La diaspora géorgienne et ses traditions dans le Moscou actuel
La famille Bogatelia à commencé à se construire dans le Moscou des
années 90. Eka Bigvava y est arrivée en 1991 pour étudier en dermatologie. A la
faculté de médecine, elle rencontre Zourab, son futur époux, également géorgien et
chirurgien.
« Lorsqu’on arrive pour la
première fois à Moscou, on est un peu abasourdi par la quantité d’argent et les possibilités qui
s’ouvrent ici. Et par la quantité de gens, bien sûr. Moscou est la ville la plus peuplée d’Europe. En
Géorgie, aucune ville n’est surpeuplée. La plus grande ville a deux millions
d’habitants », raconte-t-elle.
A Moscou, les Bogatelia vivent
dans une ancienne bâtisse sur le Boulevard Tsvetnoï. Hauts plafonds, couloirs
spacieux, appartement de cinq pièces : il y a de la place pour les quinze
membres de la famille. « La principale difficulté à laquelle nous avons été confrontés en arrivant à Moscou, c’est celle du logement.
Il est très difficile de trouver un appartement ici, se souvient Eka. C’est
devenu plus facile après un an, même si nous vivons encore ici
aujourd’hui ».
La diaspora géorgienne à Moscou est la plus ancienne. Au
XVe siècle, des délégations des terres géorgiennes viennent rendre hommage au
prince Ivan III les unes après les autres. Certains de ces représentants
décident alors de s’installer dans la capitale russe. Le quartier géorgien de
Moscou commence à se constituer au début du XVIIIe siècle, lorsque le roi Vakhtang VI reçoit
de la part du jeune tsar Pierre II de Russie le village Voskressenskoïe, près
de Moscou. Le lieu devient par la suite le noyau dur du premier quartier connu
de Géorgiens.
Pendant la période soviétique, la
Géorgie fait intégralement partie de l’URSS, mais en 1991, elle déclare son
indépendance et se déttache. Dans les années 1990, le conflit entre la Géorgie
et l’Abkhazie provoque une importante vague migratoire en Russie. Ces 10
dernières années comptent de nombreuses tensions dans les relations
russo-géorgiennes: le conflit en Ossétie du Sud en 2008, l’interdiction sur les
importations de produits géorgiens en Russie entre 2006 et 2013… Mais le peuple géorgien est
toujours resté proche du peuple russe, en grande partie grâce à la religion orthodoxe. La culture
géorgienne a continué de vivre à travers les films soviétiques cultes et les chansons. Et la diaspora
géorgienne de Moscou est devenue petit à petit une partie intégrante de la capitale et de son mode de vie
contemporain.
Aujourd’hui, selon les chiffres officiels, environ 40 000 Géorgiens vivent à Moscou. Ils sont médecins, chauffeurs de taxi, vendeurs… Les Géorgiens ont cette capacité à se bâtir une vie en repartant de zéro, quelque soit l’endroit où ils se trouvent.
Les Géorgiens savent assimiler rapidement une nouvelle culture. La préservation des traditions nationales dans une mégalopole devient alors pour eux un véritable défi. Mais la langue géorgienne leur est un atout. Dans la famille Bogatelia, tout le monde parle géorgien. Communiquer entre eux dans cette langue leur est plus facile. C’est une langue assez simple : seulement trois temps, mais les verbes se conjuguent en fonction de l’endroit où se trouve le sujet par rapport à l’objet (« il a fermé la porte » connaît six ou sept variantes grammaticales).
« En effet, on s’habitue
rapidement. Nous devons veiller à conserver notre langue et nos traditions. Je regarde des émissions
géorgiennes sur youtube. Les enfants pratiquent la langue avec un professeur.
Ils chantent des chansons géorgiennes et dansent les danses nationales. Et bien
sûr, chaque été, nous rendons visite à leur grand-mère en Géorgie ».
Les migrants géorgiens illégaux
étaient immédiatement expulsés de Russie, et ceux qui avaient la possibilité de mener leur vie en Géorgie
(trouver du travail, créer une entreprise) rentraient au pays de leur propre
gré. Certains sont partis avec leur famille entière.
En pleine guerre
ossèto-géorgienne, la Russie et la Géorgie ont rompu leurs relations
diplomatiques et imposé un régime de visa entre les deux pays. Les restrictions de visa à l’égard des Géorgiens sont
toujours d’actualité en Russie. Une procédure simplifiée s’applique aux parents les plus proches
uniquement. Il y a 6 ans, les vols entre les deux pays avait été interrompus. Pour se rendre en
Géorgie depuis Moscou, Eka Bagatelia devait embarquer via l’Azerbaïdjan,
l’Arménie, la Biélorussie, ou via des pays européens.
Après ces événements, la diaspora
géorgienne de Moscou a fortement diminué.
« Mes amis géorgiens à Moscou m’ont raconté comment certains s’étaient fait
virés, d’autres emmenés au poste de police. Porter un nom de famille géorgien
conduisait inévitablement à des problèmes. Ces histoires sont véridiques. Mon neveu, qui a un nom de
famille géorgien, a commencé à subir des injures à l’école. Bien sûr, ils n’ont pas réussi à le blesser, car il est plus fort
que tous », sourit Eka.
Les Géorgiens disent eux-même qu’ils peuvent ne pas voir leur famille pendant des années, même en habitant la même ville, ils se sentent malgré tout proches les uns des autres. Comme une même communauté, une même famille : « Le plus ouvrent, les Géorgiens ne se déplacent pas en nombre. Juste le mari, sa femme et ses enfants. Je pense que quelque part, nous n’avons pas assez le sens de la communauté. On ne prend pas avec nous nos oncles, nos frères et nos soeurs. C’est la faiblesse de notre diaspora. Les autres peuples sont plus unis».
Pourtant, les Bogatelia semblent
très unis. Ils se souviennent des prénoms de leurs nombreux cousins-cousines,
oncles-tantes, grand-pères et grands-mères. Ils ne se perdent jamais de vue,
même avec les membres de la famille qui ont émigré en France: chaque semaine, ils
s’appellent via skype. Un rituel bien établi.
Lorsqu’ils reçoivent, dans leur
maison sur le Boulevard Tsvetnoï, la famille et les proches en grand nombre,
règne une atmosphère de petite Géorgie: les enfants revêtent les costumes
locaux et chantent l’hymne national, tandis que les adultes recouvrent la table
de plats et de boissons traditionnels. Le sentiment de fête est bien présent et
ne laisse aucun répit à ses hôtes.
Les Géorgiens ne délaisseront
jamais leurs traditions, surtout celles de la table. Même s’ils doivent émigrer
au pôle nord. Peut-être parce que c’est justement autour de la table que se
réunie la famille, petite comme grande, et que se crée le lien entre les
générations. C’est comme si cette table ne se trouvaient plus dans cet
appartement moscovite, mais dans le jardin de la maison de campagne familiale,
près de Tbilissi, entourée de vignes.