​Nous ne sommes pas ennemis

Alexeï Iorch
​La campagne russe en Syrie a créé une nouvelle donne internationale

Dans ses interventions de ces derniers mois, Vladimir Poutine propose un nouvel cadre pour les relations entre la Russie et les États-Unis. À New York, à Moscou et à Sotchi lors de la réunion du club Valdaï, le président russe a appelé la communauté internationale à se concentrer sur deux objectifs – la création d’une large coalition internationale contre l’État islamique (EI) et la restauration de l’État en Lybie, en Irak et en Syrie. Toutefois, les États-Unis refusent la proposition russe de  collaboration et se trouvent dans une position nouvelle – Washington a perdu l’initiative et a dû réagir aux actions de Moscou.

Nous constatons que les discours du président russe contiennent moins d’indignation quant à l’arbitraire des pays occidentaux dans les affaires internationales. Il fut un temps où les discours de Poutine étaient entièrement consacrés à ce sujet. Il semblerait que la Russie ait renoncé à vouloir provoquer une résonance internationale en appelant exclusivement à s’opposer aux révisionnistes et aux apprentis-sorciers. Au lieu de cela, elle s’est lancée dans le rétablissement actif du statut quo dans les régions qui revêtent à ses yeux une importance stratégique.

Les démarches actives de la Russie en Syrie la placent en position favorable – elle n’est pas obligée de prendre en compte l’opinion des pays occidentaux sur les moyens de combattre l’EI. Moscou a créé une véritable coalition internationale qui ne comprend, par ailleurs, que des pays intéressés par la victoire. Contrairement à l’opposition syrienne, sur laquelle misent les États-Unis et l’Union européenne, les alliés de Moscou – la Syrie, l’Irak, l’Iran et les combattants kurdes – luttent réellement contre l’EI. Quatre ans durant, ils ont mené ce combat sans aucune aide extérieure. Avec le soutien de la Russie, leurs chances de gagner augmentent considérablement.

Lors de la rencontre entre Poutine et Obama qui s’est tenue à l’Onu fin septembre, la Syrie était au centre des discussions. Les parties ont convenu de « poursuivre la coopération » - ce qui pourrait signifier absolument tout et son contraire. Fait bien plus important - les autorités militaires des deux pays ont reçu l’ordre d’élaborer les détails d’une telle coopération.

Pourtant, si l’entente n’est pas encore au beau fixe, cela n’arrête pas la Russie : Moscou s’appuie sur ceux qui combattent réellement et efficacement l’EI, tandis que les Américains ne parviennent pas à trouver dans la région des partenaires avec qui ils pourraient collaborer avec succès. Néanmoins, un sujet de discussions important s’offre effectivement à la Russie et à l’Occident à ce stade.

Le deuxième argument clé dans les derniers discours de Poutine est la nécessité de rétablir l’État dans les territoires de la Lybie, de la Syrie et de l’Irak où règnent actuellement le chaos et l’anarchie. Moscou est le premier à proposer une solution radicale à la question des réfugiés du Proche-Orient, proposition qui devrait avoir une résonance dans les capitales européennes déstabilisées par la crise migratoire. Certes, la recette n’est pas simple – il ne sera pas facile de rétablir l’État dans les régions où celui-ci a été détruit (souvent suite à une intervention extérieure active).

Le mémorandum d’entente mutuelle sur la sécurité des vols dans le ciel syrien, signé à la mi-octobre, est un résultat intermédiaire de la collaboration entre la Russie et les États-Unis. Il prévoit l’établissement d’une communication opérationnelle entre toutes les instances d’autorité militaire des deux pays et une entraide en cas de situations de crise.

Cependant, une telle coordination ne suppose pas une pleine coopération, et sa portée est strictement limitée. Elle ne prévoit pas d’échange de renseignements et ne signifie pas que les États-Unis soutiennent la politique russe en Syrie. Le refus des États-Unis de coopérer pleinement sur la question syrienne est motivé par leur crainte de provoquer la colère de leurs alliés dans le golfe Persique, et la réticence de voir les positions russes se renforcer dans la région. En outre, Washington peine à élaborer une stratégie régionale globale, ce qui provoque leurs actions hésitantes.

À en juger par le ton des derniers discours de Poutine, la Russie s’est résignée à l’existence de divergences insurmontables avec les États-Unis et l’Otan, mais ne les considère pas comme un obstacle pour ses actions visant à défendre ses intérêts nationaux. Il semblerait que Moscou ait, pour la première fois, accepté la formule de relations proposée à Poutine par Georges W. Bush : « Nous ne sommes pas des ennemis, faites ce que vous voulez et nous ferons de même ». En effet, la Russie fait ce qu’elle juge nécessaire, même si cela provoque la désapprobation des capitales occidentales. Auparavant, Moscou cherchait à convaincre ses partenaires de construire « un espace de sécurité égalitaire et indivisible » depuis une position de faiblesse. Reste à voir ce que nous parviendrons à accomplir aujourd’hui. Car après tout, nous ne sommes vraiment pas ennemis.

Andreï Souchentsov, professeur agrégé de l’Institut d'État des relations internationales de Moscou et directeur du programme du club Valdaï

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