Jim Rogers : « Si vous croyez qu’il est possible de m’acheter pour quelques milliers de roubles ou de dollars, vous avez tort ». Crédit : RIA Novosti
« Passe chez moi vers
8h30, nous pourrons parler pendant que je fais du vélo d’intérieur ». C’est
apparemment dans cette ambiance que doit se dérouler l’interview avec l'un des
investisseurs internationaux les plus réputés. Le temps, c’est de l’argent, et
une heure du temps de Jim Rogers est sans aucun doute très précieuse. Pendant un entraînement d’une heure et demie, on peut aborder plusieurs sujets
intéressants.
Notamment, on ne pouvait
pas omettre l'intérêt récemment surgi de l’investisseur envers la Russie. Le 21
septembre, le groupe bancaire russe VTB a annoncé que M. Rogers avait été
recruté pour le poste de conseiller chargé d’investissements dans
l’agriculture de sa filiale VTB Kapital. Nous avons essayé de comprendre ce
qui avait encouragé le spécialiste d'accepter ce poste.
Jim, comment se fait-il que vous ayez accepté un poste à VTB ?
Jim Rogers : J’ai visité la Russie à plusieurs reprises, c’est en 1966 que je suis venu ici pour la première fois, et j’ai toujours été sceptique vis-à-vis de votre pays, beaucoup de gens le savent. Mais les représentants du groupe russe VTB m’ont toutefois demandé si je voulais travailler pour eux, ils avaient entendu dire que mon avis [sur la Russie] avait changé. Nous nous sommes rencontrés pour la première fois en juin ou en juillet dernier, lorsque j’étais en déplacement à Moscou, et puis nous nous sommes réunis à Vladivostok au cours du sommet de l’APEC. L’essentiel est que je pense effectivement que la situation change pour le mieux chez vous, et que si je n'y croyais pas, je ne coopérerais pas avec VTB.
Est-il vrai que votre attitude positive envers la Russie est l'une des conditions de votre contrat avec le VTB ?
J.R. : Si vous croyez qu’il est possible de m’acheter pour quelques milliers de roubles ou de dollars, vous avez tort. J’ai peut-être un prix, mais croyez-moi il est très cher. En effet, je ne sais pas vraiment quelle somme il faut me payer pour me faire dire ce que je ne pense pas. J’ai écouté une interview de Vladimir Poutine et j’ai compris que je suis d’accord avec presque tous ses propos. Presque tout ce qu’il avait dit était très intéressant et stimulant, ce qui ne m'était jamais arrivé auparavant, du moins avec les hommes politiques.
Auparavant, dans vos interviews et discours publics, vous manifestiez une attitude très négative envers la Russie. Est-ce que c’est le pays qui a changé, ou bien c’est votre opinion qui a évolué ?
J.R. : Non, c’est la Russie qui change, j’ai été juste envers ce pays. Les gens au gouvernement changent. Et quand les choses changent, les gens doivent réviser leurs opinions. Je peux me tromper, mais je crois que la Russie change pour le mieux. Cependant, on constate du scepticisme, y compris de la part des Russes. Et c’est bon, car le scepticisme rend les actifs moins chers. Quand la majorité se trompe et vous avez raison, vous poiuvez faire fortune.
Et qu’avez-vous aimé dans l’interview de Vladimir Poutine ?
J.R. : Il a affirmé que les étrangers devaient avoir la possibilité de bien gagner leur vie en Russie, et qu'il fallait garantir la sécurité de leurs investissements. Le capital n’a besoin que de deux choses : sécurité et rendement, au plus haut niveau possible. Il a reconnu que les investisseurs n’avaient pas été protégés auparavant et que la Russie devait se concentrer sur la primauté de la loi. J’ai également aimé ses propos concernant les Pussy Riot.
Mais les propos de M. Poutine que vous venez de soutenir ne sont que des mots.
J.R. : C’est vrai, la Russie a tenu des propos justes pendant 95 ans. « Apportez de l’argent ici, nous vous aimons, nous voulons vous aider ! ». Et puis les autorités volaient tout votre argent et vous jetaient en prison. Mais je pense que maintenant les mots aussi bien que les actes seront positifs, mais cela ne veut pas dire que tout va bien se passer.
Et quelle est votre attitude envers les États-Unis ?
J.R. : Les Etats-Unis sont le pays le plus endetté de l’histoire de l'humanité : aucun pays ne s'était jamais mis auparavant dans une situation pareille. Alors, il est possible que nous assistions au début de la fin. Il y a plusieurs moyens pour un pays de faire faillite, on peut, par exemple, imprimer un grand nombre de monnaies fiduciaires. Si je vous avais emprunté un million dans les années 1980 en URSS, j'aurais pu vous facilement rembourser au début des 1990, car le rouble a chuté.
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La situation économique dans un pays peut changer très rapidement. En 1918, le Royaume-Uni était le pays le plus prospère au monde et n’avait pas de concurrents, mais trois générations plus tard il a fait faillite. Déjà une génération plus tard, le pays s’est trouvé dans des conditions économiques horribles. Quant aux Etats-Unis, Washington est sur la même route. En 1987, les Etats-Unis étaient encore un créancier, tandis que maintenant, 25 ans après, c’est un des pays les plus endettés.
Est-ce que Washington doit essayer de réduire sa dette ou est-ce déjà trop tard ?
J.R. : Cette question n’a pas de sens, car ils ne vont pas le faire. Obama a remporté l’élection en 2008 en promettant d'aborder le problème du déficit budgétaire, mais ce déficit a battu un record historique et dépasse maintenant le niveau de tous les déficits de tous les présidents. On ne peut rien faire à ce stade. Il nous reste d’attendre et à surveiller les événements à venir.
Et, évidemment, il vaut mieux le faire à Singapour plutôt qu’aux Etats-Unis ?
J.R. : A Singapour, je ne sais pas, mais bien évidemment, pas aux États-Unis. Il y a une anecdote connue : en 1938, un Parisien a senti que quelque chose allait se passer et a décidé de quitter l’Europe en attendant des temps meilleurs. L’homme a trouvé une île dans le Pacifique et s’y est rendu tout en croyant qu'il allait y être protégé. Toutefois, cette île portait le nom de Guadalcanal et a été le site de l’une des batailles les plus amères et les plus longuesde la Seconde Guerre mondiale. Cet homme avait raison quand il a décidé de quitter l’Europe, mais il a choisi un mauvais endroit. Alors qui sait, Singapour pourrait devenir mon Guadalcanal.
C’est le destin alors ?
J.R. : Si demain, tout le monde décidait de faire quelque chose, la crise pourrait être réglée. Oui, nous avons eu 50 ans d'endettement, mais il vaut mieux amputer le bras plutôt que attendre que le cancer ne nous mange des pieds jusqu'à la peau du crâne. Le Japon a connu le même problème au début des années 1990, ils n’ont permis ni aux sociétés, ni aux citoyens de faire faillite, et ont perdu en conséquence une vingtaine d'années. Au contraire, en Scandinavie, on a permis aux gens et aux entreprises de faire faillite. C’était effrayant pendant les trois premières années, mais après, la Scandinavie a connu progressivement une croissance, tandis que le Japon était en baisse. C'est une voie réaliste. La Russie a fait la même chose à la fin des années 1990 : vous avez fait effondrer le rouble et avez permis de faire faillite tous ceux qui le méritaient, mais après vous avez pu profiter d’une situation économique assez favorable. Il faut alors pouvoir accepter une douleur à court terme.
Trouvew l'article original sur le site d'Expert.
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