L’homosexualité est devenue « plus visible et moins tabou », exaspérant ainsi la partie conservatrice de la société russe. Crédit : Itar-Tass
Les débats sur les droits des homosexuels en Russie ont récemment repris, le parlement ayant soumis un projet de loi prévoyant des amendes de 4 à 500 mille roubles (entre 99 et 12 411 euros) en cas de « promotion de l’homosexualité auprès de mineurs ».
Cette proposition, approuvée en première lecture le 25 janvier, a toutes les chances de passer lors d’une seconde lecture clé prévue le 25 mai prochain.
Son principal soutien, à savoir la députée Elena Mizoulina, s’est prononcée contre toute propagande de ce type, estimant que ces comportements « s’étaient répandus au cours des dernières années » et « pourraient affecter la santé, la morale et le développement spirituel des enfants ».
Dans un entretien accordé au quotidien Izvestia, Mizoulina, qui est également présidente de la commission des affaires familiales de la Douma, s’appuie sur des statistiques en matière d’abus sexuels sur des enfants pour démontrer que les effets pernicieux de la propagande gay étaient déjà visibles.
« En 2010, 65% des victimes étaient des filles et entre 30 et 35% des garçons. Cette tendance s’est inversée en fin d’année dernière, les garçons représentants 60-65% des victimes. Beaucoup d’analystes estiment que cette situation est liée à la propagande agressive des comportements homosexuels en Russie », explique Mizoulina.
commissaire aux droits de l’Homme du ministère russe des Affaires étrangères, a critiqué les parlements britannique et français pour avoir voté en faveur du mariage entre personnes du même sexe. « Cela réduit les chances pour les ressortissants de ces pays d’adopter des enfants russes », a notamment déclaré Dolgov.
Selon elle, le gouvernement devrait tenir compte de l’opinion publique à ce sujet. « En Russie, la population n’est pas tolérante dans ce domaine », ajoute-t-elle notamment.
Ces déclarations sont étayées par les sondages : plus de 60% des Russes affirment que l’homosexualité les irrite, alors que 43% d’entre eux la considèrent comme un signe de débauche et 30% comme un trouble psychologique.
Dans son étude intitulée « Test décisif pour la démocratie russe », le célèbre sociologue Igor Kon retrace l’histoire des comportements de la population envers l’homosexualité afin de mieux comprendre pourquoi les Russes se montrent généralement intolérants vis-à-vis de cette communauté.
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Kon explique ainsi que durant l’époque soviétique, l’homosexualité était considérée comme un trouble mental et un crime passible de jusqu’à sept ans de prison. Il aura fallu attendre 1993 pour que l’homosexualité soit dépénalisée.
« Et ce changement n’est pas la conséquence d’une prise de conscience du gouvernement ou d’une pression publique croissante », indique Kon. « Les organisations de défense des droits des gays n’avaient pas d’influence et le reste de la population ne se sentait guère concernée. Ces réformes ont été adoptées pour adhérer au Conseil de l’Europe ».
L’homosexualité est devenue « plus visible et moins tabou », exaspérant ainsi la partie conservatrice de la société. « Les homos ont été considérés comme les boucs émissaires de tous les maux de la Russie, de la démoralisation de l’armée au déclin de taux de natalité », ajoute Kon.
En 2002, soit trois années après que la Russie s’est conformée aux normes de L’Organisation mondiale de la Santé traitant l’homosexualité comme une orientation sexuelle normale, le député Dmitri Rogozine (désormais vice-premier ministre) a proposé une motion visant à infliger jusqu’à cinq ans de prison aux gays. Si ce projet avait été approuvé, la Russie aurait perdu sa place au sein du Conseil de l’Europe.
L’Église orthodoxe russe constitue une force majeure contre les droits des gays, la décrivant officiellement comme un péché. « Nous ne voulons pas de l’égalité entre les relations homosexuelles et les relations naturelles unissant hommes et femmes », a déclaré en 2009 le Patriarche Cyrille, leader spirituel de l’orthodoxie russe.
Kon souligne que la culture russe est traditionnellement fermée et introvertie, alors que les fervents défenseurs des droits des gays sont très peu nombreux. C’est pourquoi les minorités sexuelles ne suscitent que peu ou pas d’intérêt auprès des principaux partis politiques. De plus, la communauté LGBT de Russie est composée de plusieurs groupes dispersés et mal organisés.
Mais peu importe l’importance du soutien dont bénéficient les homos en Russie, leurs droits n’avaient jamais été mis à l’épreuve de manière aussi explicite par le gouvernement et l’opposition parlementaire.
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Les analystes politiques voient la proposition d’interdire la propagande homosexuelle comme une répercussion du mécontentement croissant de la classe moyenne russe vis-à-vis du gouvernement. Cette tendance s’est renforcée il y a un an, lorsque Moscou et plusieurs autres villes ont été frappés par la plus grande vague de manifestations depuis la chute de l’Union soviétique.
« Deux tendances prévalent pour le moment : la protestation et l’insatisfaction croissantes envers le régime et une baisse de sa légitimité d’un côté, et la répression des opposants en réponse de l’autre », précise Lev Goudkov, responsable de l’institut de sondages Levada, lors de la conférence annuelle de l’organisation en janvier dernier.
« Le gouvernement est préoccupé par sa baisse de popularité, ce qui le pousse à recourir à des mesures répressives et primitives », explique Mark Ournov, qui dirige le département des comportements politique à École Supérieure d'Economie de Moscou.
« Ayant abandonné l’espoir de convaincre les groupes sociaux les plus progressistes, qui exigent la liberté et le respect de leurs droits, il souhaite désormais renforcer le soutien venant de la majorité conservatrice de la société », ajoute Ournov.
Plus largement, cette motion anti-gay est à l’image des dernières initiatives du gouvernement, dont les critiques disent qu’elles violent les droits de l’Homme. L’année passée, le parlement a passé une série de lois, comme le durcissement des législations en matière de rassemblements dans la rue ou l’interdiction de l’adoption par des parents américains, ce qui a provoqué une vague d’indignation parmi l’opposition.
« Le gouvernement essaye d’imposer son propre agenda à la société et à l’opposition pour détourner leur attention des problèmes réellement importants », estime de son côté Alexeï Makarkine, vice-directeur du Centre des technologies politiques. « Si l’opposition soulève le problème de la corruption, le gouvernement mettra en avant la question de la moralité. Et si l’opposition déclare que l’économie est en ruines, le gouvernement essayera que détourner l’attention en parlant des droits des minorités sexuelles ».
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