Crédits photo : Alexsey Druginin / RIANovosti
Il y a deux ans, Robert Friedland, directeur de l’entreprise d’extraction minière canadienne Ivanhoe Mines, qui a réussi à s’imposer en Chine, s’est exclamé dans les couloirs du forum économique « Renaissance Capital » qui se déroulait à Moscou : « Comment est-ce possible ? Les gars, votre terre regorge de minéraux précieux ! Vous avez tout : métaux, engrais, charbon, pétrole, gaz, etc. Et le marché chinois est juste en face. Mais pour que cela fonctionne, il faut construire des infrastructures comme des chemins de fer, des ports ou des pipelines. Tôt ou tard, il faudra commencer à se bouger ». Il n’a cependant pas reçu de réponse claire à sa première question.
Même si 70% des ressources minérales russes sont concentrées au-delà de l’Oural et que les marchés asiatiques se trouvent à proximité, la part de la Russie dans les échanges de marchandises avec les États de la Coopération économique pour l'Asie-Pacifique (APEC) ne tourne qu’autour de 1%. Et bien que les principales entreprises russes mènent de nombreux projets dans la région, les économies de l’APEC représentaient moins de 25% du commerce avec la Russie en 2011, et ce alors que l’APEC compte parmi ses 21 membres le premier partenaire économique de la Fédération de Russie, à savoir la Chine.
« La Russie n’arrive pas à tirer profit de son énorme potentiel dans la région pour plusieurs raisons », indique Sergueï Men, un des dirigeants de la société Eurasia Capital Partners, basée à Hong Kong. « Premièrement, beaucoup d’acteurs clés, et en particulier les entreprises d’État, n’ont pas de vision globale dans la région. Deuxièmement, les infrastructures de transport actuelles ne suffisent pas. Enfin, il manque des installations pour attirer des investissements directs étrangers d’Asie de l’Est et du Sud-Est ».
Selon Erica Downs, spécialiste de la politique énergétique chinoise pour Brookings Institution (et qui a également travaillé avec la CIA et la RAND Corporation dans ce domaine), la Russie et la Chine sont en théorie les partenaires idéaux dans le secteur énergétique. La Chine, dont le PIB a augmenté de 10,5% en moyenne ces 20 dernières années, est une importatrice nette d’hydrocarbures depuis 1993 déjà, et elle a même dépassé les États-Unis en termes de consommation d’énergie en 2010. Pékin souhaite diminuer sa dépendance énergétique vis-à-vis des pays du Moyen-Orient et d’Afrique (près de 90% des importations).
Dans le même temps, la Russie déclare depuis longtemps vouloir diversifier ses débouchés pour les hydrocarbures (80% des exportations vont en Europe).
De plus, la Chine souhaite recevoir le pétrole et le gaz via des pipelines terrestres, hors d’atteinte de la flotte américaine. Les négociations visant à construire ce type d’installations en Chine ont duré 15 ans. Un accord relatif aux livraisons de pétrole n’a toutefois été conclu qu’à l’automne 2009, année de crise. Afin de limiter leurs dépenses, Rosneft et Transneft ont emprunté 25 milliards de dollars auprès des Chinois en échange de livraisons de pétrole et ont rapidement bâti un oléoduc vers l’Empire du Milieu.
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Le tuyau était déjà opérationnel en 2010 mais dès l’année suivante, les Chinois ont, à la surprise générale, cessé de payer l’entièreté pétrole russe, affirmant que les frais de transport étaient injustement élevés. Le Kremlin a menacé les Chinois d’aller en justice, mais d’après Mikhaïl Kroutikhine de RusEnergy, la Russie ne dispose pas de réels leviers de pression : en cas de résiliation de contrat, Rosneft et Transneft auraient dû rembourser une somme énorme et se retrouver avec un pipeline qui ne servirait plus à rien. Quant aux Chinois, ils n’auraient pas trop souffert de cette perte. La Russie a finalement dû accepter une ristourne de 1,5 dollar par baril (Pékin n’a pas exigé d’autres conditions à cause du « Printemps arabe » et par peur de détériorer ses relations avec un fournisseur fiable au vu de la situation internationale).
Une des solutions aux problèmes de Gazprom et Rosneft pourrait être la mise en place de pipelines le long de la côte de l’océan Pacifique, où leurs matières premières pourraient être achetées sur le marché libre par d’autres pays. L’oléoduc « Sibérie orientale – océan Pacifique » va d’ailleurs déjà jusqu’au port de Kozmino. Gazprom devra opérer un choix : construire un pipeline en Chine ou prendre en compte la mauvaise expérience de Rosneft et installer des usines de liquéfaction de gaz dans la région du Primorie.
L’absence d’infrastructures de transport dans l’Extrême-Orient russe représente un problème colossal pour tous les acteurs qui souhaitent exporter en Asie du charbon, des métaux et des céréales : la condition des installations portuaires et les accès trop étroits vers les ports empêchent d’augmenter les volumes. De plus, il n’existe pas de tronçons distincts vers un grand nombre de gisements situés le long du Transsibérien.
Une des solutions serait d’attirer des capitaux asiatiques pour la réalisation de projets d’infrastructures. Néanmoins, la Russie accuse un gros retard dans ce domaine également. « La mobilisation d’investissements directs en provenance d’Asie est encore à l’état d’embryon », constate Sergueï Men. Il n’y a pas si longtemps, l’État a essayé de régler ce problème à l’aide du Fonds russe d’investissements directs, filiale à 100% de la Vnesheconombank. Il devait aider les grands fonds étrangers à cofinancer des investissements en Russie et partager les risques. L’année dernière, ce fonds et « China Capital Investment Corporation » sont parvenus à un accord pour rassembler 4 milliards de dollars destinés à des programmes sur le territoire russe. Mais aucun projet n’a été financé les mois qui ont suivi…
« La coopération entre Moscou et Pékin a tout de même un énorme potentiel. La Chine constitue un marché exceptionnel pour l’exportation de notre production et une source de capitaux unique pour la réalisation de projets », ajoute Sergueï Men. « Moscou doit simplement apprendre à travailler dans cette région, développer son expertise et former ses cadres pour favoriser le commerce et attirer les investisseurs ».
La suite de l’article est disponible en russe sur le site Kommersant.ru.
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