Crédit : Ilya Pitalev/RIA Novosti
Alexandre Passetchnik, directeur du département analytique du Fonds de sécurité énergétique nationale.
Si l’on considère le pétrole américain en tant que rival du brut russe, il ne faut pas accorder trop d’attention au champion actuel du classement. Il s’agit du trio des leaders de l’extraction : États-Unis, Arabie saoudite et Russie, et la différence n’est pas grande. Du point de vue sectoriel, la Russie a un objectif quelque peu différent. A l’heure actuelle, nous nous orientons vers la région Asie-Pacifique. Il est important pour la Russie de développer ses infrastructures, étant donné que la Chine, l’Inde, la Corée du sud et le Japon constituent des marchés à fort potentiel d’exportation. Il est évident que la locomotive est la Chine. L’essentiel pour la Russie, c’est de synchroniser les rythmes d’extraction nationale avec la demande croissante de matières premières de la Chine. Et dans ce cas, il existe des risques de non-exécution de contrats à long terme car nous augmentons le portefeuille des exportations, tandis l’extraction à tendance à stagner (le ministère de l’Energie prévoit de maintenir l’extraction au niveau de 525-530 millions de tonnes par an jusqu’en 2020).
Personne ne sait où trouver des quantités supplémentaires de pétrole. Les livraisons depuis l’Iran pourraient combler quelques lacunes, mais l’achat de brut iranien semble être pour la Russie une initiative provisoire, teintée de calcul politique. Toutefois, il est trop tôt pour dire qu’en raison de la décélération de la croissance de l’extraction, la Russie risque de perdre entièrement le marché des exportations.
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Selon les évaluations de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la consommation chinoise sera suffisante pour engloutir le pétrole d’autres fournisseurs que la Russie. Autre point important dont il faut tenir compte : la Russie a enregistré en mai dernier une croissance record de sa production de pétrole malgré les prévisions des experts (la Russie a extrait au mois de mai 10,708 millions de barils par jour contre 10,25 pour l’Arabie saoudite, ndlr).
Il est par conséquent important de préciser les raisons de ce succès : est-ce l’effet à retardement de la décennie précédente, quand le prix du baril dépassait 100 dollars US, ce qui permettait d’augmenter les investissements dans le secteur de l’extraction ; ou est-ce le premier fruit des injections consécutives à la dévaluation, les recettes des sociétés pétrolières en roubles ayant augmenté, ce qui a permis d’accroître en 2015 les interventions en roubles et d’intensifier la substitution des importations (l’achat de production russe pour le complexe combustibles-énergie). La raison de la montée en flèche de l’extraction du brut en mai dernier sera connue à l’issue du deuxième ou troisième trimestre de l’année.
Mikhaïl Kroutikhine, partenaire de la société de conseil RusEnergy
La tâche essentielle de notre gouvernement est de maintenir les niveaux actuels d’extraction, et non de les augmenter. La stratégie énergétique, qui doit être prochainement approuvée dans sa nouvelle rédaction, indique que selon des pronostics optimistes, la Russie maintiendra l’extraction à 526-527 millions de tonnes par an. En cas de scénario pessimiste du gouvernement, l’extraction du brut baissera et ce, à 467 millions de tonnes par an d’ici 2035.
Ceci s’explique par la dégradation de la qualité des réserves. Les nouveaux gisements sont de moins en moins vastes en termes de superficie et de plus en plus éloignés des infrastructures. Qui plus est, ils sont de plus en plus difficiles à exploiter. La majorité des grands gisements à pétrole facile à extraire affichent un déclin de leur production. Cependant, des rythmes d’extraction bas en Russie n’influencent pas directement la situation de notre économie.
En revanche, si la croissance de l’extraction aux États-Unis, en Arabie saoudite et dans d’autres pays provoque une augmentation des quantités de brut disponibles sur le marché global, ce sera un autre cas de figure.
Par exemple, si les États-Unis augmentent leur extraction, c’est en premier lieu pour renoncer aux importations. Ceux qui exportaient jusqu’ici vers les États-Unis devront chercher de nouveaux marchés d’écoulement, ce qui exercera une pression sur les prix. Et cela aura des répercussions sur l’économie russe.
Car la baisse du prix du pétrole ne signifie pas uniquement la réduction des recettes budgétaires. C’est aussi moins d’argent pour les sociétés pétrolières afin de mettre en valeur leurs réserves. Pour pomper le pétrole difficile d’accès en Russie, il est indispensable d’investir au moins 85 dollars par baril. Or, vendre du brut à ce prix-là n’est plus possible aujourd’hui. La Russie sera obligée de suspendre la production du pétrole difficile à extraire.
Ceci signifie vraisemblablement la fin des recettes liées aux exportations pour la Russie. Il conviendra désormais de développer l’économie sur d’autres axes.
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