Crédit photo : Ruslan Sukhushin
Explication n°1 : Toujours pareil !
Demander encore et toujours le départ de Poutine alors que les élections sont passées et qu’il est soutenu par la majorité de la population n’est pas vraiment une bonne idée.
C’est en tout cas l’avis de Carine Clément, sociologue, chercheuse à l’Académie des Sciences de Moscou et fondatrice de l’Institut d’action collective : « Les slogans sont usés. Aujourd’hui, réclamer la tenue de nouvelles élections paraît limité, tout comme demander le départ immédiat de Poutine alors qu’il est bien installé et bénéficie de forts soutiens. Avec de tels slogans répétitifs, il est normal que la participation soit en baisse ».
Même constat chez Nicolas, étudiant en sciences politiques à Moscou. « A partir du mois de mars et le début du troisième mandat présidentiel de Vladimir Poutine, une certaine lassitude est apparue dans les rangs de l’opposition », remarque-t-il.
La marche de protestation de septembre semblait annoncer le début du fiasco : seulement 10 000 personnes avaient battu le pavé contre le régime. « Parmi mes amis russes, beaucoup attendent que le mouvement propose de nouvelles idées, davantage liés à leurs problèmes quotidiens, pour redescendre dans la rue ».
Explication n°2 : L’opposition se retient d’imploser
Pour porter un message fort et audible, il faut d’abord des leaders unis. Ce n’est pas le cas. « Les chefs de file du mouvement sont trop nombreux et aucun ne s’impose de manière naturelle », souligne Arnaud Dubien, directeur de l’Observatoire franco-russe.
Même si le conseil de coordination de l’opposition a aujourd’hui un chef (Alexeï Navalny, désigné par un collège électoral de 80 000 personnes), le mouvement est profondément divisé. « Comment parler d’une même voix quand on sait que cet organe rassemble la gauche, les nationalistes ou encore la droite libérale ? », questionne Carine Clément.
Pourquoi, dès lors, s’être rassemblés ? « Il existe une union sacrée pour la démocratie, face à Poutine et son régime. Mais une fois que le président actuel sera parti, les luttes internes éclateront au grand jour. Aujourd’hui, l’opposition fait très peu de politique et ses représentants dépensent leur énergie à lutter entre eux », répond la sociologue.
Explication n°3 : Elle ne parle pas à la population
L’opposition est inaudible, estime Julie, chargée de communication au sein d’une entreprise française à Moscou. « En décembre, tout le monde savait ce que voulaient les protestataires : le départ de Poutine et la tenue de nouvelles élections, note-t-elle. Aujourd’hui, la presse nous informe seulement que des discussions ont lieu entre les dirigeants, sans aucun lien avec la population ».
Alors que les sondages de différents centres d’étude de l’opinion publique montrent que les principales préoccupations des Russes sont sociales, les leaders de la protestation se focalisent sur des thèmes citoyens. « Aujourd’hui, même si des gens comme Boris Nemtsov font référence aux thématiques sociales, cela reste assez artificiel – d’autant qu’il est un libéral notoire », souligne Carine Clément.
Et de poursuivre : « Dans tout le pays, des actions sont menées pour défendre une forêt, lutter contre le regroupement d’une école ou la destruction d’un immeuble. Mais il n’y a pas de véritable main tendue de l’opposition pour soutenir ces initiatives, les mettre en réseau, monter une campagne à l’échelle du pays. Souvent pourtant, ces actions auraient besoin d’un soutien national, d’une structure pour influencer la politique de l’État ».
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Explication n°4 : La contre-attaque de Poutine
Ces dernières semaines, Vladimir Poutine n’a pas facilité la tâche de l’opposition. Pas qu’il ait emprisonné ses leaders ou réprimé des manifestations, non. Mais, en limogeant son ministre de la Défense sur de sérieux soupçons de corruption, « il a coupé l’herbe sous le pied de ses opposants », remarque Pierre, professeur de français à Moscou.
Carine Clément est plus nuancée : « On peut difficilement savoir ce que Vladimir Poutine a en tête mais même s’il s’agit d’un conflit interne au gouvernement – et je pense que c’est le cas –, il en profite aussi pour peaufiner son image ».
Vladimir Poutine serait-il devenu un héraut de la lutte anti-corruption, à l’écoute des revendications de la population ? « La lutte qu’il mène aujourd’hui dans les rangs du gouvernement n’a pas de lien direct avec les réclamations de l’opposition. Il s’agit plutôt d’un règlement de comptes dans les cercles du pouvoir et d’un coup politique potentiellement populaire. Potentiellement seulement, car la popularité du président n’augmente pas pour autant », souligne Arnaud Dubien.
Explication n°5 : Pas d’étincelle
Les manifestations de décembre 2011 avaient fédéré la population autour d’un événement précis : la falsification des élections législatives. Plus tard, le scrutin présidentiel de mars 2012 avait été un nouveau prétexte de colère populaire. Aujourd’hui, l’actualité politique n’est pas aussi chargée.
« Il faudra certainement un imprévu, un accident ou un fait divers pour que les gens redescendent massivement dans la rue », confirme le directeur de l’Observatoire franco-russe.
Un constat que partage Cyril, responsable du développement commercial d’une entreprise de marketing franco-russe. « Comme en France, les élections sont passées, la tension sociale est palpable mais le moment n'est pas opportun. A quoi bon gaspiller ses forces au mauvais moment ? », questionne-t-il.
Cependant, l’opposition née l’hiver dernier a entraîné un véritable changement de mentalités, au moins pour ceux qui ont participé au mouvement ou s’y sont intéressés. Ces derniers « se préoccupent davantage de politique, recherchent de l’information ou investissent dans des actions bénévoles. On a vu plusieurs groupes apparaître pour aider les personnes coincées dans les embouteillages ou encore les victimes d’inondation par exemple », remarque Carine Clément.
Et de conclure : « De petits collectifs locaux luttent aujourd’hui pour l’urbanisme et l’écologie dans leur quartier. Cet embryon de débat va rester, malgré la baisse du nombre de manifestants ».
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