2016, année charnière pour la diplomatie russe

Reuters
Si le Kremlin boycotte la Turquie, vers quels partenaires alternatifs pourra se tourner la Russie dans un contexte où les relations avec l’Ouest sont loin d’être florissantes ?

L’incident du bombardier Su-24, abattu le 24 novembre dernier par la Turquie a engendré de graves tensions entre Moscou et Ankara, alors que les relations avec l’Occident ne sont pas exactement au beau fixe. Toutefois, face à la menace terroriste, l’Occident semble avoir atténué sa rhétorique intransigeante à l’égard de Moscou. 

Selon Aurel Braun, professeur de relations internationales et de sciences politiques à l’Université de Toronto, la Russie va continuer d’amplifier sa coopération avec le régime du président syrien et avec l’Iran. Cependant, dit-il, cette coopération sera problématique à long terme, « car le régime Assad n’est vraiment pas viable, et les intérêts à long terme de l’Iran, en matière de promotion de l’islamisme et dans son désir ultime de devenir une puissance nucléaire, sont incompatibles avec les intérêts nationaux russes ». Ironie du sort, la confrontation de la Russie avec la Turquie rapproche l’UE et l’Otan du régime du président turc, celui-là même que l’UE a lourdement critiqué dans le passé pour ses violations grossières des droits de l’homme, ajoute Braun. De plus, la Russie pourrait voir ses relations avec les Occidentaux ternies suite à la confrontation russo-turque.

« La colère russe envers la Turquie, même si justifiée, a des effets délétères non seulement sur la relation économique avec Ankara, mais à long terme, de façon plus importante, sur les relations avec les Etats-Unis et l’UE, qui sont tous les deux poussés dans les bras de la Turquie », affirme Braun. Et ceci n’est pas un signe positif, étant que « les véritables intérêts nationaux russes se trouvent à l’Ouest et en Europe, et non avec des Etats comme l’Iran, la Syrie, et auparavant avec Erdogan », élabore Braun.

Selon lui, réparer les relations avec l’Occident devrait être la priorité de la Russie, estime M. Braun. Or, ceci « exige une volonté de compromis sur une série de sujets allant de l’Ukraine au Proche-Orient ».

Mikhaïl Troïtskiy, expert en relations internationales basé à Moscou, est très sceptique sur la possibilité d’un compromis entre la Russie et les occidentaux. « La coopération avec d’autres grands pays sera difficile pour la Russie en 2016, car pratiquement tous ces pays ont posé des conditions préalables à cette coopération », dit-il. 

D’une manière générale, continue Troïtskiy, les occidentaux continueront de dénoncer le manque de confiance vis-à-vis de la Russie comme l’obstacle principal à une coopération étendue, et la Russie continuera d’accuser les occidentaux d’être responsables de ce manque de confiance. Au même moment, en 2016, l’Otan tiendra sa promesse d’améliorer l’infrastructure militaire en Europe de l’Est en guise de réponse aux actions de la Russie.

Le scénario vu par Andreï Tsygankov, professeur de relations internationales et de sciences politiques à l’Université d’Etat de San Francisco, prévoit des problèmes croissants en Ukraine et la radicalisation de l’Asie centrale suite à la déstabilisation du Proche-Orient.

« Les chances que l’Ukraine ne cède aux pressions européennes ne sont pas très bonnes, étant donné l’incapacité de Kiev à réformer son économie et une dépendance accrue au nationalisme anti-russe pour la survie du régime », explique-t-il. « Pour qu’une guerre par procuration entres les Etats-Unis et la Russie puisse être évitée en Syrie et que plus de progrès soient faits sur une coalition élargie, une intervention décisive de la Maison Blanche est nécessaire, non seulement pour trouver un compromis avec le Kremlin à propos d’el-Assad, mais aussi pour mettre au pas la Turquie et l’Arabie saoudite. Je ne vois aucun potentiel pour une telle intervention ».

Tsygankov considère que le changement des règles internationales en 2016 sera largement déterminé par l’évolution de la situation en Syrie. « 2016 a donc des chances d’être une année charnière, pouvant basculer d’un côté comme de l’autre pour esquisser le monde futur : vers la construction de nouvelles fondations pour formuler de nouvelles règles acceptables par tous, ou bien vers encore plus d’instabilité », prévient-il. Selon Tsygankov, les principaux moteurs de la politique étrangère russe en 2016 resteront le Proche-Orient, l’Ukraine, l’Asie centrale/Afghanistan, les prix du pétrole et l’état de l’économie russe.

Un scénario optimiste peu probable 

La plupart des experts semblent pessimistes à propos de la politique étrangère russe en 2016, car une issue favorable demandera énormément de volonté politique de la part des différentes parties, alors que leurs intérêts géopolitiques divergents rendent ce scénario pratiquement irréaliste. Cependant, Tsygankov voit de la lumière au bout du tunnel. Il pense que les relations entre la Russie et les pays occidentaux pourraient s’améliorer face à des menaces communes comme Daesh et grâce à une possible désescalade du conflit ukrainien.

« S’il y a un progrès dans l’engagement antiterroriste russe avec les occidentaux en Syrie, s’il n’y a pas d’escalade majeure du conflit en Ukraine, si une modeste reprise économique s’installe et que tous les autres aspects (Asie de l’est en particulier) demeurent inchangées, la vision russe de l’ordre mondial pourrait être reconnue », suppose-t-il, ébauchant un scénario optimiste de développement du calendrier international en 2016. « Cette vision est basée sur le respect de la souveraineté, des sphères d’influence et du multilatéralisme ».

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