Les manifestants du Maïdan : la classe moyenne sur les barricades. Crédit : Photoshot / Vostock-Photo
Maïdan [surnom du mouvement protestataire ukrainien, ndlr] a vite cessé d’être pacifique. Pourquoi les intellectuels restent-ils solidaires des actions coup de poing des nationalistes ?
Le nationalisme de rue radical est socialement très loin de l’intelligentsia, mais dans le fond ils sont sensibles aux mythes ukrainiens créés précisément par l’intelligentsia. Le nationalisme est l’enfant de l’intelligentsia car c’est elle qui invente les mythes nationaux.
Les oligarques influencent-ils les événements ?
Bien sûr. L’Ukraine est le pays de l’espace post-soviétique le plus oligarchique. Les oligarques ukrainiens sont les principaux adversaires du rapprochement avec la Russie et de l’entrée dans l’Union douanière. Ils craignent d’être dévorés par les oligarques russes.
Si les oligarques opèrent en coulisse, pourquoi la classe moyenne monte-t-elle sur les barricades ?
La classe moyenne tant à Moscou qu’à Kiev est une couche assez fine, et non la classe sociale de la majorité, comme dans les années 60-80 en Occident. Mais elle est malgré tout assez visible dans les grandes villes.
La génération qui raisonne de façon utilitariste a déjà grandi. Et la culture protestataire appartient à sa descendance : « nous avons si bien réussi, nous sommes éduqués », se dit-on : « pourquoi devrions-nous nous soumettre à des hommes d’État barbares et malhonnêtes ? »
C’est un motif universel de protestation d’une sous-culture consumériste. La vérité est que ce type de motivation décrit plus ce qui s’est passé avec Bolotnaïa [le surnom du mouvement de prostestation russe, ndlr]...
Bolotnaïa ne s’est pas développé comme Maïdan...
Parce-que les autorités russes se sont comportées plus intelligemment. La haine du pouvoir est l’apanage d’une minorité tout à fait insignifiante. Et pour une explosion comme à Maïdan, il faut une charge irrationnelle de haine très forte. Ce n’est pas seulement l’absence de confiance ou le rapport sceptique au pouvoir, c’est la même chose dans n’importe quel pays. Mais une force telle qui ne peut pas attendre un an jusqu’aux élections, et renverser légalement un président qu’on ne supporte pas.
En Russie, sommes-nous plus sceptiques et désabusés ?
Sans doute qu’en Russie l’instinct de l’État est plus fort. La culture politique ukrainienne se construit sur l’archétype du village cosaque, la Zaporoguie, elle est plus anarchique. Chez nous, on raisonne essentiellement à peu près ainsi : l’État est injuste, mais son absence serait encore pire. Il ne faut renverser ce que l’on combat que si l’on est sûr qu’il y a une bonne alternative. L’instinct anarchique au contraire dicte ceci : on renverse le pouvoir, et on verra plus tard pour le reste.
Quelles sont les principales leçons que la Russie peut retirer de Maïdan ?
La principale leçon est la suivante : les autorités ont décidé à un certain moment qu’elles pouvaient tout se permettre, que l’expansion de « la famille » et des modèles de rapports claniques de corruption n’aurait pas de frontières et, se passionnant pour le marchandage politique, ont oublié que la population observait tout ça. La société qu’elles ont l’habitude de considérer comme statique a une force intérieure et peut en un instant devenir un acteur agissant.
Propos recueillis par Elena Iakovleva, Rossiyskaya Gazeta
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