Qui est Nona Gaprindashvili, qui poursuit Netflix après la série Le Jeu de la dame?

Alexandre Saakov/Sputnik
Portrait d’une légende vivante des échecs: Nona Gaprindashvili, la première femme à avoir reçu le titre de grand maître face à des hommes. Comme y est-elle parvenue?

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Dans le dernier épisode de Le Jeu de la dame, la série Netflix la plus regardée de 2020, la joueuse d'échecs Beth Harmon se rend à Moscou pour un tournoi où aucune autre femme ne joue à part elle. La voix off d’un commentateur fournit une description sans concession de la joueuse d'échecs américaine : « La seule chose inhabituelle chez elle, en réalité, c'est son sexe, et même ça, ce n'est pas unique en Russie. Après cela, l'annonceur se souvient alors d’une joueuse d'échecs soviéto-géorgienne. Il y a Nona Gaprindashvili, mais c'est une championne du monde féminine et elle n'a jamais affronté d'hommes ».

Nona Gaprindashvili

Le personnage de Beth Harmon, tout comme ses luttes dans le monde exclusivement masculin des échecs à la fin des années 1960, relève de la fiction. Contrairement à la Nona Gaprindashvili susmentionnée. Elle a maintenant 80 ans et vit à Tbilissi. Gaprindashvili est devenue la première joueuse d'échecs à remporter le titre de grand maître en affrontant des hommes. Au moment où l'épisode se déroule, en 1968, il est impossible de dire qu'elle « n'a jamais joué contre des hommes » - elle avait alors joué contre plus de 50 joueurs d'échecs masculins.

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Lorsque Nona Gaprindashvili a découvert que les créateurs de la série avaient passé sous silence ses nombreux succès, elle a décidé de les poursuivre en justice en leur réclamant 5 millions de dollars. Le procès a déclaré que Netflix a « menti de manière flagrante et délibérée » sur ses réalisations « dans le but bon marché et cynique de renforcer le drame ». Une chose est sûre : Nona Gaprindashvili a tellement de succès à son actif qu'il serait possible de tourner une série entière à son sujet.

La fille qui a provoqué une bousculade

Partie pour le titre de championne du monde d'échecs entre Elisabeth Bykova et Nona Gaprindashvili

Nona Gaprindashvili a commencé à participer à des tournois dès l'âge de 12 ans, et déjà à l’époque, elle était en compétition avec des joueurs du sexe opposé. Certes, elle s’est retrouvée à son premier tournoi par accident. Ses frères, qui devenaient à tour de rôle champions de la ville de Zougdidi, lui ont appris à jouer aux échecs. Et quand l'un d'entre eux, à cause d'un rhume, n'a pas pu participer à un tournoi à la Maison des pionniers locale, Nona s'est assise derrière l’échiquier à sa place.

Elle a rapidement mis mat son adversaire, qui avait quelques années de plus, et a attiré l'attention de l'entraîneur Vakhtang Karseladze, fondateur de l'école féminine d'échecs géorgienne, la plus forte d'URSS : des années plus tard, Gaprindashvili serait dix fois membre de l'équipe olympique féminine de l'Union soviétique et deux fois sur dix, cette équipe serait entièrement composée de joueuses géorgiennes.

L'entraîneur a persuadé ses parents de laisser Gaprindashvili aller étudier à Tbilissi, et à 14 ans, elle a déménagé dans la capitale géorgienne. Et à 15 ans déjà, elle connaissait pour la première fois la gloire. Lors de compétitions pour adultes, la jeune fille a battu ses rivaux un à un et est devenue championne de Géorgie.

En 1962, elle participe à un tournoi international à Moscou et devient la cinquième championne du monde de l'histoire des échecs. « Je rentrais chez moi en train. Dès que nous sommes entrés en Géorgie, le train devait s’arrêter pendant au moins deux minutes à chaque arrêt - même là où ce n’était pas prévu. Il y avait du monde partout et je les saluais sur le quai. Et quand je suis arrivée à Tbilissi, c’était incroyable. Mon père a même perdu ses chaussures en raison de la foule quand il est venu me chercher », a déclaré Gaprindashvili.

Ayant remporté le titre de Grand maître international féminin, elle se fixe un objectif - gagner lors de compétitions destinées aux hommes.

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Les hommes faisaient tout pour ne pas se retrouver dans son « club »

Garry Kasparov avec des joueurs d'échecs géorgiens,  y compris Nona Gaprindashvili

Gaprindashvili passait des heures à s’entraîner et à mener un travail minutieux sur les stratégies et les tactiques. Pour cette raison, elle est classée parmi les joueurs d'échecs polyvalents - elle est aussi forte à la fois en tactique que dans le jeu de position.

« C'est toujours bien de se tester face à des adversaires de haut niveau, c'est pourquoi j'ai commencé à jouer contre des hommes, a-t-elle déclaré. Au début, ils voulaient tous jouer contre moi jusqu'au bout, ils n’acceptaient pas les matchs nuls, les parties étaient reportées selon le règlement de l'époque, il fallait terminer le match le lendemain matin. »

Cependant, ce n'était pas seulement une question de passion sportive : « Même un match nul contre une femme portait atteinte à la fierté de mes rivaux hommes, alors ils se battaient avec moi jusqu'à la fin », a-t-elle déclaré. C'est ce que confirme l’arbitre de première catégorie, maître de la Fédération internationale des échecs (FIDE) Maria Fomkina : « Il y avait, par exemple, des clubs Gaprindashvili. Les hommes qui perdaient contre la joueuse d'échecs y étaient inclus. Donc, ils faisaient tout pour  ne pas s’y retrouver : ils se donnaient complètement contre cette femme. Ils pouvaient bien perdre neuf matchs, mais ils devaient absolument battre la femme. »

Il est vrai, Gaprindashvili elle-même s’est toujours battue bec et ongles jusqu’au bout, même lorsqu'elle était assurée d’obtenir la première place du tournoi. Par principe. Lorsqu'elle remporte son premier championnat du monde, elle est immédiatement invitée au tournoi international d'échecs de Hastings. Après cela, il y eut des invitations sans fin à des tournois. Elle atteint son objectif en 1977 aux championnats des États-Unis à Lone Pine : Nona Gaprindashvili est alors devenue la première parmi les femmes à recevoir le titre de grand maître international face à des hommes.

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Superstar sans le sou

Nona Gaprindashvili avec des entraîneurs, 1974. République socialiste soviétique de Géorgie, Tbilissi

Il existe une photo célèbre - Nona Gaprindashvili joue contre 28 joueurs d'échecs, tous des hommes, au cours d’une séance de jeu simultané dans le Dorset (Royaume Uni). Noussommesen 1965.

Mais il y eut un épisode encore plus marquant : en Géorgie, lors d'une session de ce type, elle a joué en même temps contre 38 personnes (jusqu'à 20 adversaires étaient considérés comme la norme). « Je vois que 38 jeunes sont assis, je me dis : "Qu'est-ce que c'est que ça ?" 38 ! Pouvez-vous imaginer combien de kilomètres il fallait marcher ? Mais que pouvais-je bien faire ? Je ne pouvais pas dire : "Levez-vous, je ne veux pas jouer avec vous". Mais ce n'était pas difficile pour moi, j'ai rapidement commencé à les battre ».

De tels épisodes ont fait de Gaprindashvili une superstar des échecs. Dans sa Géorgie natale, dans les années 1960, un véritable boom des échecs féminins a commencé. Les filles ont rempli les écoles d'échecs et cela a donné des résultats impressionnants. Pendant un tiers de siècle, les Géorgiennes ont dominé les échecs dans le monde. Nona Gaprindashvili elle-même a porté la couronne des échecs pendant 16 ans et est également devenue la première lauréate de l'« Oscar des échecs » féminin. Elle a remporté dix fois les Olympiades mondiales d'échecs avec l'équipe d'URSS en 1963-1986.

Cependant, des victoires aussi éclatantes ne lui ont pas permis de vivre la grande vie. Après avoir remporté son dernier tournoi pour le titre de championne du monde, Gaprindashvili a reçu 900 roubles (657 $ au taux de change de l'époque) : « Nous recevions des salaires à peine suffisants pour un mois. Et si on obtenait quelque chose pour des victoires à l'étranger, la moitié devait être reversée [à l'État]. À une époque, je ne pouvais même pas économiser pour acheter un appartement, il a fallu que l'État m’en attribue un ». Les voyages à l'étranger étaient également strictement réglementés. Quand elle était championne du monde en titre, elle n'était pas autorisée à se rendre à l'étranger plus de deux fois par an, bien que des invitations personnelles fusent régulièrement.

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Après l'effondrement de l'URSS, elle a commencé à jouer pour la Géorgie et continue de le faire à ce jour. Le palais des échecs de Tbilissi a été construit en son honneur. « La vie de joueuse d’échecs n'est pas finie pour moi. J'accepte volontiers les invitations à divers tournois, mais, en règle générale, parmi les anciens - vous ne devriez pas rivaliser avec les jeunes à mon âge, vous ne pouvez pas tromper la nature », dit-elle.

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