Un président sans préjugés

Image par Alexeï Iorch

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Si Mitt Romney avait été élu, aucune catastrophe ne se serait abattue sur Moscou. Mais au lendemain de l’élection, j’ai tout de même éprouvé un sentiment de joie et de soulagement.

La victoire d’Obama permet d’espérer que les désaccords entre Moscou et Washington seront dus non pas à des principes idéologiques d’un autre âge, mais à des divergences liées aux intérêts nationaux respectifs. Il fut un temps où la Russie était à l’épicentre de la politique étrangère américaine. Ce n’est plus aujourd’hui le cas que dans les discours de Mitt Romney.

Quelques jours avant la présidentielle américaine, j’ai rencontré à Moscou un ancien haut fonctionnaire de l’administration républicaine. Désormais, ses activités dépendent directement de bonnes relations entre la Russie et les États-Unis. Il affichait par rapport au résultat de l’élection à venir un flegme impressionnant, pour ne pas dire une franche indifférence : « Qu’est-ce qui changera réellement si Romney gagne ? L’Amérique, de nos jours, a une marge de manœuvre très réduite en matière de politique étrangère. Nos ressources ne sont plus ce qu’elles étaient. Et le terrain sur lequel les États-Unis et la Russie se retrouvent - aussi bien dans un sens positif que négatif - rétrécit tant en taille qu’en importance ».

Il ne s’agit pas d’éluder la question. La Chine et l’Iran sont maintenant au cœur des préoccupations des démocrates comme des républicains. Avant, c’est la Russie qui avait ce « privilège ». Aujourd’hui encore notre pays est un cheval de bataille qu’enfourchent allègrement les Américains dont la jeunesse a coïncidé avec la Guerre froide.

Mais est-on en droit de sous-estimer l’importance de la rhéthorique en politique ? Non, surtout pas. Les mots comme les pensées comptent. Ce n’est que dans leurs mémoires que les hommes politiques basent leurs décisions sur la nécessité du moment ou un concours de circonstances favorables. En réalité, ils sont souvent guidés par des préjugés solidement ancrés.

En décidant d’entraîner son pays dans une guerre totale au Vietnam, le Président Johnson comprenait, à en croire ses biographes, qu’il allait y sacrifier l’esprit même de sa présidence alors qu’il voulait laisser dans l’histoire l’image d’un grand réformateur social. Le Vietnam lui a forcé la main : la guerre ou la « grande société ». Il rêvait de celle-ci mais son esprit était prisonnier de la théorie des dominos tombant un à un dans le camp communiste.

Je ne suis pas certain que Romney se serait lancé dans une aventure étrangère. Mais c’est leur attitude respective vis-à-vis des préjugés qui distinguait les deux candidats.

Obama est un homme pragmatique qui garde la tête froide, tourné non vers le passé, mais l’avenir. Romney est un homme politique aux préjugés personnels peu clairs. Impossible de déchiffrer la pensée intime des gens, surtout celle de politiciens dont ne saura jamais à quel point ils croient à leur propre réthorique.

Mais plus il y a de préjugés à Washington, plus il y en a à Moscou - ils se nourrissent mutuellement. Au cours du premier mandat d’Obama, les réactions russes à la politique étrangère américaine ont été affectées par les préjugés les plus fous.

Des gens apparemment « normaux » étaient persuadés que le « printemps arabe » était un complot américain. Ces mêmes gens croient dur comme fer que le mouvement contestataire en Russie résulte d’un stratagème tordu  ourdi par les Américains, alors que de toute évidence, les troubles politiques prennent leur source à l’intérieur du pays.

J’ose à peine imaginer l’ampleur qu’auraient prise les préjugés antiaméricains à Moscou si Romney avait convaincu l’électorat que la Russie restait « l’ennemi géopolitique numéro un ».

Mikhaïl Rostovski est éditorialiste à Ria Novosti.

Article publié dans Ria Novosti.

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