Image par Alena Repkina
Il y a 9 mois, beaucoup étaient remplis d’enthousiasme après les meetings à l’affluence inattendue de la place Bolotnaïa et de l’avenue Sakharov. La révolution était alors dans l’air, le pouvoir faiblissait et se disait prêt à faire des concessions politiques, la question des réélections anticipées de la Douma, le départ de Poutine, la nomination d’un « gouvernement de transition », avec la participation des représentants de l’opposition était envisagée sérieusement.
Il fallait alors tenter de tirer les leçons de ces deux protestations de masse. Aujourd’hui, neuf mois après les débuts du mouvement de contestation en décembre, on peut dire que cela n’a abouti à rien politiquement. Poutine est assis en toute confiance dans son fauteuil, la question de nouvelles élections législatives à la Douma est non seulement plus à l’ordre du jour, mais elle a contrattaqué, ayant commencé à licencier les mandats de députés de ses opposants. Le mouvement des meetings moscovites a diminué jusqu’au minimum depuis décembre, et dans les régions le mouvement a disparu. Regardez-donc le faible nombre de participants aux actions de protestation dans les villes connues pour leurs humeurs protestataires comme Saint-Pétersbourg et Ekaterinbourg. C’est sans évoquer l’échec du mouvement de l’action du « flux blanc » - dans les villes de province seules quelques dizaines de personnes se sont rassemblées. Comment cela est-il arrivé ?
En fait il était déjà clair que les évènements allaient se dérouler selon un tel scénario après le meeting sur l’avenue Sakharov. La majorité des manifestants qui s’étaient joints au mouvement ne s’en étaient pas encore rendu compte – ils n’avaient pas encore d’expérience ou communiqué avec les personnes ayant pris le leadership du comité d’organisation des actions de protestation, les ont perçus de façon trop idéaliste sur la base des informations sur internet d’autres médias libéraux. Il y a cinq ans, je pensais aussi que tous les politiques qui sont contre Poutine, sont a priori de bonnes personnes. Le problème, est cependant que pendant les années de répression politique, une opposition professionnelle s’est formée en Russie, qui n’est pas adaptée pour résoudre des problèmes politiques d’envergure.
Le fait que Poutine ait conduit cette foule dans ce ghetto étroit des petits médias et blogs libéraux, est un mauvais tour pour l’opposition. En concurrence pour la popularité d’un maigre public, les opposants professionnels ont perfectionné à l’extrême leur capacité à critiquer Poutine, mais ils ont totalement perdu la faculté d’agir comme des hommes politiques d’envergure et de discuter avec les gens normaux.
En résultat nous avons reçu, disons, deux histoires d’affilée, quand aux élections présidentielles de 2008 et 2009 l’opposition hors système a échoué à présenter un candidat. En 2008, l’« Autre Russie » dans une série de plusieurs mois de primaires a désigné Gary Kasparov candidat à la présidence, mais il n’a finalement pas été aux élections … ne pouvant trouver une salle pour regrouper les partisans de son mouvement. En 2012, beaucoup attendaient du mouvement d’Alexeï Navalny, mais il n’a pas avancé, au contraire des cas avec Kasparov, il est aujourd’hui difficile de se souvenir pourquoi « il n’y a pas d’élections dans le pays ».
En conséquence le processus politique suivait son cours, alors que les « opposants professionnels » vaquaient à leurs affaires pour eux-mêmes. Samedi dernier, depuis les tribunes de l’avenue Sakharov, cette « stratégie » peu maline a été annoncée par Alexeï Navalny : « Nous devons aller aux meetings comme nous allons au travail ».
Il y a peu, quelqu’un m’a dit que « Navalny a comme été remplacé après le 4 décembre », si aux élections législatives il a conservé sa stratégie de vote actif conte « Russie Unie », qui a marché et a créé dans le pays une vague de protestation massive, alors s’est transformée selon mon interlocuteur, en « simple contestataire de l’intelligentsia ».
Et voilà, aujourd’hui, ces opposants on stigmatisé les députés de Russie Unie à la Douma pour le licenciement de Guenadi Goudkov, mais il ne leur est jamais venu à l’esprit qu’une grande part des responsabilités leur revient, s’ils n’avaient pas, il y a un an, agité la participation aux élections comme telle (le taux de participation était au final presque de 4% inférieur à 2007), la Douma n’aurait peut-être pas pu mettre fin au mandat de Goudkov.
Aussi, la situation dans le pays aurait été différente. Mais chez les contestataires, pas une seule fois a-t-on reconnu une erreur politique ou sa responsabilité pour ce qui s’est passé. Au contraire, ils ont regardé ce qui leur est tombé sur la tête, les milliers de manifestants et la communication de masse des protestations, comme allant de soi.
Si les journalistes de trois ou quatre médias libéraux de Moscou avaient choisi de déboulonner le meeting de Yabloko sur la place Bolotnaya le 17 décembre, et non pas aux meetings des contestataires du 10, comment se serait déroulée la suite de l’histoire du mouvement n’est pas certain, et quels auraient été les résultats ?
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Déjà en mars, l’ampleur des protestations a chuté, et seule la répression du pouvoir a permis de supporter le niveau des actions de mai et de juin – sans changer, il est vrai, les questions restées en suspens dans l’air : comment aller plus loin. Les leaders de la protestation répétaient tous le mantra selon lequel « si des millions sortent dans la rue, alors Poutine devra partir », comme pour faire allusion à des scénarios d’un développement révolutionnaire. Mais le révolution est une affaire sérieuse, elle requiert une organisation et une discipline de fer. Comme l’ont montré les évènements du 6 mai, ces personnes qui ont pris le contrôle des protestations ne sont pas même capables de trouver une salle de réunion pour l’élection d’un candidat à la présidentielle.
Et quoi maintenant ? Désormais, comme il en ressort de l’intervention d’Alexeï Navalny sur l’avenue Sakharov samedi dernier, toute la responsabilité, selon la version des « leaders », repose sur les manifestants lambda, il leur faut absolument « aller aux meetings comme au travail », « distribuer des tracts », verser de de l’argent sur les divers comptes de l’opposition etc.
J’ai pensé que quelqu’un dirait depuis la tribune, que, voilà les amis, excusez-nous, nous vous avons conduits là où nous ne voulions pas, toute cette protestation se termine dans une impasse, nous sommes coupables devant vous, mais, croyez-nous encore une fois, cette fois nous avons un plan. Mais il n’en a rien été.
« Vous devez venir à nous comme au travail ». Et nous allons donner des interviews et poser avec vous comme masse en fond.
J’aimerais rappeler une phrase connue du président Kennedy à Alexeï Navalny : « ne demande pas ce que ton pays peut faire pour toi mais ce que tu peux faire pour ton pays ». Cela s’applique pleinement aux relations entre les « leaders de la protestation » et les milliers de gens allant à leurs meetings. Ces politiciens doivent travailler pour réaliser les espoirs des simples manifestants et non l’inverse.
Je suppose qu’il est clair pour beaucoup qu’il n’est pas possible de continuer ainsi. Ca suffit de les laisser bourrer le crâne de chacun avec ces « occupations ». Pour eux, ce ne sont tous que des jouets, ils sont habitués depuis de nombreuses années à cette existence et rien au fond ne peut changer pour eux. Si vous souhaitez le changement dans le pays, il ne faut pas attendre d’aide de la cohorte des opposants professionnels.
Que faire ? Nous en avons déjà parlé. Il faut comprendre ses erreurs, l’absence d’une véritable force d’opposition politique à l’échelle nationale, avec une faible popularité dans la population et de faibles liens avec elle et aller travailler pour les élections. Dans les deux prochaines années, l’opposition a de sérieuses chances d’obtenir un représentant au pouvoir dans de nombreuses grandes régions, et en 2014-2015 d’être de la « bataille pour Moscou ».
Au final, tout s’éclairera et combien l’opposition pourra réussir à contrer Poutine dans le cycle électoral de 2016-1018, et qui dans l’opposition peut véritablement être un leader (et non pas choisi pas les médias libéraux et internet). Qui travaillera le mieux gagnera.
Mais les politiciens doivent comprendre que c’est d’abord à eux de travailler. Reposer le travail sur les épaules des manifestants lambda ne fonctionne pas. Les gens n’oublient pas et ne pardonnent pas.
Trouvez le texte original en russe sur le site de gazeta.ru.
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