TITRE : La baignoire d'Archimède, Anthologie poétique de l’Obèriou
CHOISIE, TRADUITE ET PRÉSENTÉE par Henri Abril
ÉDITIONS Circé
En Russie les poètes ont toujours fait trembler le pouvoir qui ne s’est jamais départi de sa méfiance à leur égard. De Pouchkine à Brodsky, la liste est longue, ils ont été muselés, arrêtés, relégués, déportés, fusillés.
Ceux là sont nés avec le siècle, adolescents au moment de la Révolution, ils n’ont même pas vingt ans lorsque le pouvoir des soviets s’installe en Russie. Né du bouillonnement d’idées et de créativité sans précédent que connaît la Russie à la fin du 19e et au début du 20e siècles, leur mouvement, l’Obèriou, acronyme russe pour Groupement de l'art réel, sera l’ultime vague des avant-gardes russes qui imprègnent à l’époque tous les domaines artistiques en Europe.
L’Obèriou est créé en 1927, à Leningrad, par Daniil Harms et Alexandre Vvédenski. Ils sont rejoints par Nikolaï Zabalotski, Konstantin Vaguinov, Nikolaï Oleïnikov, Igor Bakhtérev, Guennadi Gor dont les éditions Circé ont publié récemment un recueil. Le peintre Kazimir Malévitch les accompagne. Dans leur manifeste les poètes obèrioutes déclarent forger « non seulement un langage poétique neuf, mais aussi une façon nouvelle de sentir la vie et ses objets… l’art a sa propre logique qui loin de détruire l’objet aide à mieux l’appréhender. » Zabolotski interpelle :
Guerrier du verbe, il est temps de faire chanter
Au cœur de la nuit tes épées !
…
Bataille des mots ! Combats du sens !
La tour syntaxe est mise à sac.
…
La syntaxe bâtit d’étranges maisons
dans la beauté neuve et gauche du monde
On perçoit, dans le manifeste des obérioutes, l’écho du dadaïsme ou du surréalisme. Les lectures, performances, représentations théâtrales qu’ils organisent sont des happenings marqués d’un humour noir auquel le pouvoir est peu sensible.
Un autre pays s’ouvre,
Je suis au bord du gouffre.
Non, point ne vous le cache :
Je ne trais pas les vaches
Ecrit Nikolaï Oleïnikov .
Les années trente et l’instauration du réalisme socialiste dont ils se démarquent si clairement leur seront fatales. Les obérioutes sont accusés de hooliganisme, violemment attaqués; Victimes de la censure, ils destinent désormais leur poésie à leur « tiroir », comme on dit en russe, certains se tournent vers la littérature enfantine. Vvédenski et Harmss sont tous les deux arrêtés en 1931, et meurent en 42. Zabolotski qui survivra au Goulag devra attendre le dégel pour être de nouveau publié.
Pour cette anthologie qu’il a composée et traduite, Henri Abril reprend le titre, de l’almanach qui devaient rassembler, aux côtés des textes des poètes obérioutes ceux de prosateurs, Tikhonov, Olecha, des critiques formalistes, Chklovski, Eichenbaum, Tynianov … La baignoire d'Archimède dont l’ambition était de « combattre la routine littéraire » ne vit jamais le jour. L’éditeur, en faisant le choix judicieux d’une édition bilingue, s’associe de la plus belle manière à cet hommage.
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