La région de Lovozero et Seïdozero se situe au delà du cercle polaire. Le climat subarctique est ici adouci par le courant chaud du Gulf Stream, et l’on compte davantage de jours que de nuits polaires, 61 contre 44. Crédit : Itar-Tass
Lovozero, île de Kourga. Des pins de 10 mètres de haut grattent le ciel de leurs aiguilles dans un grincement mélodieux. Aux marécages se succèdent les escarpements pour laisser place aux rives sablonneuses du lac. Non loin de la jetée, où un canot de pêche se balance au gré des remous, une isba de bois se tapit dans les fourrés. Bienvenue au bout du monde. A l’horizon, à travers la brume matinale, on distingue la petite île de Tcholma. Puis, derrière, les îles Tcherniy (Noires) et Kobrassouol. Dans la région de Lovozero, on dénombre 114 îles, petites ou plus grandes, et chacune est le bout du monde. La plus imposante, l’île Kourga, qui s’étend sur 7 kilomètres de longueur, est elle aussi parsemée de lacs qui ont leur propres îlots minuscules.
Pour les Samis, les lacs Lovozero et Seïdozero, situés en plein milieu de la Péninsule de Kola, sont des lieux sacrés. Leurs berges recèlent de nombreux « seïd », lieu de cultes qui, selon la légende, gardent les secrets ancestraux et qu’il ne faut en aucun cas déranger. Les autochtones continuent de leur porter sacrifices et offrandes. Le rocher Kouïvtchorr, plus souvent nommé Kouïva, ressemblant à une gigantesque silhouette humaine, est le « seïd » principal pour le peuple sami.
Kouïva est le héros principal des légendes sames. Il peut prendre des apparences très diverses. Il est tout à tour chamane, sorcier maléfique, héros et protecteur du peuple. Quoi qu’il en soit, le rocher dont les escarpements rappellent une figure humaine le représentant a toujours été sacré pour les Samis.
« C’est Kouïva-noïd, le chaman qui a kidnappé la plus belle fille du peuple sami. Et le lac Seïdozero, ce sont les larmes de la belle », nous raconte notre guide Stepan, tenant dans sa main une grappe de groseille comme un chapelet.
Bien que la région de Lovozero et Seïdozero se situe au delà du cercle polaire, la toundra baigne dans les effluves des baies : groseilles, airelles, plaquebières, toutes aussi sucrées que dans les régions plus au sud. Le climat subarctique est ici adouci par le courant chaud du Gulf Stream, et l’on compte davantage de jours que de nuits polaires, 61 contre 44.
La cueillette de la plaquebière (appelée aussi mûre blanche), la pêche et l’élevage de rennes sont les activités principales des Samis. Lovozero, existe depuis le XVIe siècle. Les Samis sont le seul peuple européen à élever les rennes. Lorsque les frontières entre les pays n’étaient pas encore tracées, ils étaient nomades et suivaient les troupeaux dans leur migration entre les terres de Finlande et de Norvège. Puis ils se sont sédentarisés. Il y a 65 ans, le premier observatoire des aurores boréales avait été installé au bord du lac par les scientifiques russes. Aujourd’hui, Lovozero, « capitale russe » de Laponie, ressemble à une petite cité soviétique que les habitants du coin appellent en plaisantant leur « Paris ».
Vous pouvez vous rendre à Lovozero en prenant l’avion Moscou-Mourmansk (environ 300 euros aller-retour). Puis, 190 km en bus ou en taxi pour environ 70-100 euros.
Des immeubles de brique, ça et là, et des silhouettes solitaires perdues dans le brouillard épais, comme si chacun se trouvait au bout du monde. Et derrière le brouillard, plus rien. Un grand blond, chaussé de bottes en peau de rennes, marche à travers le rideau de brume en raclant l’asphalte cabossée.
Le renne pour les Samis est l’animal par excellence. Sa viande sert de base à la nourriture locale. Avec sa peau, ils confectionnent des vêtements chauds, des chaussures, des sacs. Leurs bois servent à fabriquer des souvenirs mais aussi, réduits en poudre, à concocter des médicaments. L’entreprise qui fait la fierté du village est l’élevage de rennes Toundra. Des visites touristiques sont organisées dans les enclos. L’abattage du renne se fait en hiver, de décembre à février (il ne fait pas bon d’être végétarien dans le grand nord) et c’est à cette époque que vous pourrez goûter à la stroganina crue. C’est d’ici aussi que partent les circuits touristiques vers Seïdozero, les toundras de Lovozer, et la descente des rivières Kourga, Sara et Tsara.
Le dernier week-end de mars à Lovozero se tient la Fête du Nord, étape incontournable de la compétition de sports nordiques : attraper le renne, lui mettre le mors, faire un circuit à ski. En juin, on enchaîne avec les « Jeux samis », qui ont tout d’un carnaval local, avec le tournoi de lutte en costume d’hiver, dont les adversaires ont l’air de gros bibendums. Ou bien le tir à l’arbalète déviée avec des flèches tordues (en l’absence de bons armuriers dans la région). Mais la discipline la plus populaire reste le football sami : des femmes vêtues de longues jupes se disputent à travers les marécages un ballon de cuir rempli de peaux de rennes.
La région attire les amateurs de nature et de folklore mais aussi les chasseurs de mythes. D’après la légende, aux temps ancestraux, la péninsule de Kola abritait les Hyperboréens, déjà cités dans la littérature hellénistique et tant convoitée par les auteurs fantastiques.
« On dit qu’avant vivaient ici les Hyperboréens. Notre terre est comme une sorte d’Atlantide. Les scientifiques sont venus, ont fait des recherches. Certains doutent, d’autres y croient. Moi, je vais vous dire une chose, moi même je suis un Hyperboréen. Nous sommes tous ici des Hyperboréens ! », jubile le pêcheur Appolinari installé dans sa barque échouée sur le sable.
Hyperborée, Atlantide, Lémurie, terre de Mu, tout autant de continents qui ont hypothétiquement existé avant de disparaître engloutis par les eaux suite à un cataclysme naturel. Pour les Samis, Seïdozero est le cœur de cette civilisation ancestrale que sont les Hyperboréens, puisqu’ils se considèrent eux-mêmes comme leurs descendants et les gardiens de leurs savoirs. Au fond du lac, on retrouve encore à ce jour des vestiges d’habitats et de temples d’origine inconnue.
Pour les historiens, les Hyperboréens restent un mythe. Une légende de plus sur les populations des terres extrêmes qu’ils ne prennent pas au sérieux.
Les grenouilles agitent les roseaux. Au loin, sur le lac, scintillent les faibles loupiotes des barques des pêcheurs. Et tout pousse à croire qu’en tenant le nord, on arrivera tout droit à l’Hyperborée. La certitude sans preuve, c’est dans le sang ici. Avant, la seule religion de la péninsule de Kola était le chamanisme. Aujourd’hui, si la plupart des Samis sont devenus orthodoxes, les chamans restent des figures centrales de la culture et sont toujours aussi respectés.
« A deux reprises, ils ont essayé ici de construire une église orthodoxe, mais le chantier a été arrêté pour des raisons inexpliquées », raconte Antonina Ivanovna en touillant une soupe parfumée dans son chaudron tout en chassant d’une main distraite les moucherons. Le Ïavv, bouillon à base de farine de seigle et d’oignon, est le plat national que l’on sert accompagné des baies gelées. « Ces lieux sont sacrés, chargé d’énergie positive. En été, beaucoup de visiteurs viennent sur les îles pour méditer. Ils installent leur bivouac et vivent ici jusqu’aux premières gelées. Ces touristes là, on les apprécie... ». Le seul moyen de se déplacer sur les lacs est la barque à moteur. Le prix moyen du trajet jusqu’à l’île est de 37 euros.
Le village de Lovozero, sur les bords de la rivière Virma, est le dernier point habité. Au delà, la toundra, les marais, les innombrables lacs et les campements des éleveurs de rennes. Que ce soit géographiquement ou du point de vue des mythes locaux, c’est ici le bout du monde. S’il y en a un autre, les Samis n’en savent rien.
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