Crédit : Maria Tchobanov
Cette journée de mobilisation a commencé sur la place Anna Politkovskaïa (inaugurée il y a un dans la ville de Montreuil), en présence de Vera Politkovskaïa, fille de la journaliste assassinée il y a 6 ans exactement, et du célèbre écrivain contemporain russe engagé Boris Akounine.
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Au travers de militants, chercheurs, spécialistes de la Russie et artistes engagés, ce forum a été l’occasion pour le public de comprendre et connaître les nouvelles formes de contestation aujourd’hui en Russie.
Artemi Troitsky, critique musical et sociologue russe, a dans son discours tenté de dissiper le mythe, diffusé par les autorités russes, selon lequel le mouvement de protestation serait une mode de « hipsters » oisifs et repus. Selon le sociologue, le mouvement possède des racines profondes et objectives, et implique entre 3 et 5 millions de personnes. Pour différentes raisons, leur mode de vie est incompatible avec le régime de Poutine. Dans le contexte russe, ils ne peuvent pas faire des affaires de façon civilisée et honnête, ou créer de façon libre. Ces personnes doivent soit oublier leur estime de soi et devenir des citoyens russes typiques, soit immigrer, soit renverser un pouvoir qui entrave leur réalisation de soi. Artemi Troitsky est convaincu que la Russie a besoin d'une révolution, mais sans effusion de sang, à l'instar de celle survenue en Géorgie en 2003.
Cécile Vaissié, professeur à l'université Rennes 2, spécialiste de la Russie, a dans une brève analyse de la nature du mouvement de protestation souligné que, bien sûr, les manifestations de masse dans les rues de Moscou survenues en 2011 avaient constitué une surprise pour beaucoup, mais que les chercheurs avaient senti venir cette vague beaucoup plus tôt. Elle a rappelé qu'en 2008, la Russie avait vu apparaître de nouveaux partis, des manifestations modestes baptisées « Marche du désaccord » se tenant de temps à autre. La jeune génération a commencé à s'unir autour des idées de dissidents âgés, comme Lioudmila Alexeïeva, 80 ans, et l'on a vu remonter sur scène des politiciens tels que Vladimir Ryjkov et Boris Nemtsov. Simultanément, la classe intellectuelle et créatrice a renforcé son activité, un front s'est formé contre Nikita Mikhalkov, qui, suivant l'exemple de Poutine, créait des « verticales » dans l'industrie cinématographique. Des actions d'organisations écologistes ont été organisées. Un autre phénomène intéressant et révélateur, selon Cécile Vaissié, est le mouvement contre les « gyrophares ». C'était une protestation contre des privilèges injustifiés et, finalement, pour l'État du droit, affirme la chercheuse. Ainsi, avant même l'été 2010, la société s'est mise en mouvement. Et il est devenu clair que la société civile existait en Russie.
Anne Le Huérou, chercheuse, maître de conférences à l'université Paris Ouest La Défense, a dans son intervention indiqué que dans l'ensemble de ce mouvement de protestation, on notait la présence significative de courants nationalistes. Les chefs de file de l'opposition n'osent pas s'opposer aux nationalistes, y compris aux plus radicaux, par peur de relâcher la pression sur le gouvernement et de diviser l'opposition. Un projet politique clair n'a pas encore vu le jour dans le pays car, selon Anne Le Huérou, il est très difficile dans le contexte russe d'élaborer un programme politique sans risquer de perdre une partie de ses partisans, compte tenu des intérêts divergents des différentes couches de la population.
La militante russe des droits de l'homme Stephania Kulaeva, responsable du centre anti-discrimination MEMORIAL à Saint-Pétersbourg, a pour sa part souligné que les événements de l'année écoulée avaient eu une influence importante sur la société et le gouvernement, qui a adopté un certain nombre de lois liberticides. « Je ne suis pas d'accord avec ceux qui affirment que nous traversons une époque de répressions. Nous vivons l'âge de la résistance. C'est cette résistance qui provoque une répression de la part des autorités, et pas l'inverse », a conclu avec optimisme la militante.
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