Le charme discret d'une Russie « affaiblie »

Dessin de Natalia Mikhaylenko

Dessin de Natalia Mikhaylenko

Le 23 mars 2013, Boris est décédé en Angleterre. A en juger par les affirmations des médias, il est probablement mort d'un infarctus du myocarde. L'infarctus serait la conséquence de l'état dépressif général du défunt, qui s'est intensifié au cours de l'année écoulée, depuis qu'il a perdu son procès contre son ancien partenaire, Roman Abramovitch.

Berezovski était de ces hommes qui n'aiment pas et ne savent pas perdre. Pour eux, vivre signifie gagner. Pourtant, ces dernières années ont été marquées par une série de défaites de l'oligarque exilé à Londres. Il a été définitivement et irrévocablement détruit par Poutine. Tous les gens qu'il avait aidés avec son argent ont rejoint le vainqueur, sont partis de Russie ou reposent dans un monde meilleur, au choix. Les milieux libéraux ne pouvaient pas lui pardonner ses attaques médiatiques contre l'équipe des jeunes réformateurs, ni ses liens trop sombres avec les rebelles tchétchènes. Tous les efforts de Berezovski dans la CEI ont échoué : la « révolution orange » qu'il parrainait a fini en fiasco, et le principal bénéficiaire de ses investissements financiers, Ioulia Timochenko, croupit derrière les barreaux sans espoir d'en sortir rapidement.

La psychologie ne permet pas à elle seule d'expliquer ce qui s'est passé. Trotsky, avec qui on compare souvent l'ancien chef de LogoVAZ, ne savait pas perdre lui non plus et s'est pourtant battu contre Staline jusqu'à la fin, jusqu'au dernier souffle. Ou pour prendre un exemple plus proche – Khodorkovski. Il se trouve dans des circonstances beaucoup plus dures, d'autant plus que son tempérament politique cède nettement à celui de Berezovski. Et pourtant, aujourd'hui encore, il ne produit pas l'impression d'un homme écrasé psychologiquement. Trotsky, par exemple, se battait pour la Russie, pour l'avant-garde de la révolution mondiale. Peut-on dire avec le même degré de certitude pour quelle Russie combattait Berezovski? 

Nous simplifierions à outrance l'image du défunt si l'on émettait une thèse simple – il n'avait pas le moindre idéal, mais n'avait que des intérêts. Je pense pour ma part qu'il conservait dans son cœur son propre rêve de la Russie.

A la fin des années 1990, un analyste politique avisé m'a dit ce qui suit : les gens comme Berezovski ont besoin d'une Russie faible, d'une Russie sans pouvoir fort, aussi bien à l'intérieur qu'à l'étranger. Ce n'est que dans un pays mou, semi fédératif, en décomposition, qu'ils peuvent mener leurs activités en toute sécurité. La meilleure option pour ces personnes serait la transformation de la Russie en une sorte de Chypre eurasiatique – désespérément divisée en deux moitiés avec des impôts minimaux et des structures de pouvoir inefficaces.

Jusqu'à très récemment, juste avant la crise financière à Chypre, Berezovski pouvait à tout le moins espérer que malgré la faible moralité de son idéal d'une « Russie faible », cet idéal était partagé avec lui par des milliers d'hommes d'affaires russes, cherchant à mettre à l'abri leur capital sur l'île de la Méditerranée. Il pouvait se rassurer en constant que le business vote avec son argent et son épargne pour un système d'État réduit au minimum, qui a trouvé une incarnation si parfaite dans le paradis offshore gréco orthodoxe. 

Bien sûr, je ne veux en aucune façon lier la mort soudaine de Berezovski et son mystérieux repentir avec la détermination de l'UE à mettre de l'ordre dans les dépôts russes à Chypre. Et pourtant, et pourtant, pour un homme tel que Berezovski, j'en suis sûr, cet événement a pu constituer le diagnostic définitif de l'histoire au sujet son idéal de « Russie faible ». Une Russie sans pouvoir central fort.

Berezovski était honni, craint, mais il était considéré comme un idéal par des milliers de Russes épris d'aventure (dans le bon sens du terme). Maintenant, tous ces gens ont réalisé avec Berezovski qu'ils ont commis une erreur fatale dans les années 1990 en succombant au charme d'une « Russie affaiblie ».

Désormais, les cercles d'affaires russes ont besoin de nouveaux héros audacieux. Il faut des aventuriers prêts à construire une nouvelle Russie « forte et souveraine », une Russie, où, cependant, il restera de la place pour l'initiative économique et la concurrence politique. Cette classe, prête à revenir dans son propre Etat avec son argent, en dépit de tous les risques encourus, constituera la véritable infrastructure de base du capitalisme russe de l'avenir, nationalement orienté.

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