Les Russes obnubilés par « l’idée nationale »

Image par Alexei Iorche

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La « question nationale » reste encore aujourd’hui cruciale en Russie pour le développement politique et social du pays.

Si dans les années 90-début 2000, les médias étaient focalisés sur la formation de l’identité des minorités ethniques et des républiques de l’ancienne URSS (avec la Tchétchénie en ligne de mire), ces dernières années, c’est l’ « idée nationale russe », dans ses diverses formes et interprétations, qui suscite l’intérêt général.

Selon une étude de l’Institut de sociologie de l’Académie des sciences de Russie, en 2012, 10 à 15% des Russes déclarent soutenir le slogan « La Russie aux Russes » et près de 30% des sondés estiment que les Russes ethniques devraient bénéficier d’un statut privilégié par rapport aux autres peuples.

Une forte demande nationaliste entraînant automatiquement une offre idéologique croissante, l’ethno nationalisme s’est très largement répandu en Russie. La notion de « voie russe particulière » se retrouve de plus en plus dans les discours politiques, même chez ceux qui se déclarent libéraux.

Et même si la thèse du peuple russe comme « base de l’Etat » n’apparaît pas directement dans le document officiel énonçant la Stratégie de la politique nationale russe, elle est largement discutée au plus haut niveau.

Les chiffres des recensements de 2002 à 2010 ont contribué à donner raison aux partisans de la « renaissance russe ». En effet, les Russes représentent aujourd’hui 80% de la population du pays.

Un chiffre jamais atteint, ni sous l’Empire russe, ni à l’époque de l’URSS. De là, l’idée d’un Etat Russie où le contrôle du pouvoir, des affaires et du secteur social doit être aux mains de la majorité ethnique.

Selon les estimations de la Chambre sociale, le parti nationaliste pourrait atteindre les 10% aux prochaines élections législatives de 2016. Quelles sont les raisons d’une telle croissance ? Et quelles en seraient les conséquences ?

Cette « renaissance russe » s’apparente à une montée irrationnelle de forces obscures. En effet, ce phénomène ne manque ni d’irrationnel, ni d’obscur. Mais ce n’est pas la question. Cette montée du nationalisme russe est avant tout un processus objectif.

C’est le reflet du caractère transitoire de la société russe actuelle, sortie du « carcan » soviétique, mais n’ayant toujours pas trouvé de vêtement à sa taille. Tout ceci sur fond du problème de la quête d’identité et de débats sur l’image de la Russie dans ce nouveau siècle.

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Cet engouement pour l’« idée nationale » est une conséquence de l’effondrement de l’Union soviétique, du changement de statut du peuple russe dans les ex républiques de l’URSS et au sein des républiques de la Russie fédérale.

Le célèbre démographe russe Vladimir Kabouzan appelle cela les « frontières internes de la Russie ». Et si le pouvoir avait toujours tendance à « caresser dans le sens du poil » la majorité ethnique, les libéraux eux étaient davantage enclins à reprocher au peuple russe son passé impérialiste.

Et c’est pourquoi l’ « idée nationale » se retrouve aujourd’hui monopolisée par les extrémistes et la « renaissance russe » est souvent considérée comme une revanche politique qui prend diverses formes: depuis l’appel à une limitation drastique de l’immigration, en passant par la mise en place d’une véritable apartheid entre les régions centrales et du sud, jusqu’au retour à une Russie impériale.

Or, toutes ces formes de la « renaissance russe » ont pour dénominateur commun la même base politico idéologique : une tendance à la réduction systématique des réalités mondiales, une xénophobie virulente et un isolationnisme marqué.

L’autre danger de cette « renaissance russe » est qu’elle fait références à la notion biologique de race. Ce qui renvoie aux mouvements séparatistes du début des années 90. C’est pour ça, que la réalisation de ce « projet russe » ne fera qu’attiser le feu.

Les autorités russes doivent au plus vite réagir à cette agitation éthnique autour de l’« idée nationale russe ». Ne pas se limiter à des déclarations mais mettre en place une réforme radicale de la politique nationale qui devra déboucher sur la création d’une identité commune, basée non pas sur le droit du sang, mais sur une citoyenneté nationale et une «  loyauté au gouvernement ».

Dans le cas contraire, les conséquences risquent d’être déplorables. L’ethnocentrisme ne fera que croître pouvant aller jusqu’à un rejet total de ces « étrangers ». Y compris des citoyens russes d’autres nationalités.

De plus, si aujourd’hui, ces mouvements nationalistes sont représentés par différents partis isolés, demain il n’est pas exclu qu’ils se réunissent.

La passivité des autorités est le meilleure moyen de permettre aux nationalistes de se rassembler sous la bannière « La Russie aux Russes ». Et cela représente un réel danger pour l’unité nationale de la Russie.

Sergueï Markedonov est un spécialiste consultant au Centre des recherches internationales et stratégiques de Washington, Etats-Unis.

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