A Moscou, la cuisine ouzbèke a le vent en poupe

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Un assortiment de ces mets délicieux vous attend au coeur de la ville, dans d’authentiques restaurants ouzbeks, où vous pourrez vous assoir à même le sol sur des coussins colorés, autour de tables basses recouvertes de tapis orientals. C’est dans l’un de ces établissements que travaille depuis six ans déjà le chef cuisinier Sherali Moussaïev. Il vient de Tachkent. 

Texte : Dmiti Romendik
Photos et vidéo : Vladimir Stakheev 

Peu de villes au monde peuvent se targuer de brasser une telle diversité culinaire nationale : à Moscou, vous pourrez déguster la cuisine traditionnelle de presque tous les peuples vivant en Russie. La cuisine ouzbèke connaît une grande popularité auprès des moscovites : plov, samsa, shourpa, lagman, shashlyk et lepeshki, autant de noms savoureux pour une cuisine exotique.    

Les saveurs du plov russe ont envahi Moscou dès le XVe siècle. A l’époque, la capitale russe reçoit pour la première fois la visite d’émissaires de Djaghataï, situé sur l’actuel territoire de l’Ouzbékistan. Quelques quatre siècles plus tard, le khanat de Boukharat (État d’Asie centrale du XVIe au XVIIIe siècle situé sur les territoires actuels de l’Ouzbékistan, du Tadjikistan, du Turkménistan et du Kazakhstan) rallie la Russie. La liste des riches marchands moscovites commence à se remplir de noms ouzbeks. Ils participent à la construction des premières mosquées. En 1921, la rue Spiridonovka donne le jour au premier établissement boukharien. Malgré la longue histoire des relations russo-ouzbèkes, la diaspora ouzbèke ne s’est véritablement formée en Russie qu’après la chute de l’URSS. 

Contexte historique
D’origine ouzbèke, Sherali est né au Tadjikistan et a étudié la cuisine dans une école au Kirghizistan. Son service militaire, il l’a fait au Khazakstan, après quoi il a rejoint la capitale de l’Ouzbékistan, Tachkent. Sherali a ainsi vécu dans quasiment toutes les républiques soviétique de la région d’Asie centrale (à l’exception du Turkménistan).    
« Lorsque je suis arrivé à Moscou en 2008, et bien que je sois déjà un cuisinier d’expérience, j’ai dû commencer comme boucher. Ce n’est que quelques années plus tard que je suis devenu chef », raconte Sherali.
« Pourquoi les gens émigrent-ils ? La question est difficile, surtout lorsque tu as plus de quarante ans. J’ai étudié dans une école russe, ma langue maternelle, c’est le russe, et mes amis sont pour la plupart européens. D’autant que nombre d’entre eux ne sont pas de Moscou. »    
Aujourd’hui, selon les chiffres officiels, plus de 35 000 ouzbeks vivent à Moscou. Contrairement à la croyance populaire, ils ne travaillent pas tous sur les chantiers. Parmi les ouzbeks de Moscou, on trouve des cuisiniers, des restaurateurs, des juristes. Et aussi quelques personnalités: le cosmonaute Salizhan Sharipov et le multimilliardaire Alicher Ousmanov, l’homme le plus riche de Russie selon un rapport datant de 2012. En venant à Moscou, les Ouzbeks apportent avec eux leur langue, même s’ils parlent également couramment le russe. Les Ouzbeks sont de confession musulmane.    
Sherali raconte qu’à Moscou, il possède un large cercle de connaissances: des amis d’enfance, des camarades de l’armée. Il se rend à la mosquée à chaque fête religieuse : « Il y a beaucoup de mosquée à Moscou et nous sommes heureux de voir que dans une ville russe, personne ne viole les droits des musulmans ».
« Le fait que je sois originaire d’Ouzbékistan m’aide beaucoup dans la vie et dans mon travail à Moscou. Nous possédons cette sagesse orientale : vouloir du bien aux gens et ne rien attendre de mauvais de leur part. Ainsi, la bonté revient toujours vers vous »    
La carrière gastronomique de Sherali a commencé sur un ton plutôt dramatique. A l’âge de six ans, il décide de préparer un « pétouchok » (« coq » en russe), une sucette soviétique préparée à base de sucre fondu, à la forme d’un coq. En préparant le sirop de sucre sur la gazinière, il manque de faire brûler la maison tout entière : « le feu a tellement pris que lorsque les pompiers sont arrivés, c’était un miracle que je sois encore en vie. C’est ainsi que j’ai fermement entrepris de devenir chef cuisinier ».    

La cuisine que dirige aujourd’hui Sherali Moussaïev est entièrement ouverte : aucun mur ne la sépare de la salle du restaurant. Regarder le travail des cuisiniers fait partie du show. L’un d’entre eux met une poêle sur la cuisinière, provoquant des flammes jusqu’au plafond. Un autre semble jeter un sort au-dessus du chaudron dans lequel cuit un délicieux plov. Un troisième étale une pâte à pain qu’il enfourne dans un tandoor (four en terre cuite ouzbek) en les plaquant sur les parois intérieures. En quelques minutes, les lepechkas (galettes de pain fines) sont prêtes à être servies.    

Comme Sherali, le tandoor dans lequel sont préparées les lepechkas vient d’Ouzbékistan. Globalement, près de 70% des produits utilisés pour le restaurant viennent de là-bas. « Prenez par exemple les carottes, précise Sherali, en Russie, poussent des variétés rouges, plus sucrées, alors que pour le plov, il faut des carottes jaunes, moins sucrées, que l’on commande en Ouzbékistan ». Tout comme il y a deux sortes de riz: pour le mariage et pour le plov. Le plov, c’est délicat en général : « Sur trois chefs qui vont cuisiner selon une seule et même recette, vous obtiendrez trois plov différents ».    

A Moscou, on apprécie l’authenticité (même si le restaurant Uruk a adapté sa cuisine ouzbèke à un niveau gastronomique) et les gens hasardeux ne sont pas les bienvenus. Un chef cuisinier dans un restaurant ouzbek qui se respecte ne peut être qu’Ouzbek. Ceux qui préparent le plov en cuisine auront toujours un emploi bien rémunéré dans la capitale. Même si dans le métro, il sera toujours difficile de les distinguer de leurs compatriotes travaillant sur les chantiers.

 

Sherali voulait venir s’installer ici depuis les années 1990, mais sa famille s’y est longtemps opposée. Deux filles et un fils de seize ans. Puis, ses filles se sont mariées. « Nous avons décidé ainsi : d’abord je vivrais quelques temps ici, je me construirais une maison près de Moscou, et puis ma famille me rejoindra. Voilà, dans environ un an, ils pourront venir vivre ici ».    

Dans les années qui ont suivi la chute de l’Union soviétique, le mécanisme de « réunification de la famille à Moscou » a été pratiqué par les membres de différentes communautés ethniques à la perfection. Ils sont nombreux à rester jusqu’à ce qu’ils aient une maison en dehors de Moscou : la majorité espère trouver sa chance dans la capitale et déménage en ville avec toute sa famille. Ils louent d’abord un minuscule appartement en banlieue, puis se remettent entre les mains de la bonne chance, car le chemin entre ouvrier de construction et chef cuisinier n’est souvent pas si long.   
Produit par Russia 
Beyondthe Headlines, 2014 
Texte : Dmity Romendik
Photos et vidéo: Vladimir Stakheev