Corée du Nord : des réformes clandestines

Dessin de Niyaz Karim

Dessin de Niyaz Karim

Ces derniers jours, l’attention des médias était entièrement consacrée à l’escalade de la tension dans la péninsule coréenne, ignorant des développements très importants à l’intérieur de la Corée du Nord. Début avril, les autorités du pays ont subi un grand remaniement. Et bien que ces changements étaient prévisibles sous certains aspects, plusieurs d’entre eux étaient inattendus et même surprenants.

L’année dernière, les hauts responsables militaires nord-coréens ont commencé à perdre de leur influence, sous la pression des fonctionnaires du Parti du travail. Les autorités apportaient toujours un soutien de façade à la politique de Songun (doctrine donnant la priorité à l’armée) de l’époque de Kim Jong-il, mais les forces militaires ont subi une purge sans précédent.

Des quatre généraux qui escortaient le corbillard de Kim Jong-il lors de ses funérailles, trois ont disparus soudainement et sans laisser de trace. Le quatrième a été renvoyé à la vie civile et, d’après les informations disponibles, a reçu un poste assez insignifiant. En outre, de nombreux officiers supérieurs de l’armée nord-coréenne ont été limogés.

Parmi les autres développements importants s’inscrit la prise de contrôle de l’armée par des bureaucrates civils. Ainsi, Choe Ryong Hae, apparatchik à vie du Parti du travail, s’est vu décerner le titre du vice-maréchal, chargé de l’éducation politique de l’armée. L’ex-secrétaire de la province de Hwanghae, Ch’oe est devenu le plus haut officier parmi les fonctionnaires du parti, supérieur même à des militaires de carrière.

Mais la plus grande surprise a été la promotion (ou plutôt la nouvelle promotion) de Pak Pong-ju qui a été à nouveau nommé au rang de Premier ministre. Durant le début des années 2000, Pak était vu comme un bureaucrate prêt à effectuer des réformes. Il est considéré comme un des auteurs des réformes économiques de 2002 : à ce jour, la tentative la plus radicale de restructurer l’économie anachronique nord-coréenne.

De 2005 à 2007, en raison de la réaction des autorités contre le soi-disant « réformisme », Pak s’est attiré des ennuis. En 2007, il a été nommé directeur d’une usine chimique éloignée de la capitale, une rétrogradation pas si sévère que ça, d’après les normes du pays. Toutefois, l’ancien Premier ministre a réussi à faire un retour au poste qu’il a perdu il y a six ans, sous l’égide de Kim Jong-un.

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Mais que signifient ces changements ? Il serait peut-être prématuré de dire que les développements actuels indiquent le mouvement du gouvernement nord-coréen vers une économie plus libre - ou devrions-nous  même dire plus rationnelle ? Mais une telle interprétation semble devenir de plus en plus vraisemblable : le limogeage des généraux mentionnés, dont la majorité était, selon certaines sources, des jusqu’au-boutistes, ouvre la voie à des changements radicaux, si on imagine que le gouvernement de Kim Jong-un veut vraiment prendre un chemin politiquement dangereux, en tentant d’imiter la Chine. Le retour de Pak au poste du Premier ministre semble confirmer cette hypothèse.

Les réformes économiques en Corée du Nord sont généralement incompatibles avec l’histrionisme du pays sur la scène internationale. Mais ce n'est pas toujours le cas. Les auteurs des réformes seront surtout obligés de trouver un moyen d’empêcher l’émergence d’une opposition active. Il pourrait donc être logique pour le pays d’aggraver de temps en temps les tensions : après tout, rappeler la « menace extérieure » toujours présente à la population est un bon moyen de la rendre plus docile. En d’autres mots, cette rhétorique du « danger imminent » semble être bénéfique pour la stabilité de l’État.

Cependant, le sauvetage de l’économie nord-coréenne nécessitera des investissements étrangers importants, donc des tensions risquent de nuire aux affaires économiques. Toutefois, l'argent en provenance de la Corée du Sud et des États-Unis pourrait être bénéficique pour la croissance économique nord-coréenne, mais de tels investissements représentent en même temps une menace, car ils s'accompagneront de la diffusion d'informations confirmant la prospérité de la Corée du Sud. Au cours des premières étapes des réformes, ces données pourraient être déstabilisantes pour Pyongyang.  

Pourrions-nous assister à une réforme de l’économie nord-coréenne, combinant un déplacement progressif vers une économie de marché avec des tentatives épisodiques d’intimidation ? Il serait actuellement prématuré de dire « oui », mais une telle hypothèse n’est sans doute pas si exagérée qu’on ne le croit.

Andreï Lankov, né en 1963, est un historien de la Corée. Sa thèse étant consacrée aux premiers jours de la Corée moderne, son travail porte ces dernières années sur l’histoire de la Corée du Nord. M. Lankov est, en outre, connu pour ses articles sur l’histoire coréenne en général, particulièrement ceux consacrés à la Corée d’après 1500 et à l’aube de la Corée moderne. Il a publié plusieurs livres sur la Corée du Nord (dont quatre en anglais). Ex-professeur de l’histoire coréenne de l’Université nationale australienne, M. Lankov travaille maintenant au sein de l’université Kookmin de Séoul.

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