Image par Natalia Mikhaylenko
Pour son soixantième anniversaire, le président russe Vladimir Poutine est devenu l’un des hommes les plus puissants du monde. On le vénère tout autant qu’on le diabolise. Et en Russie comme à l’étranger, Poutine devient, plus un simple mortel, une marque, un schéma dans lequel chacun y trouve ce qu’il veut y trouver.
Il y a deux ans, le journal Forbes a placé Vladimir Poutine à la deuxième place du classement des personnalités politiques les plus influentes au monde après Barack Obama et devant le président chinois Hu Jintao. C’est en vérité peu sensé. En raison des paramètres de l’État qu’il dirige, le président russe ne peut avoir plus d’influence sur les processus internationaux que le dirigeant chinois.
Cependant, Poutine est regardé séparément du pays qu’il dirige. Et à cela il ne peut rien faire. Simplement le président de la Russie est le plus éclatant exemple de l’état des affaires dans le monde, un symbole pour certains positif, pour d’autres négatifs de la situation de transition vague dans laquelle se situe l’ensemble du système et ses composants.
Poutine est arrivé au pouvoir sous le slogan de la stabilité en Russie à une époque où le monde — déjà parti fêter la victoire de la guerre froide par l’Occident – commençait à se décomposer. L’incertitude a progressé rapidement sur fond de ruine des structures institutionnelles habituelles.
Les fébriles tentatives de l’Ouest pour renforcer le système international créé par les modèles occidentaux ont conduit au fait que la construction s’est décalée de tous les côtés. Et parce qu'il est un et indivisible, comme jamais auparavant, les conséquences irréfléchies ont des conséquences pour tous sans exceptions. Une stabilisation de l'intérieur ne se combine pas avec la déstabilisation croissante du monde extérieur. En d'autres termes, Poutine est en opposition.
Poutine est perçu par beaucoup dans le monde comme un « modèle » d’ennemi du progrès, un symbole des points de vue archaïques et des approches démodées. En soit le président russe, semble calme mais il rompt parfois de rage sur les politiques des grandes puissances, dont les actions semblent viser à aggraver la situation.
Dans ses articles comme dans ses interventions publiques il ne délivre qu’une seule idée : le monde est dangereux et imprévisible, et les actions des grands pays ne font qu’aggraver toutes les menaces.
Poutine n’est pas le seul à aller à l’encontre de cet état de choses, mais il s’est avéré qu’il était à la tête de la résistance. Tout d’abord, parce que la Russie, en dépit de la baisse après l’effondrement de l’URSS, reste l’un des pays les plus actifs avec des ambitions claires. Ensuite parce qu’en raison de son potentiel nucléaire, on ne peut ignorer l’opinion de la Russie. Enfin en raison du caractère même du président, il se distingue par un niveau pour les politiques d’un tel niveau de franchise et d’ouverture.
Beaucoup sont convaincus que Poutine est un fin stratège qui gouverne avec un « plan d’ensemble » : l’expansion réfléchie, le reconstruction de l’empire, le renforcement de la verticale du pouvoir et le retour de l’URSS. Et cela donne en exemple au président de la Russie une aura de puissance supplémentaire. Cependant Poutine lui-même ne semble pas croire à la stratégie.
Le Président de la Russie est un réactionnaire dans ce sens qu’il préfère la réaction, réagir, à tous les autres types d’action. Réagir seulement en réponse aux impulsions, de l’extérieur ou de l’intérieur. En sachant alors le caractère de la source et de l’appel, qu’on peut réagir et ne pas se tromper.
Le caractère réactionnaire dans un autre sens — le rejet du changement - n'a pas été initialement le fruit de Poutine. Elle a été acquise, comme cela arrive à la conclusion que toute chose nouvelle pour une raison quelconque tend à s'aggraver.
Les turbulences extérieures inquiètent Poutine avant tout pour la raison qu’elles rentrent en résonance avec les troubles intérieures d’instabilité, en les renforçant. Comme beaucoup de ses prédécesseurs conservateurs, il dit toujours que le pays a besoin de temps pour une société stable, durable, au développement contrôlé, il est encore trop tôt pour tout abandonner à la dérive des volontés démocratiques.
Ces dernières années nous avons redressé la carcasse du gouvernement détruit après l’effondrement de l’URSS dans les années 1990, aujourd’hui il faut le renforcer a dit Poutine durant une rencontre pré-électorale en Février. Le choix du mot était curieux : il ne s’agissait non pas de « perestroïka », la « reconstruction » pensée par Mikhaïl Gorbatchev et perçue par beaucoup en Russie comme un synonyme de catastrophe, mais d’« achèvement » (dostroïka), un mot ayant la même racine mais avec un sens plus précis d’achèvement de la construction.
Poutine comprend que les manifestations qui ont réveillé la société se sont heurtées à son retour au pouvoir, ce n’est pas seulement une incitation de l’Ouest (bien qu’au fond de lui, il le croit), mais le témoignage des changements sociaux. En cela il est certain que les manifestants ont sincèrement tort, il est encore tôt, il faut du temps, pour achever la reconstruction…
L’histoire de la Russie a montré de manière continue que les conservateurs manquaient toujours du temps nécessaire. Quelque chose s’est passé, et leurs efforts, même corrects et constructifs ont été anéantis sous la pression des cendres du changement. Le changement n’est pas toujours pour le meilleur mai quand il a lieu personne n’y pensait.
En revenant au sommet de l’État, Poutine n’a pas amené avec lui de recette toute faite pour résoudre les problèmes apparus, mais il est revenu avec un sens aigu du danger, de la fragilité qui l’entoure. Accuser Poutine de l’absence de stratégie est difficile – elle est absente chez tous. Dans un monde incertain cela ne ferait presque aucun sens. L’expérience de l’Europe montre qu’une construction qui paraît très fiable peut s’écrouler comme un château de cartes. En tant que réaliste et conservateur, Poutine donne une évaluation plutôt saine de toutes les difficultés survenues, mais il ne trouve pas de réponse à tous les appels qui prolifèrent.
Fiodor Loukianov, rédacteur en chef du journal La Russie dans la politique mondiale.
Article publié en version écourtée. Trouvez la version complète sur le site de Kommersant.
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