À cause de la crise, les régions « russes » peuvent se séparer de l'Ukraine

Une manifestation du parti Narodnaïa volia à Sébastopol, 2014. Crédit : Vasiliy Batanov / RIA Novosti

Une manifestation du parti Narodnaïa volia à Sébastopol, 2014. Crédit : Vasiliy Batanov / RIA Novosti

Les dernières annonces des hommes politiques de Crimée et la crise grandissante en Ukraine ont de nouveau fait penser au statut et à l'histoire de la péninsule. L'éclatement de l'Etat ukrainien pourrait commencer par cette région, la plus russe en Ukraine. Le journal Vzgliad a analysé quelle est la probabilité pour que la Crimée reste ukrainienne.

Comment la Crimée a été rattachée à l'Ukraine

La Crimée est habitée depuis très longtemps, et la composition de la population ainsi que l'appartenance à un Etat ont changé plusieurs fois au cours de l'histoire. En 1441, la Crimée est devenue un khanat indépendant, mais cette indépendance n'a pas duré longtemps, car en 1475 le khanat de Crimée a reconnu l'autorité de l'Empire ottoman. Pendant trois siècles, les Tatars de Crimée sont restés sujets du sultan bénéficiant d'une large autonomie, en assurant à la métropole la protection contre les menaces venant du nord et l'afflux constant d'esclaves. En 1774, après une des guerres russo-turques, le khan est devenu vassal non pas de l'Empire ottoman, mais de l'Empire russe.  

La Crimée est restée russo-tatare jusqu'en 1944. Elle a été occupée par les Allemands à deux reprises (en 1918 et de 1941 à 1944), et pendant la révolution, les Tatars ont essayé de recréer le khanat indépendant mais finalement la Crimée a été de nouveau intégrée à la république soviétique russe. Le pouvoir protégeait les Tatars, la péninsule a obtenu le statut de république autonome. Mais après la guerre, suite à l'occupation et la collaboration des Tatars, le vent a tourné, et en 1944 les Tatars ont été déportés à l'Est. En 1954, la Crimée a perdu son statut autonome et a été intégrée à l'Ukraine. Cela a été fait à l'occasion du 300e anniversaire du Traité de Pereïaslav entérinant la réunification de l'Ukraine et de la Russie. Mais les vraies raisons sont liées à la position géographique de la Crimée, puisqu'il était plus facile de la gérer depuis Kiev que de Moscou.

La presque guerre de Crimée

Dans les années 1990, la situation autour de la Crimée était plus que tendue. L'Ukraine devenue indépendante essayait d'ukrainiser la Tauride, ce qui a provoqué la résistance de la population locale. Les Tatars, autorisés à revenir, se sont manifestés pour utiliser cette période tumultueuse afin de récupérer les terres et les privilèges perdus. Et c'est Sébastopol, la principale base navale soviétique, qui est devenue la pomme de la discorde.

Finalement, la Crimée n'a pas été séparée de l'Ukraine mais a obtenu des droits spécifiques, puisque c'est la seule région à avoir le statut de république autonome. Dans les faits, la Crimée a été autorisée à rester russe, il n'y a que les panneaux sur certaines rues qui ont été remplacés. Tout paraissait bien établi mais voilà, l'EuroMaïdan a eu lieu.

Le droit à la péninsule

Tout d'abord, il faut souligner deux points importants, le premier est ethno-culturel, le deuxième est économique.

La Crimée est la région la plus russe de l'Ukraine, elle compte 58% de Russes, 24% d'Ukrainiens et 12% de Tatars. Le russe est considéré comme langue natale par les trois quarts des habitants de la Crimée, tandis que l'ukrainien est cité en tant que langue natale seulement par un dixième de la population. Selon les données de l'Institut international de sociologie de Kiev, 97% utilisent la langue russe.

La Crimée n'a pratiquement pas d'élite économique ou bien une l'élite liée à l'Europe. Pendant les années de l'indépendance ukrainienne la péninsule a été pillée. Dans la deuxième moitié des années 1990, les oligarques ukrainiens se sont intéressés aux stations balnéaires de Crimée et ont commencé à y investir. Mais c'était de l'argent venu d'ailleurs. C'est pourquoi l'élite criméenne n'a pas les freins qui rendent les clans oligarchiques de Donetsk et de Dnepropetrovsk si conciliants dès que l'UE ou les Etats-Unis entrent en jeu.

Compte tenu de ces deux facteurs, la Crimée ne pouvait pas rester indifférente à ce qui se passe à Kiev. D'abord, c'était du mécontentement puis l'exigence d'y mettre de l'ordre. Mais l'aggravation du conflit qui a commencé juste au moment des anniversaires du Traité de Pereïaslav (360 ans) et le rattachement de la Crimée à l'Ukraine (60 ans) a provoqué une réaction tout à fait officielle.  

Quel est l'état d'esprit en Crimée

Le 19 février, la présidence du Conseil suprême de la République autonome de Crimée a appelé le président ukrainien, Victor Ianoukovitch, à mettre en place des mesures d'exception pour rétablir l'ordre public à Kiev, en soulignant que la guerre civile commençait dans le pays. Le Président du Conseil suprême de la République autonome de Crimée, Vladimir Konstantinov, a informé les députés de la Douma d'Etat de la Fédération de Russie que « la Crimée mettra à l'ordre du jour la séparation de l'Ukraine en cas de changement du pouvoir légitime », tout en précisant, toutefois, que cette question n'a pas encore été évoquée.

En Crimée, les lourdes conséquences économiques de l'instabilité se font déjà ressentir. Les Criméens sont agacés par les « débarquements » de nationalistes ukrainiens et les policiers blessés de Maïdan, qui rentrent de Kiev... Qu'est-ce qui peut venir après ?  

Il peut y avoir trois scénarios

Le premier: tout s'arrangera. Mais il paraît que la seule personne prête à la conciliation en gardant le status quo est le président Ianoukovitch. Ce scénario est peu probable.

Le deuxième: la Crimée élargit son autonomie. Cette hypothèse est possible à condition qu'une certaine stabilisation soit atteinte, ce qui est uniquement  possible si les parties acceptent la fédéralisation de l'Ukraine. Mais la fédéralisation fait peur aux partisans de l'indépendance ukrainienne.

Le troisième: la République autonome de Crimée quitte l'Ukraine et devient un autre « Etat non reconnu » sous le patronage de la Russie. Kiev ne peut pas l'empêcher par la voie de force, même si le pouvoir y sera rétabli, car l'Ukraine indépendante n'a pratiquement pas d'armée, et à cause de la crise, elle n'a pas de leviers économiques non plus. Mais ce scénario est susceptible de provoquer un conflit en Crimée entre les Tatars et les Russes.

Article original publié sur le site de Vzgliad

 

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