Crédit : RIA Novosti
Le grand retour
Bien sûr, le flux de ceux qui cherchent à rejoindre la Russie est bien plus important que ceux qui font le chemin inverse. Mais il reste encore quelques irréductibles.
Si dans un sens, les autobus se suivent pleins à craquer, les voitures sont bondées et les gens sont nombreux à longer la route à pied, tous les véhicules de transport circulant dans le sens inverse ont une plaque d’immatriculation ukrainienne. Dans ces autobus, les passagers se comptent sur les doigts de la main.
« Nous avons déjà évacué près de deux cents femmes et enfants de la région de Lougansk. C’est déjà le troisième aller-retour que nous venons d’effectuer, raconte le chauffeur de l’un de ces autobus, mais il en reste encore beaucoup. Il y a déjà la queue pour les prochains départs. Bien que ce soit dangereux (les tirs sont surtout près des frontières), nous continuerons à transporter les gens. Rester serait plus dangereux encore. »
À chaque nouveau départ de réfugiés, un nouvel itinéraire est décidé. Quelle route prendrons-nous la prochaine fois ? Nous ne le communiquerons pas. Les passagers se tiennent au courant principalement grâce au bouche à oreille. Et après qu’un bus transportant des enfants a été visé la semaine dernière (par chance, personne n’a été blessé, mais les enfants ont été pris en charge par des psychologues russes), beaucoup ont maintenant peur de partir.
« J’ai deux enfants de 7 et 10 ans, intervient un passager. Bien sûr, ils ne sont pas seuls en Russie. Je les ai laissé à une voisine. Pour l’instant, ils sont en colonie de vacances. Si je m’inquiète ? Bien évidemment ! Mais rester à la maison était trop dangereux. Le plus jeune avait cessé de dormir la nuit. Et puis, imaginez seulement le traumatisme pour un enfant quand même les adultes craquent. Tous les jours des morts, des enterrements… On ne s’y habitue jamais. »
Une femme aux cheveux courts vêtue d’un jean et d’un t-shirt, un sac XXL sur l’épaule, tripote frénétiquement son téléphone portable. Elle est Russe.
« Mon père est resté en Ukraine. Il ne répond plus au téléphone ni aux mails. Il est diabétique, sous insuline. Ses réserves de médicaments touchent à leur fin. Et il doit absolument faire ses piqûres quotidiennes. Mais il refuse de quitter la maison. Il a peur qu’on la dépouille et la détruise. Et puis, que faire de sa ferme familiale : des poules, des canards, une vache. Je veux quand même essayer de le convaincre de partir. »
Un couple, Nikolaï et Tatiana, qui vient de passer le contrôle aux frontières, a demandé à ne pas être photographié. Ils ont des passeports « bleus » (couleur du passeport ukrainien, Ndlr). On pourrait se dire, encore des ukrainiens. Ils disent avoir accompagné en Russie leur grand-mère et toute une horde d’enfants.
À ma question pourquoi ils n’y sont pas restés, les époux s’adressent un regard.
« Nous rentrons pour défendre notre terre, notre maison. Je me suis inscrit sur les listes des milices et mon épouse est cuisinière. Lorsqu’elle a dit qu’elle irait nourrir les milices, je ne m’y suis pas opposé. Qui aurait crû qu’une simple profession puisse devenir un métier d’armée ? Je ne suis pas militaire, mais j’ai fait mon service militaire, je sais monter-démonter une arme ».
« Et vous n’avez pas peur ? », demandais-je.
« Bien sûr que nous avons peur. Nous sommes tous des êtres humains… Mais quand des hôpitaux sont bombardés, des enfants innocents tués, alors il n’y a plus qu’une chose à faire : s’unir et constituer notre défense ».
Nikolaï, comme beaucoup d’habitants du Donbass, a rejoint la milice après que des tirs d’artillerie aient frappé sa ville.
Sur la ligne de front
Un hôpital pour enfants a alors été touché. Le personnel a réussi à mettre les patients à l’abri au sous-sol, mais un enfant placé sous assistance respiratoire n’a pas pu quitter l’unité des soins intensifs. Le monde entier a alors suivi le sauvetage du petit Jenia, huit mois, qui durant toute une semaine, est resté dans le bâtiment à moitié détruit. C’est seulement à la troisième tentative que le petit malade, ainsi que sa mère et sa grande sœur ont pu être évacués. Aujourd’hui, Jenia est suivi par les meilleurs médecins de Russie. Après une opération menée avec succès à Saint-Pétersbourg, il respire seul, et le diagnostic réalisé en Ukraine n’a finalement pas été confirmé.
Cet enfant a eu de la chance. Ne serait-ce que selon les dernières informations officielles du 23 juin annoncées par la présidente du comité de la Rada suprême (Parlement ukrainien), Tatiana Bakhteeva, sur les questions de santé : plus de 40 enfants sont morts de blessures par balles et éclats d’obus à la suite d’affrontements dans l’est de l’Ukraine. La dernière victime en date est un petit garçon de 10 mois. Il a été tué par un obus de lance-grenades qui a atterri sur une aire de jeux. La police de Lougansk a ouvert une procédure pénale après que l’enfant ait succombé des suites de ses blessures dues à une bombe à fragmentation.
Rien n’arrête ceux qui passent de l’Ukraine en Russie et vice-versa, pas même le fait qu’autour des frontières, les affrontements entre milices du Donbass, qui effectuent les contrôles aux frontières, et les soldats réguliers des forces armées de l’Ukraine ou de la Garde nationale. La Russie, de son côté, se dit prête à accueillir les civils et à leur porter assistance.
Aujourd’hui, le nombre de réfugiés recueillis sur le territoire de Rostov s’élève à 15802, parmi lesquels 6166 enfants. Une fois la frontière passée, la plupart des citoyens ukrainiens partent dans d’autres régions de Russie ou bien s’installent chez de la famille ou des amis. Pour en venir en aide aux réfugiés, les autorités se mobilisent, mais aussi de nombreux mouvements de bénévoles, des associations caritatives, et des gens ordinaires, touchés par la souffrance de ces personnes. En raison du nombre croissant de réfugiés qui affluent dans la zone frontalière, quatre camps ont été érigés avec des tentes d’une capacité d’accueil totale de 2000 personnes. Les force aériennes du ministère russe des Situations d’urgence a organisé un pont aérien pour évacuer les habitants du Donbass dans d’autres régions du pays.
Pour l’instant, seule la région de Rostov a reçu une aide financière de la part du gouvernement fédéral pour l’accueil des réfugiés ukrainiens: jeudi, le Premier ministre Dmitri Medvedev a signé un décret pour le versement de plus de 5 millions d’euros à la région. Selon le document, le coût de chaque réfugié est évalué à 12 euros par jour, dont la moitié (6 euros) est consacré à la nourriture. De plus, ce financement devrait bientôt être considérablement augmenté. Le Conseil des ministres doit étudier avant lundi la question du versement d’une indemnité pour les réfugiés d’Ukraine qui ont reçu le droit d’asile sur le territoire de la Fédération de Russie. Le montant de ces sommes n’a pour l’instant pas été divulgué.
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