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Aujourd’hui, comme il y a vingt ans, la rencontre avec le merveilleux est la même. Les biographies des danseuses et danseurs étoiles reprennent en écho l’histoire de la petite fille ou du petit garçon, qui, envouté, danse devant la télévision, en essayant d’imiter ce qui passe à l’écran.
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La danseuse étoile du Bolchoï, Anastasia Goriatcheva, a décidé de devenir ballerine après avoir regardé un documentaire sur Anna Pavlova.
Les enfants, « aliénés » par la danse, s’essayent où ils peuvent. Le soliste du Bolchoï, Yan Godovski, par exemple, a intégré une école de ballet après avoir gagné un concours de danse de salon à la colonie de vacances.
Parfois, ce sont les parents qui prennent la décision. La célèbre ballerine Natalia Ossipova a d’abord commencé par la gymnastique, et ce n’est qu’après qu’elle s’est « mise au ballet parce [qu’elle] aimait très fort [sa] maman chérie et ne voulait pas la décevoir ».
Pour un enfant qui a grandi dans une famille de danseurs, la voie semble toute tracée, comme ce fut le cas de Ekaterina Chipoulina, une danseuse étoile du Bolchoï : « Nous avons grandi au théâtre avec ma sœur, tout le temps fourrées en coulisses, en observant maman et papa. Et il n’y avait aucune autre alternative pour nos études ».
Une fois la profession choisie, l’enfant doit devenir adulte avant l’âge. Il s’avère que la splendeur vue à la télé s’obtient à travers un travail persévérant et quotidien pendant des années.
Le stress commence dès l’admission à l’école de ballet. Les enfants sont évalués très sévèrement : on teste la santé, la morphologie, la souplesse, la coordination, le port, la capacité à déboiter les pieds, la musicalité et beaucoup d’autres choses.
Par le passé, des commissions de sélection sillonnaient le pays en dénichant des enfants doués dans les villages les plus reculés. C’est l’histoire de la danseuse étoile du Bolchoï, Svetlana Adyrkaheva. Mais ces commissions n’existe presque plus.
Il n’y a plus que les filles qui doivent passer un concours très sélectif (des dizaines, voire centaines de candidates pour chaque place), surtout pour les Académie de ballet de Moscou et de Saint-Pétersbourg. Pour ce qui est des garçons, la situation est difficile aujourd’hui, et pas seulement en Russie. Souvent, les parents ne veulent pas mettre leur fils à la danse, car le ballet a désormais un puissant concurrent, le sport de haut niveau, beaucoup plus rémunérateur.
De plus, un poste dans un corps de ballet exemptait jadis les gars russes du service militaire, mais aujourd’hui les quotas pour les théâtres ont été annulés. Le problème de l’appel se règle en mode « le ministère de la Défense fait une faveur au ministère de la Culture et aux autorités locales ».
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Dans les académies de ballet, la sélection et l’élimination sont drastiques. Un garçon peut être renvoyé même peu avant la fin de ses études pour une mauvaise note en classique, et une adolescente pour avoir pris trop de poids.
Un emploi du temps scolaire rigoureux (matières générales, plus des cours quotidiens de ballet et des disciplines particulières, comme l’histoire du ballet ou le piano) ne laissent pas de temps pour les gamineries. Ceux qui sont venus de loin peinent à s’habituer à la vie dans une ville étrangère, loin des parents.
La célèbre ballerine Svetlana Zakharova se souvient de ses études : « Une chambre en internat, à partager avec sept autres filles. L’enfance s’est terminée d’un coup. Une lutte pour la survie a commencé ». Les enfants travaillent jour et nuit, les exigences sont colossales. Le plus important est de concilier la technique et l’artistisme.
Sur un site de ballet russe, on raisonne : « L’école de chorégraphie n’est pas tant appelée à former l’enfant (rien ne sert d’y consacrer tant d’années, qu’à transformer son corps en instrument à l’aide duquel l’artiste créera son personnage sur scène ».
Mais la danseuse étoile du Bolchoï Evguenia Obraztsova connait le prix de la perfection professionnelle : « J’ai été battue pour ne pas avoir placé le pied en cinquième position, ou ne pas avoir levé la jambe assez haut ».
La concurrence est draconienne : dès son plus jeune âge, l’enfant comprend qu’il y a plus doué que lui, que les pédagogues distinguent spécialement les meilleurs. Seuls les enfants avec un caractère de lutteur survivent dans une telle atmosphère.
Mais de nombreux artistes relèvent un paradoxe. C’est à la même période que l’élève commence à gouter véritablement au métier. Ce n’est plus une joie enfantine procurée par la vue de la danse, ni l’obéissance à la volonté des parents.
C’est un choix personnel conscient. L’enfant commence à comprendre au nom de quoi il ne dort plus assez et se meurtrit les pieds jusqu’au sang. « J’étais content de ce que j’arrivais à faire, c’est surement grâce à ça que l’envie augmentait », se souvient le danseur étoile du Bolchoï, Alexandre Voltchkov.
À mesure que la fin des études approche, quand commence la période des derniers examens, l’excitation s’empare de l’école : qui sera accepté dans quel théâtre ? On terrorise les élèves sortants avec des histoires horribles (et souvent exagérées) sur les pratiques dans le milieu : on te verse du verre pilé dans les pointes, on te découpe aux ciseaux ton costume de scène, et de toute façon sans relations jamais tu ne feras carrière…
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À ce stade-là, les élèves comme les professeurs savent qui sont les leaders qui iront tout droit au Bolchoï ou au Mariinsky. Mais le dernier mot appartient aux représentants des compagnies de théâtre qui assistent aux examens dans les principales écoles du pays.
La plupart des diplômés devront se contenter d’institutions moins prestigieuses, certains partiront même à l’étranger, ou « prendront le large ». Pour un danseur « freelance », cela se passe ainsi : « Tu peux tranquillement venir au casting, tout le monde y est pêle-mêle, raconte Alexandre Voltchkov. Tu passes d’abord à la barre, on te dit : « Continue ». Ensuite tu montres tes figures, là on te dit soit - « Désolés, au revoir », soit - « Reste ». Ensuite tu leur montres les sauts… Ainsi, petit à petit les gens sont éliminés jusqu’à ce qu’il ne reste plus que 5 personnes sur 35 ».
Arrivés dans un théâtre, les nouvelles recrues servent d’abord dans le corps de ballet, même s’il s’agit de potentielles étoiles. On considère que cela permet de « se dégourdir » et acquérir de l’expérience. Mais tous les jeunes ne sont pas prêts à se former avec la partie du trente-deuxième fantôme. Si le directeur perspicace d’une troupe concurrente propose au diplômé talentueux un rôle important, il parvient souvent sans mal à le faire passer dans son théâtre.
Alors la nouvelle étoile peut se mettre à briller très vite. Le directeur du ballet de l’Opéra de Berlin, Vladimir Malakhov, a embauché Polina Semionova immédiatement après qu’elle a fini ses études à Moscou.
Aujourd’hui, c’est une danseuse étoile internationale que le Bolchoï voulait intégrer dans des conditions ordinaires. Le même Bolchoï a récupéré l’année dernière Olga Smirnova, diplômée de l’Académie de Saint-Pétersbourg. A Moscou, elle a tout de suite obtenu des rôles principaux.
La vie des jeunes artistes sera riche. La joie de la création et les blessures inévitables, les intrigues de coulisses et les victoires dans les compétitions de ballet, une partie du troisième écuyer dans une fête d’école ou celle d’Odette avec Odile.
Et puis il y aura le rôle rêvé et la routine des entrainements quotidiens, les tournées prestigieuses et l’attente épuisante des spectacles, l’impossibilité de vivre sans les applaudissements et la retraite à 40 ans…
Mais si tout se passe bien, on peut espérer que le « vilain petit canard » se transforme en cygne. Ce n’est pas pour rien que cet oiseau magnifique est le symbole du ballet russe.
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