Les naufragés de la chute du rouble

Moscou, Russie, le 20 janvier 2016. Réunis dans un bureau de la banque DeltaCredit, des emprunteurs en devises exigent la conversion de leurs crédits à un cours raisonnable.

Moscou, Russie, le 20 janvier 2016. Réunis dans un bureau de la banque DeltaCredit, des emprunteurs en devises exigent la conversion de leurs crédits à un cours raisonnable.

Alexander Shcherbak/TASS
La nouvelle vague de dépréciation du rouble a poussé les emprunteurs en devises dans la rue : ils exigent que leurs crédits soient convertis en roubles à un taux inférieur. Pour le moment, les banques refusent de leur concéder des améliorations substantielles, ne laissant aux emprunteurs d’autre choix que de demander l’insolvabilité. La Banque centrale propose de trouver un compromis capable d’arranger les uns comme les autres.

Le rouble chute – les remboursements augmentent

La hausse d’environ 8% des mensualités pour les crédits en devises, provoquée par la dépréciation du rouble par rapport au dollar et à l’euro, a entraîné une nouvelle vague de manifestations contre les banques. Ainsi, fin janvier, la grogne visait la banque Raiffeisen. Plusieurs dizaines de personnes ont manifesté sous le slogan « Raiffeisen, la victoire de l’usure sur le bon sens » ou encore « Raiffeisen, une chambre à gaz pour l’emprunteur russe ». Les manifestants exigeaient la conversion de leurs crédits au cours de 40 roubles pour 1 dollar (en date de cette publication, un dollar valaut environ 79 roubles).

Les emprunteurs d’une autre banque, DeltaCredit, filiale du groupe français Société Générale, ont organisé le rassemblement le plus suivi, avec près de 300 participants. Ayant perdu tout espoir d’une réaction de la part de la direction de la banque, ils ont bloqué la rue Tverskaïa, l’une des artères centrales de la capitale. Plusieurs manifestants ont été interpellés par la police, les autres ont déposé des déclarations signalant leur incapacité de remplir leurs obligations vis-à-vis du créancier.

Les emprunteurs expliquent leur participation aux manifestations par le désir d’attirer l’attention sur leur problème. L’opinion publique leur est souvent défavorable : certains pensent que les emprunteurs l’ont cherché, car ils ont ignoré le risque de change et ont emprunté sans réfléchir, d’autres les accusent, au contraire, de courir derrière le profit.

Entretemps, de nombreux emprunteurs en devises se trouvent au bord de la faillite personnelle : avec la hausse brutale du cours l’année dernière, les mensualités de leurs crédits ont doublé, alors que les revenus sont toujours perçus en roubles. Le Mouvement russe des emprunteurs hypothécaires en devises avance le chiffre de 70 000 personnes touchées, d’une manière ou d’une autre, par les difficultés à rembourser leur emprunt.

Pour l’Agence du crédit immobilier hypothécaire (ACIH), le nombre d’emprunteurs en devises est deux fois moins important, la plupart habitant, par ailleurs, à Moscou et à Saint-Pétersbourg, alors que le montant moyen du crédit s’élève à 10,9 millions de roubles (128 000 euros, 19 millions de roubles à Moscou), soit 6,4 fois plus que pour les hypothèques en roubles. Le montant cumulé de ces prêts hypothécaires est estimé à 136 milliards de roubles (1,6 milliard d’euros). Environ 5 000 personnes affichent aujourd’hui des impayés, ainsi, au moins un crédit sur cinq pose problème.

« Le seul moyen d’obtenir un prêt »

En 2007, Vadim L, employé du département financier d’une grande entreprise russe, a contracté un emprunt en devises auprès de la banque VTB (l’une des plus grandes banques russes) pour acheter un appartement. Il explique sa décision par l’écart notable des taux (10% pour un emprunt en devises et 18% au minimum pour un emprunt en roubles) et, surtout, par la position catégorique de la banque. Le taux d’intérêt plus élevé du crédit en roubles était inaccessible pour la famille (la mensualité dépassant la limite tolérée par la banque), ce qui a motivé le refus de l’établissement.

« Nous n’avions pas d’autre choix : ce n’est pas très pratique de déménager régulièrement d’un appartement de location à un autre avec deux enfants, d’autant que le rouble se renforçait à l’époque et on s’attendait tous à ce que la situation reste la même dans les années suivantes », explique l’emprunteur. Au moment de la signature du prêt, le cours du dollar était d’environ 24 roubles.

Depuis, la mensualité a presque triplé et le paiement de l’hypothèque engloutit la quasi-totalité de son salaire, se désole Vadim. La banque lui a proposé de recourir au report de crédit et de ne rembourser que les intérêts sans le montant principal du prêt pendant plusieurs mois. Mais elle a refusé de recalculer le crédit avec un taux inférieur, explique Vadim. 

Tatiana P., employée d’une compagnie d’assurance, a contracté son crédit hypothécaire beaucoup plus tard, à la mi-2013. Son emprunt, relativement faible (environ 4 millions de roubles, 47 000 euros), devait financer l’achat d’un nouvel appartement (l’essentiel des fonds provenait de la vente de son précédent logement). À l’époque, les taux des crédits hypothécaires en roubles s’élevaient déjà à 13-14% par ans, alors que le dollar s’échangeait à environ 30-32 roubles.

Cependant, après avoir étudié avec son mari le scénario « noir » d’une hausse du « billet vert » jusqu’à 60 roubles, Tatiana a constaté que le crédit en devises leur reviendrait moins cher qu’une hypothèque en roubles. Aujourd’hui, le couple étudie l’option d’une restructuration du crédit (sa conversion en roubles à un taux plus important), mais continue à rembourser le prêt dans l’espoir de voir le rouble se renforcer rapidement.

Un peu d’humanité

La Banque centrale et le gouvernement ont déjà annoncé des mesures de soutien pour les emprunteurs en devises. Les familles avec enfants devraient bénéficier d’une annulation de 10% de leur dette ou d’un report des paiements. Pour cela, le gouvernement a prévu d’y consacrer 4,5 milliards de roubles (53 millions d’euros) puisés dans le budget. La Banque de Russie a facilité la procédure de restructuration pour les banques en les autorisant à calculer les ratios de risque financier au premier semestre de cette année avec le cours du 1er janvier 2016 (72,9 roubles).  

Une partie des emprunteurs a accepté la restructuration. D’après Mikhaïl Zadornov, directeur de VTB24, le nombre de prêts hypothécaires de la banque a baissé de près de 30% en 2015 : 1 400 clients sur 5 000 ont restructuré leurs prêts qui restent toujours en devises. Environ 550-600 autres ont converti leurs emprunts en roubles.

La banque DeltaCredit a annoncé avoir refinancé plus de 2 500 prêts en devises. La banque Raiffeisen a également proposé de convertir en roubles les crédits en devises au cours actuel de la banque et à un taux de 12,7% par an. Cependant, les militants qui ont organisé le rassemblement devant la banque expliquent que la plupart d’entre eux trouvent cette option trop pénalisante, car avec cette conversion, le montant du prêt doublerait au minimum, alors que les intérêts augmenteraient à cause de la hausse des taux.

« Je n’exclus pas que nous évoquions avec les banques un compromis pour les emprunteurs. Nous ne pouvons pas l’exiger, mais nous estimons que les banques ont de la marge pour faire une concession supplémentaire aux emprunteurs », a déclaré fin janvier Alexeï Simanovski, premier vice-président de la Banque de Russie. Il précise qu’il pourrait s’agir surtout des emprunteurs sans protection sociale, des personnes en difficulté. « Les banques ont tout à gagner à être perçues par la société comme une institution humaine », a-t-il conclu.

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