50% des gens ne font pas confiance à la police. Or, le salaire d’un policier est le triple de celui d’un professeur d’université »
Le sociologue Z.Abdoulagatov
Pour dialoguer plus aisément, mais peut-être aussi pour contrôler davantage. « Il est vraiment important pour les ONG de disposer d’une aide matérielle. Certaines ONG n’ont rigoureusement rien pour fonctionner, même pas de téléphone », note Abdourakhman Yunousov, directeur de l’ONG « Rakurs » et vétéran de la défense des droits de l’homme.
« Les demandes de la société civile sont avant tout d’ordre social, assure Azizkhanov. Il faut résoudre la question du partage des terres entre les différentes composantes nationales de la république. Il faut aider les retraités, les populations montagnardes paupérisées par la dégradation des infrastructures. Nous luttons aussi contre la corruption, l’injustice sociale, l’extrémisme religieux, l’illettrisme et l’image négative du Daguestan créé par les médias fédéraux, en particulier la télévision ».
Mais le problème le plus urgent, c’est de mettre fin à la violence qui ravage la république. Le rapport annuel de la Chambre Civique, publié le mois dernier, souligne l’importance d’associer la population aux efforts pour lutter contre le banditisme et le terrorisme.
Les produits à base d’or sont traditionnels dans la région. Crédit photo : Max Avdeev |
Le rapport critique vivement les structures de sécurité fédérales pour leur incapacité à communiquer sur leurs opérations, creusant le fossé avec la société civile.
Diviser pour mieux régner est une stratégie vieille comme la politique. Mais appuyer sur les lignes de fracture est dangereux dans une république qui en compte davantage que les autres. Le Daguestan compte une trentaine d’ethnies différentes qui ont toujours eu du mal à se partager les terres.
Le « grand frère » russe a su en jouer et s’est imposé comme arbitre incontesté, tandis que le russe est naturellement devenu la lingua franca de la république, qui ne compte plus que 4% de Russes au sens ethnique du terme.
Depuis les années 90, une autre ligne de division explosive est apparue avec l’intrusion du salafisme, importé du Proche-Orient. Armes en main, les salafistes mènent une guerre de basse intensité à la fois contre l’islam soufi traditionnel du Caucase et contre le gouvernement de la république, fidèle à Moscou.
« Malheureusement, le salafisme a de l’avenir, car il est très populaire parmi les jeunes », s’alarme Zaïd Abdoulagatov, sociologue à l’Académie des Sciences. « Les raisons sont plus sociales que religieuses, mais les prêcheurs salafistes font une propagande très efficace qui exploite le mécontentement ».
« Le pouvoir a longtemps eu une politique consistant à séparer les ONG loyales des autres, considérées comme des ennemies, note Yunousov. Depuis que le gouvernement a créé un conseil de coordination des ONG, les choses se sont arrangées et un véritable dialogue s’est engagé. Il n’y a désormais plus de barrière entre les ONG loyales et les autres ».
« Tous sont représentés, et tous sont invités », renchérit Azizkhanov. « Même les Mères du Daguestan ! ».
Cette ONG a fait couler beaucoup d’encre depuis sa création en 2007, car elle critiquait violemment les autorités, surtout les forces de sécurité accusées d’avoir enlevé et exécuté des dizaines de personnes : « Les Mères du Daguestan ont immédiatement gêné le pouvoir, qui n’y voyait que des veuves de combattants islamistes ».
Les populations montagnardes sont les plus paupérisées. Crédit photo : Reuters
Aujourd’hui, cette ONG s’est séparée de ses membres radicaux et se concentre sur la défense des droits des femmes et des personnes incarcérées. Mais elle garde une dent contre le gouvernement. « Nous n’avons pas été invité au conseil de coordination [des ONG] », rectifie Svetlana Issaeva, présidente de Mères du Daguestan.
« Les médias du pouvoir continuent de nous diffamer, la police continue de me harceler avec des convocations sans sanction judiciaire. Nos comptes sont épiés par le fisc et il nous est quasiment impossible d’obtenir des financements russes », se plaint-elle.
Le label infamant d’« agent étranger » guette-t-il au tournant ? « Pour l’instant, nous avons réussit à l’éviter… parce que les comptes sont à sec », sourit Issaeva. Gêner le financement des ONG reste donc un outil sélectif du pouvoir. Certes, le Daguestan est en progrès, mais le chemin est encore long.
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