Le Moscou de Boulgakov : de quoi perdre la tête !

Les comédiennes enfilent leurs robes début XXe siècle. Crédit : Viatcheslav Vazioulia

Les comédiennes enfilent leurs robes début XXe siècle. Crédit : Viatcheslav Vazioulia

Les projecteurs sont éteints et il est difficile de se frayer un chemin entre les décors du théâtre. Aujourd’hui, le spectacle ne se jouera pas sur scène : les comédiens de la compagnie Bou... du centre culturel La maison de Boulgakov vont profiter des derniers beaux jours pour se produire à l’extérieur entre les murs de la capitale. Le roman Maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov, pour être le roman le plus « moscovite » de tous les temps, mérite d’être joué dans les rues de cette ville.

« Maître et Marguerite »


est un roman satirique, mystique, comique, mélodramatique et philosophique de l’écrivain soviétique Mikhaïl Boulgakov. Ce roman ne fut pas publié en 1965, 26 ans après sa mort, dans une version courte dans un journal. Le roman a connu un tel succès parmi l’intellengentsia soviétique que ses copies étaientt distribuées sous le manteau jusqu’à sa publication officielle. En Espagne, le roman fut édité pour la première fois en 1985 par l’éditeur Alianza Editorial.

Enfin de la lumière. Nous sommes dans les loges où les comédiennes enfilent leurs robes début XXe siècle, se maquillent et arrangent leurs bas. Un grand escogriffe louvoie maladroitement entre les tables, suppliant les dames de lui dessiner sa moustache. Aujourd’hui, Philippe interprète Koroviev, l’un des personnages principaux du roman, comique et démoniaque à la fois, portant veste à carreaux aux manches trop courtes et toujours son binocle au verre brisé à la main. Une jolie brune en tenue de soubrette à même le corps nu parle au téléphone d’un air las, elle va devoir sous peu sortir dans cette tenue sur l’Etang des Patriarches, l’endroit de prédilection d’une foule de moscovites en goguette. Dans une vingtaine de minutes cette demoiselle lambda devra rentrer dans la peau de la séductrice Guella, la fidèle servante de Woland, et qui fait l’unanimité auprès de la gent masculine.

Crédit : Viatcheslav Vazioulia

Difficile d’appeler cette représentation, un spectacle. Son metteur en scène Ekaterina Negroutsa la qualifie plutôt d’ « excursion théâtralisée ». Un groupe de visiteurs pénètre dans le musée situé un étage au dessus du théâtre. Ils sont accueillis par le guide Svetlana. Ici, tout transpire la vie littéraire : les manuscrits, les photographies, le réchaud à gaz, la vieille malle sur laquelle, selon la légende, le jeune poète Sergueï Essenine s’asseyait regarder sa maîtresse Isidora Duncan danser pour lui. Cet appartement à vu se croiser des centaines de destins de poètes et d’écrivains soviétiques, certains autorisés et largement lus, d’autres censurés et dont les écrits ont disparu dans le fond de leurs tiroirs. Cet appartement situé au numéro 10 (anciennement 302 bis) de la rue Bolchaïa Sadovaïa est l’un des lieux du roman de Mikhaïl Boulgakov mais aussi de sa vie. C’est ici qu’en 1921, l’écrivain s’installa avec sa troisième femme, Elena Sergueïevna, la fameuse Marguerite décrite avec une telle tendresse dans son roman.

Crédit : Viatcheslav Vazioulia

Dès le début de la visite, des choses étranges commencent à se produire : des gens bizarres d’une autre époque vont de pièce en pièce, sortant de la cheminée ou par la porte secrète derrière l’armoire, interrompant le récit de Sveta. Dans la cour voisine, au dernier étage, là où se trouvait justement l’appartement des Boulgakov, une bonne femme portant un béret gris et un bidon à la main bouscule le groupe : « A cette heure, tous les gens normaux dorment... Et ça se promène, et après on s’étonne que les ampoules disparaissent dans l’entrée... », bougonne-t-elle, pour disparaître emportée par Guella dans une course folle dans l’escalier. La femme au bidon, c’est Annouchka, qui a renversé l’huile sur les rails du tramway causant ainsi la mort de Mikhaïl Berlioz, le président de l’association des littérateurs Massolit. Cette fervente représentante du prolétariat soviétique, Annouchka – la peste, est un personnage qu’e l’on retrouve dans plusieurs oeuvres de Boulgakov.

Les visiteurs sortent enfin dehors pensant être débarrassés. Il fait sombre sur l’étang des Patriarches. A la faible lumière de reverbères, les couples flânent, l’un des rares bancs est occupé par un monsieur en manteau avec un parapluie-canne. Tout semblerait normal, s’il ne lui manquait quelque chose : sa tête. Un cri strident retentit dans la foule. L’homme sans tête se dirige vers le groupe. « Ils ont tué Micha ! », hurle un grand blond en caleçon en courant autour de l’étang, suivi par son ami sans tête.

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Crédit : Viatcheslav Vazioulia

« Kostia, notre comédien, court ainsi autour des Patriarches tous les week-ends depuis plusieurs années. Et l’ambulance et la police sont déjà venus pour porter secours à ce Micha. Même les badauds s’y sont collés. Rares sont ceux qui restent indifférents à cette scène», raconte Ekaterina.

La maison de Marguerite, l’association des littérateurs MASSOLIT, le boulevard Tverskoï, tous ces endroits du centre historique, le temps de la représentation, vivent au rythme du passé, plus précisément des années vingt du siècle dernier. Les médecins de l’époque en blouses blanches, les seringues à la main déboulent au détour du coin à la recherche du fou en caleçon et ne le trouvant pas emmènent la guide. L’action semble se dérouler d’elle même, improvisée et sans scénario . Mais ce n’est qu’une impression.

La troupe de théâtre du centre culturel La maison de Boulgakov redonne vie, l’histoire d’un week-end, à la capitale complètement robotisée, la plongeant dans l’époque de Boulgakov et de Maïakovski, des troquets sovétiques, du mysticisme démoniaque et des tramways. Dans ce transports aussi, d’ailleurs, des excursions théâtralisées sont organisées, des « voyages dans le temps »  de deux heures remplis de personnages hauts en couleurs et de situations pittoresques dans le style propre à Boulgakov et de son époque.

Réapparue d’on ne sait où, le guide Svetlana achève la promenade littéraire. Le violoncelle et la clarinette résonnent dans la rue, ça et là des feux éclatent. Le bruit des pas attise l’imagination, voici le Maître qui marche dans la rue et dans le bruissement du feuillage on croit deviner le vol de Marguerite sur son balai. En effet, c’est sur ce trottoir que se promenait l’écrivain et que les personnages de ses romans lui emboîtaient le pas, que Woland déambulait fier, qu’Ivan Bezdomny courait comme un dératé, tout ceci dans un monde parallèle. A moins que ce ne fût la réalité ?

La Maison de Boulgakov

La Maison de Boulgakov est un centre culturel, situé au 10 rue Bolchaïa Sadovïa qui comprend un théâtre, un café et un musée. La compagnie Bou... y propose des excursions théâtralisées en russe et en anglais, des excursions en tramway, ainsi que des pièces d’après les ouvres de Boulgakov qui se déroulent aussi bien dans les salles du musée que sur la scène du théâtre.

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