L’Ukraine dans le camp européen ?

Image par Alexeï Iorche

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À un mois du sommet qui se tiendra en novembre à Vilnius et au cours duquel l’Ukraine signera probablement un accord de libre-échange avec l’Union européenne, chaque journée apporte son lot de « surprises » dans les relations entre Moscou et Kiev.

À travers des initiatives tantôt douces, tantôt musclées, les dirigeants russes visent à faire comprendre à l’Ukraine que sa place est dans l’Union douanière et dans un futur proche au sein de l’Union eurasienne, et non pas dans l’Union européenne.

Les chaînes de télévision russes brandissent la menace d’un effondrement économique, d’une dévaluation de la hryvnia et de la désintégration du pays.

En Ukraine cependant, cette vision apocalyptique est accueillie avec ironie. À Kiev, même les eurosceptiques voient dans cet accord avec l’UE un mécanisme politique pouvant permettre de limiter le poids du Kremlin dans ses relations avec l’Ukraine. 

L’intérêt politique de Moscou est évident : sans l’Ukraine, la Russie n’a jamais été et, semble-t-il, ne pourra jamais être un empire. Pour l’empire russe comme pour l’Union soviétique, l’Ukraine constituait en effet une « masse critique » politique, économique et humaine.   

L’intégration au sein de l’Union européenne apparaît bien plus prometteuse que la perspective de rejoindre l’Union eurasienne pour les élites politiques comme pour les forces d’opposition ukrainiennes et de larges couches de la société.

Le pouvoir ukrainien comme les oligarques redoutent l’Union douanière et l’Union eurasienne, estimant que ces initiatives visent à les livrer pieds et poings liés au grand « business » russe. L’opposition ukrainienne est depuis déjà longtemps active dans la défense et la promotion des valeurs européennes.

La plus grande force de l’UE réside dans la séduction de ses valeurs proclamées : droits de l’homme, priorité accordée à l’individu, garantie du respect de la propriété privée, élections libres et alternance politique.

Les valeurs de l’Union douanière s’avèrent problématiques. Le principal argument avancé par les promoteurs ukrainiens de l’intégration eurasiatique est la perspective de prix réduits pour les importations de gaz et de pétrole.

Des idéologues de l’Union eurasienne estiment que l’orthodoxie et les racines slaves partagées par la Russie, l’Ukraine et le Belarus constituent les principales fondations idéologiques de ces projets d’intégration. Toutefois, le Kazakhstan, membre influent de cette union, se rattache à d’autres traditions culturelles et religieuses (l’islam).

Quant à tous ceux qui estiment que l’héritage de l’appartenance à l’Union soviétique devrait former la base commune de l’Union douanière et de l’Union eurasienne, ils se bercent d’illusions sur la manière dont cet héritage est perçu dans l’espace postsoviétique.

Les têtes pensantes à l’origine de la création de l’Union douanière et de l’Union eurasienne n’ont formulé aucun projet spécifique en termes de valeurs, d’où le peu d’enthousiasme des élites et de la population du pays pour l’intégration au sein de ces entités.

La voie de l’intégration au sein de l’Union européenne en faveur de laquelle ont pris position le Président Viktor Yanoukovitch et son entourage proche fragilise l’autorité morale de l’opposition. Si, par le passé, la rhétorique de l’opposition reposait sur un contraste entre europhilie et europhobie, désormais la quasi-totalité des atouts en faveur de l’intégration au sein de l’UE sont entre les mains de Yanoukovitch.

Seul l’emprisonnement de l’ancienne responsable du gouvernement, Youlia Timotchenko, constitue un obstacle à des progrès rapides sur la voie de cette intégration. L’Ukraine représente un tel enjeu que les dirigeants européens sont prêts à accepter un compromis selon lequel Timotchenko ne serait pas libérée mais bénéficierait d’un traitement médical en Allemagne.  

Pour l’Ukraine, la principale difficulté réside dans le caractère imprévisible des conséquences du choix en faveur de l’Union européenne. Les avantages sont évidents pour les États fondateurs d’une union aussi puissante et attractive que l’UE, et il est bon d’en constituer le noyau avec l’Allemagne et la France.

Mais qu’en est-il pour un pays récemment intégré ? La classe politique ukrainienne n’a pas encore su offrir de réponse cohérente.

En outre, la question de l’intégration au sein de l’UE a été traitée comme une question religieuse, complètement idéalisée. Le volet des intérêts économiques tangibles de l’Ukraine semble passer au second plan, ce qui ne permet pas de recenser les faiblesses et les lacunes de la candidature ukrainienne à l’intégration.

Tout cela suppose que la main de l’Union européenne ne tremblera pas en novembre prochain et que Bruxelles signera finalement avec l’Ukraine cet accord élaboré dans la douleur.

L’auteur est politologue au Centre d’études sur l’Europe orientale.

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