La Russie recalée au contrôle des passeports

À la veille de son voyage au Luxembourg, Sergueï Lavrov a écrit à Catherine Ashton une lettre pour lui demander d’influencer les membres indécis de l'UE. Crédit : Reuters/Vostock Photo

À la veille de son voyage au Luxembourg, Sergueï Lavrov a écrit à Catherine Ashton une lettre pour lui demander d’influencer les membres indécis de l'UE. Crédit : Reuters/Vostock Photo

La Russie et l'Union européenne ne parviennent pas à s'entendre sur les conditions de simplifications du régime des visas. Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov s’est entretenu pendant plus de quatre heures à Luxembourg avec 28 homologues européens, sans parvenir à obtenir de réponse à cette question : pourquoi les responsables ukrainiens peuvent se rendre dans l'UE sans visa, mais pas les russes ? « La question est politisée», résume une source diplomatique russe.

La réunion informelle de Sergueï Lavrov avec la chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, et les 27 ministres des Affaires étrangères des États membres de l'UE n’était pas censée constituer un événement déterminant. C’est le ministre russe qui a généré le suspense en déclarant avant le voyage qu'il allait au Luxembourg « pour obtenir des explications ».

S’entretenant à Moscou avec des représentants d’entreprises européennes, il s'est plaint que les négociations sur la libéralisation et l’annulation des visas avec l'UE se déroulent moins bien qu’elles ne le pourraient. « On nous a rapporté que la raison principale était politique, a annoncé le ministre. Dans l'UE, certains estiment qu’il est politiquement inacceptable d’accorder à la Russie la levée des visas avant que ce ne soit le cas pour les pays du Partenariat oriental [Ukraine, Moldavie, Géorgie, Azerbaïdjan, Arménie et Biélorussie, ndlr]. S’il en est ainsi, il s'agit alors d'une approche politisée ». Sergueï Lavrov a annoncé qu’au Luxembourg, il voulait obtenir de ses homologues européens « l'assurance que ces soupçons ne sont pas fondés ».

Loin d‘éventer ces soupçons, la réunion de quatre heures, au lieu d’une heure et demie comme prévu, n’a fait que renforcer la méfiance. « La question est politisée, il n’y a pas le moindre doute, a déclaré à l’issue de la rencontre une source au sein de la délégation russe. On a l’impression que les Européens cherchent à ralentir le processus exprès pour nous tenir en haleine, en jouant avec nous ».

Les négociations sur l'assouplissement du régime des visas pour les citoyens de la Fédération de Russie et de l'UE se heurtent au problème des passeports de service. Moscou insiste pour que leurs détenteurs – députés, personnel des ministères, représentants de sociétés publiques et autres institutions – soient entièrement exemptés de visas, ce à quoi Bruxelles s'oppose.

A la veille de son voyage au Luxembourg, Sergueï Lavrov a écrit à Catherine Ashton une lettre pour lui demander d’influencer les membres indécis de l'UE – parmi lesquels figurent notamment les pays baltes et l'Allemagne – de sorte qu'ils cessent de faire de la résistance sur la question des passeports de service.

La demande du ministre, selon une source à Bruxelles, était étayée par trois arguments : la Russie a déjà réalisé des concessions majeures, en excluant des prétendants à l'exemption de visas pour l'UE les deux plus grosses catégories de détenteurs de passeports de service, les soldats et le personnel technique des ambassades ; le nombre d’officiels russes voués à être exemptés de visas est donc égal au nombre de fonctionnaires ukrainiens qui bénéficient déjà d’un tel droit ; enfin, si tout cela n'est pas pris en compte, la Russie introduira à partir du 1er novembre des visas pour les équipages des avions de l'Union européenne, un moratoire étant actuellement en vigueur.

Toutefois, la lettre n’a visiblement pas eu l'effet escompté. Après les entretiens du Luxembourg, une autre source de la délégation russe a déclaré avec certitude que la question ne serait pas résolue d’ici le 1er novembre.

« Le problème ne réside pas uniquement dans la politisation du processus, mais dans une approche tendancieuse [à l’égard de la Russie, ndlr] », a expliqué le diplomate. Selon lui, les pays qui remettent en cause le bien-fondé de la libéralisation du régime des visas avec la Russie « ont des conceptions qui ne sont souvent pas directement liées à la Russie, mais extrapolées à ce pays ». Le diplomate a souligné que la Russie proposait d'exempter de visas 15 000 détenteurs de passeports de service, mais était prête à accepter que le même droit soit accordé à 150 000 détenteurs de tels documents de l'UE (rien qu’en Allemagne, environ 28 000 personnes possèdent des passeports de service, selon un interlocuteur au sein du ministère des Affaires étrangères).

« Toutefois, la société allemande redoute fortement des flux incontrôlés de migrants, et si on annonce qu'une certaine catégorie de citoyens de la Fédération de Russie est totalement exemptée de visa, cela pourrait être mal perçu par l'électorat, qui ne comprendra pas de qui il s’agit en réalité. Par conséquent, les autorités de l'Allemagne ne font aucun pas vers nous », a-t-il expliqué.

Cependant, la peur des migrants n’est pas la seule raison pour laquelle l'Allemagne (et d'autres membres de l'UE) n'est pas pressée d’accéder aux demandes de Moscou. Comme l’a raconté un des membres d’une délégation du Bundestag en récente visite à Moscou, les Allemands sont fermement convaincus que parmi les détenteurs de passeports de service russes, on trouve de nombreux espions. « Je ne sais pas si c’est vrai ou non, mais personne ne veut leur simplifier la vie », a reconnu l’homme politique.

Sur fond de telles divergences, il ne serait pas raisonnable de s’attendre à un allègement prochain du régime des visas avec l'UE. Au contraire. A partir du 1er novembre, des personnes exemptées de longue date devront de nouveau obtenir le précieux sésame.

Lire l'article original sur le site de Kommersant.

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