Pouting, tandemocratie et depardisation ou le nouveau lexique politique

Dessin de Niyaz Karim

Dessin de Niyaz Karim

En 2011, une vague de manifestations contestataires a déferlé sur Moscou donnant lieu à de nombreux néologismes et à un renouvellement du lexique politique.

Le ruban blanc que les manifestants accrochaient à leurs vêtements est vite devenu le symbole de ce mouvement d’opposition, ce qui donna le terme « belolentotchniki » (littéralement, les porteurs de ruban blanc). En 2012, le ruban blanc fut réutilisé pour une manifestation de masse « Beloïe Kol’tso » (l’Anneau blanc), où les opposants, munis de rubans blancs qu’ils attachaient ensemble, ont fait le tour du périphérique de Moscou (appelé Sadovoïe Kol’tso) sur une distance de près de 15 km. La couleur blanche est associée à la neige, la pureté et donc à l’honnêteté à laquelle appelaient les opposants en adressant se message au pouvoir. Une autre couleur associée au mouvement contestataire est l’orange, couleur du mouvement pro occidental durant la révolution Orange en Ukraine. D’où l’apparition du terme, les « orangistes ».

A Moscou, la première manifestation de l’opposition s’est tenue en plein centre, sur la place Bolotnaïa, ce qui lui valut le surnom de « mouvement des marécages » (« boloto » voulant dire marécage). Par opposition, les masses pro poutiniennes se rassemblaient sur le mont Polklonnyi (du verbe « pokloniatsia », se courber). D’où, les termes antinomiques : les Bolotnyïe et les Poklonnyïe.

Les premiers étaient en grande partie des représentants du milieu intellectuel ou artistique, en deux mots la « classe créative », que les détracteurs s’empressèrent de baptiser les « khomiatchki » (hamsters), leur reprochant d’être utilisés comme de petites bêtes apprivoisées dans des phénomèns de masse programmés. Ceux-ci, à leur tour, surnommèrent leurs antagonistes « antchous » (les anchois) en faisant référence aux cars réservés dans lesquels on les amenait sur le lieu de la manif entassés comme des sardines.

Très vite, on dénomma ces rassemblements les « poutings » (association de Poutine + meeting). Depuis, le « -ing » est devenu un suffixe utilisé en pour désigner des initiatives ou des actions politiques démonstratives. Comme en 2013, les « mizoulings » du nom de la députée Elena Mizoulina avec son projet de loi contre ce qu'elle a appelé la « propagande » gay qui leva les masses.

La classe créative a également eu droit à son sobriquet, la « créacl » avec une connotation ironique. Ce calembour est devenu un modèle pour d’autres. Ainsi, en 2008, lorsque Medvedev a remplacé Poutine au poste de président, on a parlé de « tandemocratie » (tandem et démocratie). Ou, début 2013, quand le célèbre acteur français à la recherche d’un « asile fiscal » a obtenu la nationalité russe, on a appelé cela la « depardisation » (formé à partir des mots Depardieu et déportation).

En Russie, le problème de la corruption des hauts fonctionnaires est particulièrement aigu. L’argent du budget imparti au développement de gros projets nationaux est souvent gaspillé et détournés vers des filiales offshore par les intéressés. En Russie, ce phénomène a un nom : le « raspil » (du verbe « pilit’ »= scier) quand le budget est scié, pillé et qu’une part du gâteau disparaît au passage. Le leader de l’opposition Alexeï Navalny s’est construit son image en dénonçant cette corruption sur un site qu’il a baptisé en utilisant le jeu de mots « Rospil » (Russie + « raspil »), nommé « néologisme de l’année 2011 ».

L’évolution politique et sociale du pays ces 25 dernières années a vu de nombreuses notions politiques perdre leur sens premier et se transformer en son contraire. Ainsi, les « démocrates », qui ont pris la place les communistes en 1991, ont tant contribué à creuser le gouffre des inégalités sociales par des agissements souvent antidémocratiques, qu’ils ont été surnommés grossièrement, les « der’mocrates » (« der’mo » signifiant merde). Les communistes, quant à eux, dont l’idéologie, à la base, est fondée sur l’internationalisme, sont devenus aujourd’hui les chantres du nationalisme et du conservatisme, bien loin des préceptes révolutionnaires d’un Lénine, qui d’ailleurs est à l’origine de la chute de la vieille Russie traditionnelle.

Ainsi, le phénomène des mots et expressions qui se transforment, muent et donnent lieu à de nouveaux concepts est assez symbolique de notre pays qui, à l’instar du lexique, est connaît des bouleversements permanents.

 

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