La Russie veut développer les cartes bancaires

Selon les estimations de la Banque de Russie, plus de 90% de toutes les transactions s’effectuent actuellement en liquide. Crédit : PhotoXPress

Selon les estimations de la Banque de Russie, plus de 90% de toutes les transactions s’effectuent actuellement en liquide. Crédit : PhotoXPress

Les autorités russes pourraient interdire d’ici 2015 les achats en liquide de plus de 300.000 roubles (près de 7.500 euros). Selon les analystes, cette décision permettra aux banques du pays d’augmenter leurs fonds de roulement, mais aura un impact négatif sur la classe moyenne.

Aider les banques, ce n’est pas en effet le seul but du gouvernement, qui envisage en outre de lutter ainsi contre la fraude fiscale, notamment le travail au noir, rémunérations déclarées que partiellement auprès du fisc, cette portion « officielle » et taxée (dit « blanche ») ne représentant qu’une fraction des revenus réels d’un employé.

Le projet de loi sur les limitations des achats en liquide, préparé par le ministère des Finances et déjà approuvé par le gouvernement, sera prochainement soumis au parlement. Selon le document, les seuils de paiements en liquide seront abaissés en deux étapes : d’abord jusqu’à 600.000 roubles (15.000 euros) d’ici 2014, puis jusqu’à 300.000 roubles (7.500 EUR) avant 2015. En outre, la loi interdit de rémunérer les employés en liquide à toute entreprise dont l’effectif dépasse 35 salariés (pour les entreprises de commerce, cette limite se chiffrera à 20 employés).

Un peu d’histoire: les premières cartes bancaires, Diners Club, ont fait leur apparition en Russie durant l’ère soviétique, en 1969. Toutefois, celles-ci n’étaient acceptées que dans des magasins spéciaux conçus pour les étrangers et les ressortissants soviétiques rentrant dans le pays avec de l’argent étranger. Après la dislocation de l’URSS et le lancement des reformes du marché, la Russie a tenté de créer ses propres systèmes de paiement (STB-card, Union-card), mais ils ont été durement frappés par la crise de 1998, et de toute façon, étaient réservés aux riches. La classe moyenne et les personnes à faibles revenus n’avaient tout simplement aucune raison d’utiliser des cartes de paiement – les magasins se dotaient de lecteurs à un rythme très lent, tandis qu’Auchan, géant du commerce de détail de Moscou, n'a accepté pendant un bon moment que les cartes qu'il avait lui-même émises.

Toujours, les retraits d’espèces par les employés ayant reçu leur salaire représentent 85% de toutes les opérations effectuées sur les DAB en Russie. En plus, la quantité d’argent liquide en circulation dans le pays a augmenté de quatre fois. Selon les estimations de la Banque de Russie, plus de 90% de toutes les transactions s’effectuent actuellement en liquide.

Dans ce sillage, le but du gouvernement est donc de lutter contre l’économie souterraine afin de rapporter plus aux caisses de l’État, estime l’experte de l’agence russe indépendante d’analyse Investcafé Ekaterina Kondrachova. Une fois en vigueur, les limitations proposées par le ministère des Finances auront un certain impact sur les entrepreneurs utilisant ce mécanisme des « salaires gris », dit l’analyste, n’excluant cependant pas qu’ils pourront trouver des moyens de contourner la nouvelle loi.
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Le Ministère de l’Intérieur et le Comité national anticorruption russe évaluent actuellement la fraude fiscale et le blanchiment d’argent en Russie entre 87,5 et 175 milliards d’euros, soit près de 60% du budget fédéral russe. Pour sa part, le Service fédéral russe des statistiques Rosstat estime que l’économie souterraine représente au moins 15% du PIB russe. Et il ne s’agit que de la fraude fiscale, y compris des « salaires gris » et d’autres schémas frauduleux, note Vladislav Joukovski, du groupe d’investissement RIKOM-Trust. Compte tenu de la criminalité non-financière et des activités commerciales illicites (comme le trafic d’armes), l’économie souterraine pourrait représenter entre 50 et 65% du PIB du pays, estime l’expert. Même le chef de la Banque de Russie Sergueï Ignatiev a récemment admis que l’économie russe avait perdu en 2012 près de 38,3 milliards d’euros sous forme des revenus illégaux retirés du pays.

Il faut toutefois noter que la loi proposée par le gouvernement a son revers. Le passage au règlement sans liquide provoquera inévitablement la hausse des prix de certains produits et services. Le bouc émissaire de la réforme sera la classe moyenne, car parmi les secteurs qui risquent d’être touchés par cette flambée figurent l’immobilier, l’automobile et les services de luxe, notamment des tours individuels organisés par les agences de voyage.

Le problème principal, c’est que les banques russes imposent des frais de virement d’un particulier à une personne morale, qui se chiffrent entre 2 et 4%. Ainsi, Sberbank, la plus grande banque russe, perçoit une commission de 2%, dit la porte-parole de l’Union nationale russe des agences de voyages, Irina Tiourina.

Svetlana Kostromina, responsable du concessionnaire russe de Volkswagen AVILON, se dit persuadée que la transition vers des transactions électroniques provoquera une réduction des ventes d’automobiles, car la banque de sa compagnie prélève une commission de 1,8% pour des virements particulier-entreprise. En effet, sur environ 300 voitures vendues par AVILON chaque mois, seulement une ou deux transactions s’effectuent par un paiement sans liquide.

Pour l’immobilier donc, ces frais bancaires peuvent atteindre des montants considérables. Les limitations du gouvernement provoqueront alors un redoublement des honoraires d’agents immobiliers pour l’achat d’un appartement sur le marché secondaire.

En ce qui concerne les agences de voyage, comme l’estime Mme Tiourina, elles pourront contourner la nouvelle loi assez facilement en divisant le prix d’un voyage en plusieurs parties, dont chacune ne dépassera pas le plafond imposé par le ministère des Finances.

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