Arnaud Dubien. Source : Service de presse
On observe une pause dans les grands contrats entre la France et la Russie. Qu’est-ce qui peut relancer la dynamique ?
Je pense que les impulsions doivent désormais venir des grandes entreprises. Mais n’oubliez pas que le calendrier des investisseurs ne coïncide pas forcément avec le calendrier politique.
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Actuellement, les annonces sont moins spectaculaires, mais c’est aussi dû au fait que les grandes entreprises françaises sont déjà solidement implantées en Russie. L’un des gisements de croissance pour les exportations françaises en Russie réside à l’avenir dans les PME, qui, traditionnellement, suivent le sillon tracé par les grands groupes.
Les régions russes représentent également un marché très important et encore peu exploré.
Les Français ne peuvent évidemment pas gagner tous les grands contrats car les Russes mènent une politique prudente qui vise à ne pas placer tous leurs œufs dans le même panier. Des entreprises allemandes, italiennes, canadiennes ou chinoises remportent également de grands succès.
Le contexte politique est plutôt favorable à la France : on observe, depuis l’automne 2012, un sérieux refroidissement entre Moscou et Berlin, et l’Italie n’a pas de gouvernement.
Enfin, les Russes ne travailleront jamais avec les Américains ou les Chinois dans des domaines vraiment sensibles relevant de la souveraineté nationale : le choix de Kourou pour le lancement de Soyouz ou l’achat des Mistral à la France reflètent au fond la conviction que Paris a une politique étrangère et de sécurité indépendante, ce qui rend possibles de tels partenariats.
Lors de son passage à Moscou, François Hollande a déploré que les investissements russes en France restent très modestes par rapport aux investissements français en Russie. À quoi est-ce dû ?
Tout d’abord, les choses commencent à changer. L’acquisition de Gefco par les Chemins de fers russes (RZD) pour 800 millions d’euros crée un précédent. D’autre part, la France n’est pas à la remorque par rapport au reste de l’Europe.
Les Russes réalisent assez peu d’investissements industriels à l’étranger de manière générale, hors CEI (Communauté des États indépendants). Il est vrai que la France n’est pas immédiatement perçue comme une terre d’investissements : il faut donc faire de la pédagogie, expliquer par exemple que la France est la première destination pour les investissements américains en Europe.
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Y a-t-il un refroidissement des relations depuis l’arrivée au pouvoir de M. Hollande ?
Non, il n’y a pas de revirement. C’est vrai qu’il y a eu des inquiétudes à Moscou (moindres toutefois qu’en 2007 lors de l’élection de Nicolas Sarkozy) car les socialistes n’ont pas vraiment montré un grand intérêt pour la Russie au cours des deux dernières décennies. Le Kremlin, on le sait, préfère la famille gaulliste et les interlocuteurs qu’il connaît déjà.
Mais il y eu des signaux positifs. François Hollande a nommé Jean-Pierre Chevènement – l’un des rares russophiles à gauche – comme envoyé spécial pour la Russie. Le président français a montré, lors de sa visite à Moscou [les 27 et 28 février dernier, ndlr], qu’il mettait l’accent sur la diplomatie économique.
On a le sentiment d’une bonne volonté mutuelle dans le domaine commercial, mais ce n’est pas aussi évident en matière politique.
La vraie pomme de discorde était et reste la Syrie. C’est le dossier qui cristallise les divergences politiques entre Paris et Moscou. Je pensais que la visite de Hollande allait permettre de trouver un compromis, d’autant que de nombreux dirigeants occidentaux – y compris à Washington – s’émeuvent de la montée en puissance des islamistes sur le terrain.
Mais l’annonce tonitruante, dans la foulée, de livraisons d’armes françaises à l’opposition syrienne a tué dans l’œuf l’hypothèse d’un compromis. À l’inverse, la Russie a fait preuve de bonne volonté sur le dossier malien, dossier moins sujet à controverse mais de la plus haute importance pour Paris.
Je peux me tromper, mais le différend sur la Syrie ne paraît pas « contaminer » le reste de la relation politique bilatérale ni la coopération économique entre nos deux pays.
Comment expliquez-vous la position antagoniste Moscou sur la Syrie, qui l’éloigne du camp occidental ?
La position russe est basée sur des principes et non sur de supposés intérêts commerciaux ou militaires. Ni la modeste « base navale » russe de Tartus (qui n’en est pas une en réalité), ni les intérêts économiques bilatéraux ne la justifient. Les Russes sont persuadés que les Occidentaux font fausse route et jouent un jeu aussi dangereux qu’incompréhensible avec les islamistes.
L’affaire libyenne a été, vue du Kremlin, un contre-modèle absolu. Moscou estime que l’éclatement de la Syrie aura des conséquences très négatives dans toute la région, avec peut-être des répercussions dans le Caucase.
Poste : Directeur de l’Observatoire franco-russe
Diplômé de l’Institut national des langues et civilisations orientales et de Sciences Po-Paris, Arnaud Dubien collabora à l’Institut de relations internationales et stratégiques et fut rédacteur en chef des lettres confidentielles Russia Intelligence et Ukraine Intelligence. Il est membre du Club de Valdaï (spécialisé sur la Russie).
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