L'archevêque de l’archidiocèse de la Mère de Dieu Paolo Pezzi en visite à Moscou. Crédit : Itar-Tass
Kommersant : Comment ce fait-il qu’un italien soit à la tête de l’Église Catholique en Russie ?
Paolo Pezzi : Cela s’est fait très simplement. Le Pape Benoît XVI m’a nommé évêque de Moscou en 2007. A cette époque, j’avais déjà longtemps vécu en Russie : dans un premier temps dans les années 90, j’ai officié pendant 5 ans en Sibérie puis ensuite dans la capitale. Lorsque le Pape a pris la décision de me nommer dans le diocèse de Moscou, je travaillais en tant que recteur du séminaire ecclésiastique catholique à Saint-Pétersbourg.
Selon la loi sur les ONG, vous pouvez être considéré comme un agent étranger ?
P.P.: Non. Premièrement, l’Église catholique est une association religieuse, et toutes les organisations religieuses sont exclues de cette loi. En second lieu, j’ai la citoyenneté russe.
Comment vous sentez-vous en Russie orthodoxe ? Vous n’avez pas le sentiment de vous trouver dans un environnement étranger ?
P.P.: Non. Je suis conscient que la Russie n’est pas un pays catholique. Mais cela ne veut pas dire que je me trouve dans une position inconfortable. Au contraire, je dois dire que ma relation personnelle avec l’église orthodoxe, qui s’est développée à l’époque où j’ai commencé à officier en Russie, a toujours été bonne.
Pourtant, au début des années 2000, les catholiques avaient des relations passablement compliquées avec les orthodoxes en Russie. Les problèmes ont débuté en 2002, lorsque le Vatican a transformé les administrations apostoliques en diocèses, entrainant une protestation officielle de l’église orthodoxe de Russie ainsi qu’une série de rassemblements anticatholiques. Sans explication de la part de la Russie, l’évêque Mazur avait été expulsé, ainsi que trois autres membres du clergé. Comment se passent aujourd’hui vos relations avec le Patriarcat de Moscou ?
P.P.: A l’heure actuelle, il me semble que les revendications portées par l’Église orthodoxe de Russie en direction de l’Église catholique de Russie peuvent être considérées comme satisfaites. J’ai personnellement une bonne relation avec le Patriarche Kirill. En ce qui concerne ma relation avec son prédécesseur, le Patriarche Alexis II, je la qualifierais de chaleureuse. Nous rencontrons rarement le chef de l’Église orthodoxe russe, quelques fois par an seulement. Nous avons de bons contacts avec les autres autorités de l’Église orthodoxe, en particulier avec les évêques des villes dans lesquelles il existe des communautés catholiques.
Pourquoi n’y a-t-il pas de service religieux commun ? Quel est l’obstacle ?
P.P.: Le problème fondamental réside dans le fait que nous ne pouvons pas célébrer une seule et même Eucharistie (le principal sacrement chrétien, au cours duquel les fidèles communient avec le Corps et le Sang du Seigneur, ndlr), qui constitue un symbole de pleine communion, de pleine unité. C’est pourquoi je ne peux pas célébrer l’office avec un membre du clergé orthodoxe, et il ne peut pas le faire avec moi. Avec celui avec qui je célèbre l’Eucharistie, je me tiens dans l’unité (l’unité a été perdue suite au schisme entre les Églises d’occident et d’orient en 1054, ndlr). La principale raison, bien sûr, est celle de la juridiction du Pape de Rome : les orthodoxes ne reconnaissent pas son autorité sur tous les chrétiens. Il y a évidemment bien d’autres points distinguant chaque Église de l’autre. En revanche, notre division peut être envisagée comme une variation dans le christianisme, en particulier en ce qui concerne les rites liturgiques : au sein de l’Église catholique existe l’Église grecque-catholique qui observe les rites orientaux et cela ne nous empêche pas d’être en pleine communion. C’est pourquoi je considère que la question qui doit être résolue en premier lieu est celle de la juridiction du Pape.
Benoît XVI a amélioré les relations avec l’Église orthodoxe de Russie, des discussions étaient mêmes survenues au sujet d’une possible rencontre entre le Pape et le Patriarche de Moscou et de toute la Russie. Ne craignez-vous pas qu’avec l’élection d’un nouveau Pape, tous ces efforts puissent être réduits à néant ?
P.P.: Le Pape, lorsqu’il était évêque de Buenos-Aires, avait de bonnes relations avec les Églises orientales. Il ne faut pas oublier qu’il a été Ordinaire des catholiques de rite oriental, qui en Argentine se trouvaient dépourvus de leur propre hiérarchie. Il avait développé des relations très cordiales avec le Métropolite orthodoxe argentin Platon. Jeune prêtre, Bergoglio a été l’élève de grecs-catholiques, c’est pourquoi il connait la liturgie orientale. Tout cela suggère que le Souverain Pontife n’a pas abordé superficiellement le sujet, mais qu’il connait bien la tradition de l’église orientale, le christianisme oriental. Cela me donne une raison de penser que la relation se poursuivra dans le même registre que sous son prédécesseur.
Pourquoi dans toute l’histoire de l’Église catholique, il n’y a jamais eu de rencontre entre le Pape et le Patriarche de Moscou ?
P.P.: Jusqu’au XXe siècle, il n’y avait pas de telles réunions avec les autres Patriarches. La première rencontre d’un Pape avec un Patriarche orthodoxe s’est déroulée en 1964, lorsque le Pape Paul VI a rencontré le Patriarche de Constantinople Athénégoras. Ils ont alors levé les anathèmes prononcés contre leurs Églises réciproques, en vigueur depuis le schisme de 1054. Cela était devenu possible après le Concile Vatican II. Ensuite, des contacts ont commencé à être établis avec tous les Patriarches orthodoxes. Cependant, il est vrai que le Pape n’a jamais rencontré le Patriarche de Moscou et de toute la Russie.
Quand une telle rencontre pourrait-elle être possible ?
P.P.: La rencontre pourrait avoir lieu demain. Rien n’empêche en principe une telle réunion. Mais comme ils l’indiquent au sein de l’Église orthodoxe, cette rencontre doit être préparée avec soin, pour qu’elle ne soit pas simplement un événement à cocher, mais qu’elle soit fructueuse.
Quelle est la dynamique de développement du nombre de catholiques en Russie ?
P.P.: La communauté catholique est en croissance en Russie mais reste toujours peu nombreuse. Si je ne fais pas erreur, la majeure partie des catholiques se trouvent dans la région de Kaliningrad : 4,5% de la population. Et dans l’ensemble, entre environ 0,1% et 1% de la population russe.
Grâce à quelles ressources les paroisses catholiques fonctionnent-elles en Russie ? Est-ce qu’il y a dans le pays des oligarques catholiques ?
P.P.: S’il en existe, je ne les connais pas. Et les paroisses catholiques vivent grâce aux dons.
La Vatican ne fournit aucune aide financière ?
P.P.: Le Vatican en tant que tel, non. L’Église catholique aide. Il existe un principe de solidarité : les églises les plus riches aident les églises les plus pauvres. Dans certaines régions, les communautés locales ne sont pas en mesure de soutenir leurs églises. Il en est ainsi depuis le début du Christianisme, c’est pourquoi nous avons des dons de l’ensemble de l’Église catholique. Sans cela, il nous serait impossible de subsister normalement.
Vous connaissez le nouveau Pape François pour avoir déjà eu une entrevue personnelle avec lui. Quel genre d’homme est-il ?
P.P.: Je ne l’ai rencontré qu’une seule fois, lorsqu’il était archevêque de Buenos-Aires. J’ai été frappé par sa simplicité et sa sincérité dans les relations. J’ai l’intention de rencontrer le Pape en octobre de cette année, lorsque je me rendrai à Rome avec des pèlerins.
Presque toutes les confessions se plaignent d’un manque d’édifices religieux. Avez-vous un tel problème ici ? Avez-vous assez d’églises à Moscou ?
P.P.: Il existe un manque réel dans certaines régions. À Moscou, par exemple, nous avons besoin d’encore deux églises.
Fin 2010, une loi a été votée concernant « le transfert aux organisations religieuses de biens immobiliers à vocation religieuse se trouvant sous contrôle municipal ou d’État ». Les Églises catholiques ont-elles reçu quelque chose ? Sur quels actifs souhaitez-vous obtenir un droit de propriété ?
P.P.: Il y a des sites dans le pays dont nous souhaiterions obtenir la propriété. Cela touche particulièrement les villes dans lesquelles il existe des églises catholiques historiques, mais la communauté catholique locale est contrainte de se réunir dans des appartements. Par exemple, à Riazan, Kirov, Vologda. Là-bas, les églises ne nous ont pas été restituées pour l’instant.
Né le 8 aout 1960 à Russi (Italie). A obtenu une licence en philosophie et en théologie à l’Université Pontificale Saint-Thomas de Rome (1990). Il soutient sa dissertation de doctorat de théologie pastorale à l’Université Pontificale du Latran à Rome (2000). Ordonné prêtre le 22 décembre 1990. Depuis 1993, doyen de la région centrale de l’administration apostolique pour les catholiques de la portion asiatique de la Russie. Depuis 1998, vicaire du père abbé de la Confrérie des prêtres-missionnaires de Saint Charles Borromée à Rome, a été visiteur du mouvement religieux « communion et délivrance » pour la Russie. Depuis 2004, enseigne au séminaire catholique à Saint-Pétersbourg, dont il a été le recteur entre 2006 et 2008. Nommé le 21 septembre 2007 à la chaire de l’archidiocèse de la Mère de Dieu à Moscou, et ordonné évêque le 27 octobre 2007. Depuis janvier 2011, il préside la conférence des évêques catholiques de Russie. La même année, il obtient la citoyenneté russe.
Texte original (en russe) publié sur le site de Kommersant le 27 juin 2013.
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