Une menace
qui nous rapproche

Image par Victor Bogorad

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Tournant ou formalité diplomatique ? La visite que François Hollande doit effectuer en Russie à la fin de ce mois sera scrutée à la loupe par tous ceux qui souhaitent ou redoutent un rapprochement entre Paris et Moscou.

Après une première rencontre à Paris avec son homologue Vladimir Poutine, entrevue des plus « réfrigérantes », la balle est dans le camp du président français. Tous les observateurs s’accordent sur ce point. 

Il peut choisir, pour flatter la part la plus dogmatique de sa majorité, violemment hostile à la Russie, de poursuivre dans le registre du rapport courtois mais distant. Ou bien il peut infléchir sensiblement son attitude en établissant un réel dialogue avec son homologue. Cela n’aurait rien d’extraordinaire. 

Car la gauche a depuis longtemps habitué les Français aux revirements les plus contraires à sa tradition politique : tournant vers la rigueur de 1983, dérèglementation des marchés des années 90... Dans ce cadre, l’offensive militaire lancée au Mali par un gouvernement affichant sa haine du néo-colonialisme est logique. 

Ensuite parce que ces opérations révèlent une prise de conscience française vis-à-vis de la menace djihadiste. Manuel Valls, le ministre de l’Intérieur, a raison de dénoncer le « fascisme islamiste qui monte un peu partout ». Car les masques tombent.

Le mythe des printemps arabes démocratiques s’est aujourd’hui effondré. Salafistes en Tunisie, Frères musulmans en Égypte ou soi-disant « combattants de la liberté » de Benghazi montrent aujourd’hui leur vrai visage. C’est le même que celui de Mohamed Merah. Le même que celui des milices fondamentalistes composant une bonne partie des forces rebelles en Syrie. Celui de la haine. 

Ce péril, la Russie y est également confrontée dans le Caucase, au Tatarstan et demain sans doute, en Asie centrale, après le retrait d’Afghanistan des forces de l’OTAN. Entre Paris et Moscou, l’alliance fait donc sens. D’autant plus sens que suivant une ligne de fracture nord-sud les fronts se multiplient : de Toulouse à Domodedovo, de Gao à Mogadiscio, nous sommes confrontés à un fondamentalisme sunnite qui entend bien détruire toute opposition

Musulmans laïcs ou modérés, Chiites, Alaouites, Chrétiens coptes, maronites, orthodoxes ou catholiques, femmes refusant l’asservissement, enfants ayant commis le crime d’être nés juifs à Toulouse ou russes à Beslan…

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Nous sommes tous dans la ligne de mire des partisans du Califat mondial. Au-delà de nos dissensions, des contentieux actuels ou séculaires, nous partageons donc un intérêt commun, celui de la défaite des « fascistes ». 

Il faut à présent tirer les leçons de cette donne et de nos erreurs. Oui, Kadhafi était un monstre. Mais l’intervention française en Libye était une absurdité que nous payons tous les jours. Du Mali à Marseille, toutes les Kalashnikov viennent de Benghazi. 

Oui, le régime de Bachar-al-Assad est totalitaire et répressif. Mais sa chute signifierait sans doute la victoire de l’Islam radical. Entre la peste et le choléra il faut donc trancher, au mieux de nos intérêts. 

La France et la Russie restent les seules puissances militaires significatives en Europe. Certes, le Royaume-Uni dispose encore de forces armées performantes. Mais Londres est lourdement engagé en Afghanistan. 

Quant aux autres Européens, Allemands, Polonais, Italiens, Espagnols, Scandinaves… ils ne peuvent ou ne veulent intervenir. Beaucoup n’en ont plus les moyens financiers. 

Combien de temps, d’ailleurs, la France les aura-t-elle encore ? D’autres n’en ont plus les moyens militaires. Certains enfin, c’est le cas notamment de l’Allemagne, sont ravis de vendre de l’armement dans le monde entier. En revanche ils se désolidarisent de leurs alliés dès qu’il s’agit de faire la guerre. 

Or, les opérations au Sahel seront encore longues. Les troupes françaises ont tué plusieurs centaines de djihadistes, partiellement détruit la chaîne logistique. Il faut maintenant sécuriser le terrain, poursuivre et détruire les dernières bandes djihadistes. Nous n’y parviendrons pas seuls. Ce ne sont pas les États africains qui pourront le faire. 

Compte tenu de la situation, la Russie pourrait, dans le cadre d’une résolution de l’ONU, dépêcher des forces. Français et Russes ont merveilleusement coopéré au Kosovo. Notre culture stratégique est proche. Il est temps de sortir des « partenariats stratégiques » qui n’engagent à rien pour s’engager vraiment. Ensemble. 

Philippe Migault est directeur de recherche à l’Institut de Relations internationales et stratégiques (IRIS).

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