Moscou parent pauvre de l'accord sur Chypre

Le ministre chypriote des Finances Michael Sarris lors de sa visite à Moscou le 20 mars dernier. Crédit photo : AFP / EastNews

Le ministre chypriote des Finances Michael Sarris lors de sa visite à Moscou le 20 mars dernier. Crédit photo : AFP / EastNews

En dépit des risques de pertes élevées pour de nombreuses entreprises russes présentes à Chypre, la Russie se joint au plan d’aide international pour sauver l’île.

Après avoir tempêté contre la gestion de la crise chypriote par les autorités européennes, la Russie a décidé de mettre la main à la pâte. Vladimir Poutine a fait dire lundi 25 mars par son porte-parole Dmitri Peskov que Moscou acceptait de restructurer le prêt de 2,5 milliards d’euros accordé à l’île en décembre 2011.

Les termes de l’accord avec les autorités de Nicosie impliquent que 10% du prêt seront effacés par Moscou. Le ministre des Finances russe Anton Silouanov a indiqué le même jour que le prêt russe serait rallongé de cinq ans et son taux annuel abaissé de 4,5% à 2,5%.

Selon Silouanov, il s’agit d’un « soutien conséquent » à Chypre. Il a précisé aussi que les paramètres définitifs seront « entérinés après l’accord final entre l’Union Européenne et Chypre ». En fait, l’assouplissement russe permet de débloquer le plan de la Troïka (Commission européenne, Banque Centrale Européenne et Fonds Monétaire International), qui se prépare à verser une aide d’urgence de 10 milliards d’euros. 

Le premier mouvement de Moscou au sujet de la crise chypriote avait été de claquer la porte, alors que Nicosie semblait opter pour des mesures conduisant à un gel de l’argent russe sur l’île, voire à des « expropriations » (un terme largement employé par la presse russe la semaine dernière).

Le ministre des Finances chypriote Michael Sarris était rentré bredouille d’une visite à Moscou pour demander de l’aide. Et Nicosie s’est en plus fait tancer par la chancelière allemande Angela Merkel pour être allé chercher de l’aide à Moscou parallèlement à Bruxelles. Chypre est rapidement devenu une cause d’antagonisme entre l’Europe et la Russie. 

Situation inédite, l’ensemble des Russes, des libéraux aux interventionnistes, des conservateurs aux progressistes, tous se sont emportés contre Bruxelles et Berlin, accusés d’éponger la dette chypriote avec l’argent russe qui s’y trouvait brusquement pris en otage. 

Pour Natalia Orlova, économiste en chef chez Alfa Bank, l’irritation des autorités russes s’explique non seulement par la quantité d’argent russe concernée, mais aussi par l’attitude des Européens.

« Moscou s’attendait évidemment à être préalablement consultée sur cette affaire. La Russie, comme d’ailleurs la communauté internationale dans son ensemble, a été mise devant le fait accompli, avec un accord introduisant une taxe sur les dépôts [bancaires] », souligne Orlova. Taxe tout à fait inédite par ailleurs en Europe.

Selon les estimations, l’argent russe placé sur des comptes bancaires chypriotes s’élève à environ 34 milliards d’euros, soit un tiers du total des dépôts bancaires de l’île et 90% des dépôts réalisés par des étrangers. 

L’économiste Anders Aslund estime que pas loin de 3 milliards d’euros venant de comptes russes « sont probablement déjà perdus, et que le reste sera sujet à de rigoureux contrôles »

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Pour Valeri Mironov, de l’École Supérieure d’Économie, « si le scénario du pire se réalise (gel des gros comptes, limites sur les transferts de capitaux hors de Chypre), les pertes pour les résidents russes pourraient grimper jusqu’à 30 milliards d’euros, soit 1,5% du PIB russe ».

Devant un tel risque, Moscou fait le dos rond et opte pour un certain pragmatisme. Pourquoi un tel revirement ? Selon Oleg Viouguine, président de la banque MDM, « la situation est devenue suffisamment claire pour que la Russie accepte de restructurer son prêt »

La Russie essuie les plâtres, mais c’est pour la bonne cause : il faut rapatrier les fonds russes opérant depuis Chypre. Il s’agit de « désoffshoriser » l’économie russe, selon l’expression employée par le Premier ministre Dmitri Medvedev. Chypre est le paradis fiscal préféré de la communauté d’affaires russes. Invariablement depuis 10 ans, la modeste île méditerranéenne arrive en tête du classement des investissements étrangers en Russie. 

Une anomalie qui s’explique facilement : ce sont en réalité des capitaux russes injectés depuis des sociétés de portefeuille installées à Chypre pour payer moins d’impôts et profiter d’une juridiction plus libérale. Cet argent fait un mouvement aller et retour, soit in fine un aller simple vers l'île.

En 2011, les banques et sociétés russes ont investi directement 22,4 milliards de dollars à Chypre (un tiers du total des investissement russes à l’étranger), tandis qu’au retour, la somme tombait à 13,5 milliards. Une partie de la différence s’explique par les dividendes versés aux actionnaires à Chypre et qui ne retournent pas dans leur patrie. 

Parmi les principales sociétés russes dont les sociétés de portefeuilles sont basées dans l’île, on peut citer par exemple les quatre principaux aciéristes du pays : Severstal, MMK, Evraz et NLMK. Des secteurs entiers basent leurs opérations dans l’île, comme l’immobilier/BTP. Selon Svetlana Kara, partenaire chez Praedium Investment Capital, « autour de 80% des actifs immobiliers russes sont entre les mains de sociétés enregistrées à Chypre ».

Au gouvernement, on veut voir la situation sous un angle positif. Le vice-premier ministre Igor Chouvalov a profité du désarroi pour faire passer un message patriotique.

« Ce qui arrive est un bon signal pour ceux qui sont prêts à transférer leur capital vers des banques russes, sous une juridiction russe. Nos banques sont très stables », assure-t-il. « De toute évidence aujourd’hui, le système bancaire russe est considérablement plus stable que celui de nombreux États européens »

Il est évident que le combat contre les paradis fiscaux est une opération de longue haleine. Réduire la taxation ou simplifier les procédures administratives, cela peut avoir des effets rapides, tandis que l’amélioration du climat d’affaires et le respect très strict des droits de propriété nécessitent d’être testés sur le long terme. Pour ce qui est de la confiance, la balle est toujours dans le camp du gouvernement.

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