Ces chiens-chacals

qui surpassent en précision tous les détecteurs
Victoria Zavyalova
La précision de l'identification des substances dangereuses par les chiens a été améliorée grâce à une nouvelle technologie. Celle-ci comprend l'analyse bioélectrique du cerveau et du système nerveux central des animaux. La méthode a été testée sur les hybrides de chien et de chacal qui travaillent à l'aéroport de Moscou Cheremetievo.
Un petit chien banal va et vient à l'aéroport de Moscou Cheremetievo. De temps en temps, il pousse rapidement et sans ménagement son nez humide dans les sacs çà et là. Les gens rigolent : le chien est tout à fait amical. Parfois, on dirait qu'il sourit, comme s'il prenait plaisir à faire son travail.

Il s'agit d'un hybride chien-chacal, spécialement produit par le croisement de chiens, de chacals du Caucase du Nord et de laïkas berger de rennes de l'Arctique. Les hybrides sont surnommés « chalaïka», «chacalaïka » et, pour rire, « chabaka » (du russe sobaka, pour chien). Depuis 14 ans, le service de sécurité de la principale compagnie aérienne russe, Aeroflot, les utilise à l'aéroport de Moscou Cheremetievo.

Ce sont ces chiens que les scientifiques russes utilisent pour tester la nouvelle méthode d'identification des substances dangereuses, développée et brevetée conjointement avec Aeroflot en mars de cette année. Cette technologie surveille les changements qui surviennent dans le système nerveux central des chiens de recherche et améliore la précision de leur travail.

Chien-chacals high-tech

Fin des années 80, le biologiste russe Klim Soulimov, alors employé du ministère de l'Intérieur, eut l'idée de croiser un chien et un chacal. L'autre nom de ces hybrides est ainsi le « chien de Soulimov ».

« Ce n'est pas une race de chiens », précise Soulimov. « Nous avons reproduit la « norme pré-race » originelle du chien, telle qu'elle était il y a 100 000 ans, soit avant que l'homme ne commence à le spécialiser et à l'élever pour la chasse, la garde, etc. Toute spécialisation réduit le champ des capacités. Regardez l'aspect extérieur de nos chiens : il n'a rien d'inutile, d'irrationnel ».

Les chiens de Soulimov ont un meilleur odorat que les simples chiens de service, mais il leur arrive de se tromper, car un chien travaille pour une récompense. S'il trouve un explosif dans le sac d'un terroriste, il aura une friandise. Parfois, il voudrait avoir une friandise juste comme ça, c'est là que surviennent les erreurs dans le « comportement de signalisation » : le chien montre au cynologue qu'il a trouvé quelque chose, alors qu'en réalité, il n'y a rien dans le sac.

Klim Soulimov, biologiste

« Les appareils sont moins fiables, mais on leur fait confiance »

La nouvelle méthode a porté la précision d'identification des substances dangereuses à près de 100%
« Les appareils, même les plus chers, ont leurs limites dans les caractéristiques de fonctionnement. L'odorat des chiens est bien plus précis », estime Azat Zaripov, directeur adjoint du département de la gestion de la sécurité aérienne d'Aeroflot. « Mais on fait plus confiance aux appareils, car tout y est clair ». Jusqu'à une date récente, Aeroflot utilisait souvent les doubles vérifications où trois chiens se succédaient pour se vérifier.

La précision de cette recherche traditionnelle à l'aide des chiens s'élève à 60%, précise Zaripov. La nouvelle méthode a porté la précision d'identification des substances dangereuses à près de 100%. Les scientifiques ont conduit un millier de tests. L'erreur n'y est survenue que dans huit cas.
« Nous avons décidé de ne plus utiliser les signes secondaires – le comportement de signalisation qui dépend de nombreux facteurs – et de nous fier à la réaction de l'organisme, soit les signaux que nous envoie le système nerveux central du chien », raconte Zaripov. La compagnie aérienne a par le passé signé un contrat avec le Centre médical fédéral de biophysique Bournazian, situé à Moscou. Ensemble, ils ont élaboré un nouveau complexe d'appareils et de logiciels.
« En finesse d'odorat, le chacal est supérieur au loup. Et puis, à quoi nous servirait un veau pareil ? Le chacal supporte très bien les températures très élevées. En deuxième élément de croisement, nous avons choisi un chien de l'Arctique, le laïka polaire, qui supporte des températures allant jusqu'à -70°. Vous imaginez ? Nos animaux peuvent travailler aux Emirats arabes unis et dans les températures très basses. C'est notre avantage. Un berger allemand a froid par -20°. »

Klim Sulimov
Biologiste

Comment ça marche ?

La nouvelle méthode analyse la dynamique de l'activité bioélectrique du cerveau du chien dans sept canaux. Un électrocardiogramme est réalisé afin de vérifier cette information, les appareils surveillent également la respiration du chien. Les électrodes sont fixées sur la tête du chien détecteur grâce à un bonnet spécial en néoprène. L'ensemble des réactions du système nerveux central sont transmises, en temps réel, à l'ordinateur.

« Nous sommes actuellement au stade préliminaire de ce travail », nous a expliqué Zaripov.
« Nous avons une maquette en fonctionnement. Cet appareil est assez volumineux, mais nos chiens de petite taille le portent quand même ».
La nouvelle méthode permet, notamment, d'identifier une fausse alerte.
La nouvelle méthode permet, notamment, d'identifier une « fausse alerte ». « Le comportement de signalisation traditionnel ne permet pas d'identifier facilement la « ruse canine » : le chien ne sourit pas, ne cligne pas des yeux », explique Zaripov. « Mais dans ce cas, l'électroencéphalographie montre que le chien a une conscience. Il sait qu'il s'est trompé. La réaction du système nerveux central est très différente ».

Pour le moment, les informations sont traitées par les scientifiques en laboratoire. Mais à l'avenir, les informations pourraient être transmises par les chiens au point de contrôle de la sécurité de l'aéroport, expliquent les développeurs, ou même sur l'iPad ou le smartphone des cynologues. Ils recevront un signal différent, rouge ou vert, confirmant la réaction du chien ou l'invalidant. « Il n'y aura pas de signal sonore : le chien ne doit pas savoir que nous savons ce qu'il pense », explique Zaripov.

Passeport psychophysique pour les chiens

Dans la pépinière d'Aeroflot, les chiots sont entraînés dès l'âge de trois mois, même s'ils ne sont amenés à l'aéroport qu'à un an pour être habitués à leur « lieu de travail ». Le premier élément de l'entraînement est de leur apprendre à s'asseoir. Les cynologues font entrer trois chiots, tout à tour, dans la salle d'entraînement.

Les chiots ont entre 10% et 35% de sang chacal. Leur objectif est de s'asseoir au signal du clicker. Ils y arrivent tous. Le dernier à entrer est un chiot de trois mois, surnommé Zaïka. Notre photographe se met à claquer des doigts pour attirer son attention. Le chiot est confus, il s'enfuit et se cache derrière Elena Bataïeva, directrice du service de maîtres-chiens d'Aeroflot, comme derrière sa maman.

Je lui demande : À qui les chiots sont-ils attachés ? J'ai l'impression que vous êtes comme des parents pour eux.

« Généralement, le chien s'attache à celui avec qui il travaille, répond Elena. Mais chez nous, tout le monde travaille avec tout le monde ».

Les chiots ont entre 10% et 35% de sang chacal.
« Généralement, le chien s'attache à celui avec qui il travaille. Mais chez nous, tout le monde travaille avec tout le monde ».

Elena Bataïeva
Directrice du service de maîtres-chiens d'Aeroflot
Chez Aeroflot les chiens ne sont pas rattachés à un maître. Après la naissance, le chiot passe dans les bras de tous les employés du service, les uns après les autres. Il arrive parfois qu'un chien-chacal ne veuille pas travailler à l'aéroport : il n'en a ni l'envie ni la capacité. « C'est normal », confirme Soulimov. « Comme les gens, ils sont tous différents ». Ces chiens sont alors placés chez les connaissances. Mais les développeurs estiment que le complexe polygraphique cynologique pourrait créer un nouveau système d'« orientation professionnelle ».

« Comme nous sommes capables de lire le système nerveux central du chien, nous avons décidé d'élaborer un passeport psychophysique », raconte Zaripov.
« Actuellement, nous conduisons une série de tests pour peaufiner le système. Nous pourrons décider où affecter tel ou tel chiot. Les uns pourraient se consacrer à la recherche, d'autres, plus agressifs, pourraient travailler dans la garde ».

Ainsi, plutôt que perdre deux à trois ans pour la préparation standard du chien, il pourra être affecté à la profession appropriée dès le début.

Dans la pépinière d'Aeroflot, les chiots sont entraînés dès l'âge de trois mois.
« J'ai commencé à m'y intéresser quand je travaillais dans la police. C'était en 1965. À l'époque, en URSS, il n'y avait pas de crime organisé, il commençait tout juste à se former. Nous avions besoin d'animaux capables de chercher les drogues. Il n'y avait alors aucun appareil dans ce domaine. D'abord, j'ai réussi à préparer des chiens pour la recherche de haschich ou d'opium. Dans les années 90, après l'effondrement de l'URSS, mon travail était menacé de disparition. Je ne pouvais pas prendre les chiens chez moi, j'en avais 11 à l'époque. Je leur ai donc cherché des places, j'ai survécu comme je pouvais jusqu'à ce que je commence à travailler pour Aeroflot ».

Klim Sulimov
Biologist

Les chiens contre le cancer

« C'est la réversion, le retour aux laïkas bergers de rennes du lieu dont ils sont issus, la Laponie. Nos croisements ont produit ce chien incroyable qui a toutes les caractéristiques du chien originel. Il a conservé les réactions innées aux signaux que l'homme transmet au chien dans son travail. Il n'a pas besoin d'apprendre les gestes », explique Soulimov.
À l'avenir, les cynologues d'Aeroflot envisagent d'utiliser leur méthode avec d'autres races de chiens, notamment ceux qui travaillent au ministère de l'Intérieur et dans les forces armées. Il s'agit, généralement, de labradors et de bergers allemands. Pourtant, avec la nouvelle technologie, la recherche des substances dangereuses n'est pas le seul atout des chiens de Soulimov. Ils pourraient même diagnostiquer le cancer à l'odorat.

« Les carnassiers sont les infirmiers de la nature », souligne Soulimov. « Pour les chacals, les animaux malades sont une proie plus facile que ceux en bonne santé. Nous avons conduit des tests qui ont montré qu'une souris atteinte d'un cancer sécrète, dès le troisième jour, certaines substances dans son urine. Ainsi, le chien pourrait identifier la maladie à l'odeur ». Les cynologues travaillent dans ce domaine conjointement avec l'Institut des études de transmission de l'information Kharkevitch et l'Institut de l'écologie et de l'évolution de l'Académie russe des sciences, tous deux situés à Moscou.

En outre, les chiens hybrides peuvent facilement trouver de l'ivoire dans une pile de bijoux ou une tonne de marchandises et ainsi résoudre le problème du braconnage qui provoque annuellement la mort de dizaines de milliers d'éléphants pour leurs défenses. « Les défenses ne sont pas traitées sur le continent africain, elles transitent par la Chine, le Vietnam et l'Italie », raconte Zaripov. « Nous avons testé : nos chiens identifient facilement l'ivoire à l'odeur ».

À l'avenir, les chiens auront du pain sur la planche : les experts expliquent que la liste des substances dangereuses s'allonge sans cesse, alors que les doses deviennent microscopiques. Par ailleurs, la recherche dans les aéroports ne se limite pas aux explosifs. « Le chien est capable d'identifier des milliers d'odeurs », conclut Zapirov. « Mais elles doivent toutes être ciblées, c'est-à-dire que le chien doit savoir ce qu'on cherche ».

Comment croiser un chien et un chacal ?

Quand les cynologues ont décidé de croiser des chiens et des chacals, ils ont appris qu'il n'y en avait ni dans les zoos, ni dans les cirques. « Il est très difficile de sortir un chacal de la nature. Si on en prend un adulte ou un pré-adulte, il ne s'habituera jamais à l'homme. Plus jeune, il ne survivra pas sans sa mère », raconte Zaripov. Pendant quatre ans, les cynologues ont cherché à ramener des chacals à Moscou, ont guetté les élevages du Caucase du Nord, sans succès. Au final, ils ont trouvé les animaux au zoo de Bakou, en Azerbaïdjan.

Aujourd'hui, Aeroflot utilise différents chacals : des chacals des montagnes et des chacals des steppes. « Ce n'est pas le fruit du hasard, nous l'avons fait pour élargir le champ des sélections », explique Zaripov. Les spécialistes ont également étudié les dingos australiens et se sont même rendus à Sidney. « C'est un chien ancien, aborigène », explique Zaripov. « Mais nous l'avons vu dans un zoo, gavé, et il ne m'a pas plu : il était paresseux et passait son temps à dormir. Nos chiens doivent aimer travailler ».

Texte par Victoria Zavyalova
Crédit photos : Aeroflot press service, Ruslan Fayzulin / Russia Beyond The Headlines
Design et maquette par Victoria Zavyalova.

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