Que faire de Saint-Pétersbourg ?

Image par Natalia Mikhaylenko

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Ne rien construire ou construire des gratte-ciel : ces deux voies mènent à l'impasse. Pour l'instant, les autorités tentent d'imposer sournoisement leurs solutions, tandis que les amoureux du vieux Saint-Pétersbourg luttent pour préserver le paysage urbain de la ville des Tsars. 

 

La première chose que le visiteur avisé, amateur d'architecture, notera à Saint-Pétersbourg, c’est sans doute son absence de modernité.

 

Au premier abord, cela peut provoquer un sentiment de déroute, mais absolument sans danger, car le centre historique a été entièrement rénové. C’est d’ailleurs son principal attrait. On vient y découvrir les splendeurs de la ville des Tsars, fondée par Pierre le Grand. Pourtant, la plupart des touristes ignorent la lutte que mènent ses habitants pour conserver intact le paysage urbain de la vieille ville.

Quant aux experts pour la conservation du Patrimoine, c’est une toute autre histoire. Au cours de la dernière session d’été de l’UNESCO qui s’est déroulée à Saint-Pétersbourg, l’union des organisations qui réunit Save Europe's Heritage, le MAPS (Société pour la Préservation architecturale Moscovite) et Jivoï Gorod (Ville vivante) a publié son dernier rapport, Saint-Pétersbourg : un héritage en danger. Des publications parues les années précédentes alertaient déjà l’opinion publique sur l’avenir architectural de Moscou et de Samara.

 

Dans le prologue, le chroniqueur du Times et président de l'organisation britannique Save Europe's Heritage Marcus Binney décrit la ville à un carrefour de son histoire, « d’un côté attirée par les voix douces et séduisantes du modèle asiatique, au développement particulièrement dynamique, sans limites, mais où s’invitent glamour, prospérité et grandeur infinie des gratte-ciel... D’un autre côté, un appel puissant de la civilisation occidentale résonne, en écho aux paroles de l’empereur Auguste, selon lesquelles Rôme ne s’est pas faite en un jour ». Et d’ajouter que « tout cela entraîne le besoin d’une architecture qui ne soit pas seulement contemporaine. Cette architecture contemporaine doit se doter d’une finesse de la compréhension du lieu ».

 

Pour les experts occidentaux, le problème de Saint-Pétersbourg sonne comme une évidence : la ville doit être restructurée, c'est indispensable. L'historien Colin Amery déplore, dans ce même rapport, le contraste entre les rues touristiques du centre-ville, et les maisons délabrées, mal rénovées des quartiers périphériques. Dans un même temps, son collègue Adam Wilkinson, directeur de l'organisation « Patrimoine mondial d'Edinburgh », met en garde contre une rénovation schématique des quartiers en difficulté, qui a déjà montré ses limites dans de nombreuses villes d'Europe. La tentation qui se présente aux administrations est grande: déloger ses habitants pour rénover entièrement les bâtiments, et les revendre par la suite. « Cela ne marchera pas », affirme un expert, « il suffit de regarder n'importe quelle ville britannique où cette solution a été envisagée pour se rendre compte des sérieux problème que cela peut engendrer dans le fonctionnement de la ville ».

 

Pour certaines choses, il est impossible de séparer la méthode de création de son résultat final. Si nous voulons rénover les bâtiments historiques d'une ville tout en préservant son authenticité, une seule solution subsiste : conserver au maximum les monuments et leurs fondements, et y ajouter par la suite des constructions nouvelles, pensées avec harmonie, sans en cacher la modernité. Il en existe certains exemples qui fonctionnent parfaitement, comme le centre commercial Quattro Corti, en plein centre de Saint-Pétersbourg, pour lequel les architectes du cabinet italien Piuarch ont conservé la façade historique du bâtiment, et ont introduit à l’intérieur une conception moderne des espaces. Mais ces réalisations restent exemplaires et rares. Dans l'ensemble, Saint-Pétersbourg compte très peu d'exemples de rénovations ou de constructions pouvant prétendre à un véritable statut de modernité.

 

Les exemples inverses, en revanche, ne manquent pas. Les pires ? Sans doute l'Aurore et le Mont-Blanc, deux monstres résidentiels de luxe visibles depuis le quai du Palais, qui ont littéralement détruit le panorama historique. Aujourd'hui, de telles menaces ne pèsent plus. Même Gazprom a renoncé à son gratte-ciel controversé dans le quartier de l'Okhta. Le projet de construction de cette tour de 500 mètres de hauteur, qui menaçait de détruire le panorama historique de la ville, a finalement été repoussé aux abords de Saint-Pétersbourg, à Lakhta, sur la rive nord du golfe de Finlande. Mais l’appréhension de ses habitants n’en reste pas moins vive. En août, un groupe d’experts, parmi lesquels figurait le célèbre réalisateur russe Alexandre Sokourov, a adressé une lettre au gouverneur de la région Géorgui Poltavtchenko, afin de signaler que « tous les professionnels et spécialistes de bonne foi craignent une intrusion inévitable de ces structures dans le panorama des sites protégés, notamment aux côtés de certains symboles de Saint-Pétersbourg comme la Cathédrale Pierre-et-Paul ou les colonne rostrales ». La lettre a été rédigée après que le Service de surveillance et d’expertise de la construction de Saint-Pétersbourg (Rosstroïnadzor) a donné son accord pour le lancement de la première phase de la construction de la tour de Gazprom à Lakhta. À l’heure actuelle, les travaux se poursuivent malgré les protestations des citoyens. 

 

Les préoccupations ne se font pas seulement vis-à-vis de l'apparition de ces nouveaux points culminants, incompatibles avec Saint-Pétersbourg et son horizon. Il s'agit aussi d'une transformation, qui serait inappropriée dans le centre-ville historique. Le 20 septembre dernier, sont parus les résultats du concours d'architecture pour la reconstruction de deux grandes zones de la périphérie urbaine de Saint-Pétersbourg, dans les quartiers de Marsov et de l'île de la Nouvelle Hollande. Le concours, qui concerne des territoires stratégiques et importants, s'est déroulé sans jury ni débat publique, et sans prix. Comme s'il s'agissait d'une consultation gratuite. Comme si les soupçons d'Adam Wilkinson se confirmaient. La ville doit éviter de sombrer dans l’autophagie architecturale. Les autorités en sont-elles pour autant les seules responsables ? A en croire les discussions sur les possibilités de développement de Saint-Péterbourg, deux visions s'opposent : interdire toute construction, ou bien à l'inverse, faire de Saint-Pétersbourg une mégapole moderne, en l’accompagnant parallèlement d'un processus d’embourgeoisement. En fait, ni l'une ni l'autre de ne peuvent correspondre à Saint-Pétersbourg. Les excès de conservation ne sont pas moins dangereux que l'idée de tout raser pour reconstruire nouveau.

 

Il apparaît indispensable de rénover la ville, certes, mais selon des règles et des paramètres qualitatifs clairs tant pour le développeur que pour l'architecte, comme c'est le cas pour la construction d’un quartier des Quais de l'Europe, qui doit remplacer l'Institut de chimie appliquée. Les concepteurs du projet Sergueï Tchoban et Evgueni Guerassimov ont fait appel à divers architectes européens et russes pour la conception de différents édifices. Une ville prend un caractère vivant et européen pas seulement par la seule conservation de ses bâtiments historiques, mais à partir du moment où cette rénovation s'accompagne d'une culture de l'urbanisme, portée par des architectes européens. Si patrimoine il y a, infrastructure et modernisme il y aura. Et les touristes suivront. Cette démarche se rapproche d'autant plus de la tradition de planification urbaine de Saint-Pétersbourg, et sera plus productive que l'élévation de gigantesques édifices ou le gel complet des constructions, dans le centre-ville d’une ville des arts, Saint-Pétersbourg, considéré à juste titre comme le glorieux aboutissement des architectes russes.

 

Vladimir Frolov est critique d'architecture et rédacteur en chef du magazine Projet Baltes.

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