Crédit : Itar-Tass
Kommersant : Dans votre intervention devant la dernière assemblée générale de l’ONU, il a été plusieurs fois question de non ingérence dans les affaires intérieures des États. Était-ce une évocation de la situation au Proche-Orient ? Ou bien est-ce important pour la Russie elle-même ?
Sergueï Lavrov : Exactement. Le principe de non ingérence dans les affaires intérieures d’un pays est inscrit dans la Charte des Nations Unies. Il est nécessaire, non pas pour que la Russie se sente mieux ou moins bien d’une façon ou d’une autre. C’est un principe fondamental du droit international. Si nous en autorisons la violation, ou si nous en faisons peu de cas, sous prétexte qu’un pays n’est pas en mesure de se défendre, il faudra alors s’attendre à une réaction en chaîne. Le monde plongera simplement dans le chaos. C’est une tendance que l’on observe déjà au Proche-Orient.
Qu’est-ce qui a précisément irrité ou dérangé Moscou dans le travail de l’agence USAID ?
S.L.: Rien ne nous irrite ni ne nous dérange. Nous avions un accord depuis 1992, sur la base duquel se déroulait l’activité de l’Agence des États-Unis pour le développement international en Russie (USAID). Le pays était alors en mauvais état, et nous n’avions pas prêté une grande attention aux documents signés avec les partenaires étrangers.
Le document principal pour les activités d’USAID était complètement discriminatoire envers la Russie. Il donnait des droits aux partenaires américains qu’un État normal, dans une autre situation, ne garantirait pas.
Il y a un an, nous avons dénoncé cet accord. Après cela, il n’y avait plus de base légale pour les activités d’USAID sur le territoire russe.
Sans base légale, pas besoin pour nous de recevoir des subventions, puisque le pays est déjà donneur en tant que tel. Et pour les activités des organisations non commerciales, l’État russe lui-même donne des fonds importants, récemment multipliés par trois à la demande du président Vladimir Poutine.
En outre, certains projets d’USAID clairement colorés politiquement, effectués sans le consentement de la Russie, laissaient planer un doute. En particulier un projet dans le Caucase du Nord, où l’agence n’a pas été très exigeante dans le choix de ses partenaires et des bénéficiaires de ses fonds.
Aucun obstacle n’existe empêchant les nobles activités d’USAID de se poursuivre en Russie. Que ce soit l’aide aux invalides ou aux enfants, les projets éducatifs ou sociaux. Le gouvernement américain pourra sans problème obtenir cet argent par d’autres canaux.
En un mot, je voudrais dire que nous voulons seulement donner une base légale à notre coopération et aux relations avec les pays étrangers dans tous les domaines conformément aux principes d’égalité et de respect mutuel.
Les fonds d’aide européens œuvrant en Russie ne sont-ils pas menacés ? Les fonds allemands, par exemple.
S.L.: Non, ces fonds travaillent sur la base d’accords bilatéraux entre les gouvernements. USAID est une branche du Département d’État américain.
Une opinion circule selon laquelle les États-Unis vont maintenant réellement adopter la loi Magnitski introduisant des sanctions économiques et de visa contre les officiels russes. Et que cela affectera ceux qui voulaient, au prix de cette loi, garantir l’abrogation de la discrimination contre la Russie de l’amendement Jackson-Vanik.
S.L.: C’est complètement faux. La loi Magnitski sera adoptée dans tous les cas. Ce n’est pas le prix à payer pour l’abrogation de l’amendement Jackson-Vanik. Les républicains, ainsi que de nombreux démocrates au Congrès ont publiquement fait savoir que la loi Magnitski était nécessaire. Qui plus est, nombreux sont les partisans de cette loi qui estiment que la Russie ne mérite pas l’abrogation de l’amendement Jackson-Vanik.
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Comment la Russie pourrait-elle réagir à l’adoption de la loi Magnitski ?
S.L.: Tenter de mélanger le commerce et la politique, faire pression sur la Russie détériorerait sérieusement tout autant l’atmosphère et le dialogue politique bilatéral que les relations économiques.
Comment va se développer la situation en Syrie ?
S.L.: Il y a deux possibilités. Si l’assurance que la priorité est aujourd’hui la sécurité, la protection des gens, est sincère, il faut alors appliquer les accords de Genève, c’est-à-dire faire arrêter les violences de toute part et asseoir tout le monde à la table des négociations. Mais si la priorité est de faire chuter le régime de Bachar Al-Assad, alors nous ne pouvons aucunement apporter notre aide. Cela n’entre pas dans les fonctions du Conseil de sécurité de l’ONU. Et ce serait alors une incitation à poursuivre les combats.
Le choix est très simple, mais bien évidemment terrible. Lors de mes entrevues avec mes collègues, j’ai ressenti qu’ils comprennent qu’il n’y a pas d’alternative à ces deux scénarios, mais qu’ils ne sont pas encore prêts à chanter cette chanson diplomatique. C’est triste.
Pourquoi la Russie souffre-t-elle d’une image majoritairement mauvaise à l’étranger ? Quel peut-être ici le rôle du ministre des Affaires étrangères ?
S.L.: Malheureusement, la Russie doit souvent faire face à de grosses distorsions de la vérité ou bien des mensonges directs de la part des journaux étrangers. Il suffit de se souvenir de la couverture des évènements liés à l’agression de la Géorgie contre l’Ossétie du Sud en août 2008.
Dans la même ligne, il existe une propagande médiatique dans les pays occidentaux autour de l’affaire Pussy Riot. Aucune charge politique n’a pesé sur les membres de Pussy Riot, à aucun moment du jugement. Elles ont été jugées pour hooliganisme dans la plus grande cathédrale de Russie. Les tentatives visant à rapprocher la sentence de « modes de pression commun du régime sur l’opposition » ignorent les réalités russes contemporaines, qui se caractérisent, au contraire, par une libéralisation de la vie politique.
Version raccourcie. Retrouvez la version originale sur le site de Kommersant.
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