Illustration : Markovka
En 2011, le Centre de recherches stratégiques auprès du gouvernement russe a publié deux rapports sur l’année à venir. Les analystes de l’organisation, très proche du Kremlin, prédisaient pour le pays une crise politique, la croissance de la dissidence, et faisaient état d’une menace de la délégitimation des autorités, prônant des réformes. Presque tous ces pronostics se sont révélés exacts.
Vladimir Poutine : sans concurrence véritable
La présidentielle de 2012 a constitué sans aucun doute l’événement politique principal de l’année. Bien que le scrutin, comme tout le monde l’avait prédit, ait été remporté de nouveau par Vladimir Poutine, les résultats ont quand même été assez surprenants. Ainsi, le milliardaire Mikhaïl Prokhorov, un débutant en politique et donc un outsider, s’est classé contre toute attente troisième à l’élection. Les observateurs étaient unanimes : son succès prouvait que la société russe avait besoin d’un nouveau genre de politique.
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Cependant, ce point de vue est principalement partagé par les habitants de grandes villes. Après avoir chuté considérablement l’année dernière, la cote de confiance de M. Poutine reste toujours supérieure à celles de ses rivaux. La popularité du président russe a atteint son minimum en août 2011 (quand il était encore premier ministre), mais quelques semaines après, elle est revenue au niveau de 45%-50%.
« La croissance de la cote de popularité du président en automne 2011 est plutôt due à des campagnes électorales très réussies du Kremlin, organisées en octobre », explique le directeur du Centre russe d'étude de l'opinion publique (VTsIOM) Valeri Fiodorov, en ajoutant que la campagne anticorruption lancée récemment par le chef de l’État russe et notamment son ordre au premier ministre Dmitri Medvedev de sanctionner trois ministres pour inefficacité, ont considérablement contribué à la popularité du président. La société russe veut toujours avoir un leader robuste, et outre Poutine, il n’existe presque pas de ce type d’hommes politiques dans le pays.
Opposition : mécontente mais indécise
Outre le Centre de recherches stratégiques, plusieurs autres experts ont été étonnés par l’activation des citoyens russes en tant que membres de la société civile. En seulement quelques mois, plusieurs nouveaux leaders ont émergé sur la scène politique, y compris le célèbre blogueur Alexeï Navalny. Ces débutants ont réussi à réalise ce qui semblait auparavant impossible : faire descendre dans la rue des dizaines de milliers de gens. Les experts estiment que ce sont ces manifestations qui ont obligé les autorités à adopter une législation électorale plus libre et à simplifier la procédure d’enregistrement de nouveaux partis politiques.
La première manifestation de masse s’est tenue le 4 décembre 2011, jour des législatives. Les opposants indignés par les résultats du scrutin sont descendus dans les rues moscovites pour dénoncer les fraudes électorales présumées. Le jour suivant, a eu lieu une autre manifestation, rassemblant cette fois-ci des dizaines de milliers de protestataires. Moins d’une semaine plus tard, l’action de protestation sur la place Bolotnaïa de la capitale russe a réuni, selon diverses estimations, de 25 à 150 milliers de personnes.
Au cours des six mois qui ont suivi, l’opposition russe a organisé plusieurs actions de masse, y compris le rassemblement sur l’avenue Sakharov de Moscou (de 30 à 100 milliers de participants), l’action « Anneau blanc », un défilé automobile « Pour des élections honnêtes » et, finalement, la manifestation tristement célèbre du 6 mai, qui s’est terminée par des affrontements entre la police et les protestataires.
La réforme politique initiée suite à ces manifestations a permis aux dizaines de nouveaux partis de participer aux élections régionales qui se sont tenues en Russie en octobre dernier. Cependant, les nouvelles figures politiques ne sont pas encore capables de répondre aux exigences de la société : l’opposition reste toujours trop fragmentée et incapable de proposer de programme politique clair. Par conséquent, les opposants ont perdu les législatives régionales d’octobre dans toutes les villes et régions importantes. Toutefois, les experts se disent persuadés que la vraie bataille les attend dans l’avenir.
Corruption : plus dangereuse que le terrorisme
« Ni les forces de l’Otan, ni le terrorisme international, ni la menace de séparatisme : rien n’est aussi dangereux pour la Russie que la corruption », indiquait Konstantin Remtchokov, rédacteur en chef du journal d’opposition Nesavissimaïa Gazeta. Effectivement, c’est la corruption qui est toujours la première dans la liste des accusations présentée par l’opposition aux autorités.
Pourtant, la lutte contre la corruption menée par les autorités est devenue en 2012 beaucoup plus active. Pour la première fois de l’histoire de Russie, plusieurs hauts responsables ont été à la fois limogés suite à des scandales de corruption. L’affaire la plus médiatisée, fut sans doute la démission du ministre de la Défense du pays Anatoli Serdioukov, considéré traditionnellement comme un des partisans les plus fidèles de M. Poutine. Toutefois, suite à une affaire de ventes présumées frauduleuses de biens militaires, même M. Serdioukov n’a pas réussi à conserver son poste. Selon les analystes, le Kremlin compte transformer la lutte contre la corruption en une idée nationale qui servira à unir le peuple russe.
Parmi les responsables limogés figure en outre Iouri Ourlitchitch, constructeur principal du système GLONASS (analogue russe du GPS). D’après le chef de l’administration présidentielle Sergueï Ivanov, près de 160 millions d’euros ont été détournés au cours de la réalisation de l’ambitieux projet. Même le sommet de l’APEC (Coopération économique Asie-Pacifique), qui constituait un des principaux événements de l’année en Russie, a provoqué un scandale. Les forces de l’ordre russes ont fait état du détournement de près de 2,32 millions d’euros lors de la préparation du sommet, l’ex-vice-ministre du développement régional Roman Panov étant impliqué dans l’affaire. La police, quant à elle, n’est pas non plus sans péché : deux agents du département anticorruption de la police moscovite, Lev Gloukhov et Andreï Liavykine, ont été accusés de détournement de 2,31 millions d’euros.
La société salue la lutte anticorruption, mais, d’après certains observateurs, les efforts des autorités russes poursuivent un but politique, et la Chine, un des principaux alliés géopolitiques de la Russie, a adopté la même voie.
Politique étrangère : vers l’Orient
Depuis la présidentielle, le problème du choix géopolitique entre l’Asie et l’Europe était parmi les plus discutés chez les analystes russes. Pendant six mois, les experts analysaient les visites présidentielles, faisaient des prédictions et menaient des recherches statistiques sur les échanges commerciaux entre la Russie et l’UE, d’une part, et avec les pays de l’Asie-Pacifique, de l’autre. Le sommet de l’APEC de septembre, présidé par la Russie, a finalement dévoilé les priorités russes. Vladimir Poutine a confirmé que le but de la Russie était de se rapprocher de la Chine. Le président a notamment fait remarquer que la réorientation politique vers les partenaires orientaux se poursuivait déjà, et il ne fallait « rien faire exprès ».
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L’orientation politique russe vers l’Asie a été de nouveau confirmée durant la conférence du club international de discussion Valdaï en octobre dernier, à laquelle participait le chef de l’État russe. M. Poutine a alors fait comprendre qu’en faisant le choix entre la zone euro secouée par la crise et la Chine stable, il tablait sur le partenaire asiatique. Parmi les futurs projets figurent l’augmentation des échanges commerciaux entre Moscou et Pékin jusqu’à 100 milliards de dollars par an et une transition vers les monnaies nationales dans le commerce entre les deux pays.
Cependant, l’orientation vers la Chine n’est pas le seul aspect de la stratégie de Moscou dans l’Asie-Pacifique. L’un des buts principaux de la Russie, c’est de réaliser au plus vite son potentiel en tant que pont entre l’Asie et l’Europe. « Le potentiel énorme mais pas encore réalisé complètement de notre pays, occupant près d’un tiers de l’Eurasie, ce sont nos possibilités de transit et de transport », a déclaré le premier ministre russe Dmitri Medvedev au sommet de l’ASEM (Dialogue Asie-Europe) à Laos.
Russie et l’OMC : 19 ans d’attente
La Russie a tenté pour la première fois d’adhérer à l’OMC en 1993, mais n’a réussi à le faire qu’en août 2012. Et de nombreux experts russes sont toujours sceptiques quant aux avantages de cette décision de Moscou.
Les experts de la Banque mondiale estiment que l’adhésion à l’OMC sera plutôt positive pour la Russie. Selon leurs estimations, l’économie russe pourrait à long terme montrer une croissance de 11%, principalement grâce à l’augmentation de la productivité et de la compétitivité des entreprises russes, les prix de leurs biens et leurs services diminuant suite à la réduction tarifaire. L’adhésion aura l’impact le plus fort sur la métallurgie et l’industrie chimique, tandis que la construction mécanique, l’industrie légère et le traitement du bois seront tous frappés par les nouvelles conditions.
Moscou et Pékin craignaient que l’adhésion à l’OMC puisse conduire à l’invasion de compagnies étrangères qui arrêteraient complètement le développement des services et des secteurs faibles. Pourtant, la Chine n’a pas confronté ce problème. En plus, les secteurs considérés auparavant comme faibles, ont réussi à augmenter leur part du marché intérieur grâce à la croissance du pouvoir d’achat de la population. Un autre facteur positif est l’amélioration du climat d’investissement qui a débouché sur un afflux de capitaux étrangers dans le pays. Ainsi, les investissements directs dans l’économie chinoise ont augmenté après l’adhésion du pays à l’OMC de 18%. Les experts constatent quand même qu’il ne s’agit pas de changements instantanés. Mais, si la Russie réussit à profiter de l’expérience chinoise, elle pourra assurer sa croissance économique.
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